Il existe deux types de relations amoureuses en prison : les inattendues et celles plus recherchées, dont la rencontre a été provoquée. Lorsque l’on pense à une relation amoureuse en prison, on imagine aisément un truc malsain, une obsession pour le danger ou le meurtre. Cette attirance a un nom : l’hybristophilie, qui symbolise le fait d’être attiré par une personne ayant commis un crime. « Un psychiatrique auprès des tribunaux, Daniel Zagury, m’a un jour dit : “Il vaut mieux être la femme de Guy Georges que de Monsieur Dupont.” Certaines femmes dont la vie est monotone, fantasment ces hommes un peu connus, elles les idéalisent, les voient à la télévision. Elles veulent justifier leurs actes, c’est la notoriété macabre qui les attire », raconte Marine Mazéas, journaliste judiciaire qui vient de publier L’aimé meurtrier, livre où elle donne la parole à ces femmes en couple avec des hommes incarcérés

En témoignent les nombreux courriers de fans que le meurtrier en série américain, Charles Manson, a reçu après son incarcération. Ce dernier a d’ailleurs fini par épouser une jeune femme de 26 ans, fascinée par son histoire, alors qu’il avait 80 ans. Il en est de même pour le tueur français, Nordahl Lelandais, qui a multiplié les relations en prison ces derniers mois. Une des femmes avec qui il a eu une aventure dernièrement avait, par le passé, épousé un autre détenu condamné pour avoir tué sa petite fille. 

Mais il n’est pas question de fascination morbide pour la journaliste Marine Mazéas qui a tenu à écarter ce type de relation de son ouvrage pour se concentrer sur l’amour soudain, qui saisit et emporte tout sur son passage, y compris le passé des détenus. « Ce sont des histoires qui auraient pu avoir lieu à l’extérieur. Ces femmes sont généralement attirées par leur façon de parler, leur démarche, leur physique, par leur sensibilité du fait de leur passé bien souvent chaotique. En bref par l’homme, pas le criminel. Elles n’adhèrent pas à ce qu’ils ont commis. »

Marine Mazéas l’accorde, si l’on parle d’hommes et de femmes qui se plaisent et auraient pu se rencontrer dans “la vraie vie”, le contexte de la prison et du lieu clos imposé exacerbe les attractions. Plus les relations sont régulières, plus l’affection se forme, comme pour les surveillantes pénitentiaires en contact quotidien avec les prisonniers. « Dans le cas des gardiennes, elles sont enfermées toute la journée en quatre murs avec des personnes du sexe opposé, il y a forcément des attirances qui se créent. »

Strictement prohibées, ces relations, si elles sont rendues publiques, mènent généralement à un renvoi. Un directeur adjoint d’une prison française, qui souhaite rester anonyme, confie à VICE France le manque de formation à la prise de distance des gardiens : « Durant les six mois de formations, on parle de la déontologie et du fait de ne jamais se rapprocher trop personnellement d’un prisonnier pour éviter ce risque. Je n’ai, par exemple, jamais considéré un prisonnier comme un ami mais il n’y a pas de formation spécifique dédiée aux femmes qui vont être en contact avec des hommes, on dit juste à tout le monde de garder ses distances ».

Mais lorsqu’un coup de foudre frappe, difficile de l’ignorer. La journaliste a eu l’occasion de rencontrer plusieurs gardiennes de prison qui ont vécu une histoire d’amour qui s’est plus ou moins bien terminée avec un détenu. Une d’entre elles, Laure, a été jusqu’à aider son compagnon à s’évader de prison. Aujourd’hui séparée de lui, cette dernière ne peut pas s’empêcher de penser au fait qu’elle a été manipulée dans cette unique intention :

« J’ai tout perdu : mon travail, ma maison, et ça a entraîné une situation de surendettement. J’étais loin d’imaginer toutes ces conséquences. J’avoue que je suis allée trop loin ».

Pour d’autres, l’histoire se termine bien, comme dans le cas d’Agnès, ex-surveillante de prison, actuellement mariée à Gabriel, ancien prisonnier qui a tué sa précédente femme. Si les deux filent le parfait amour et composent une famille soudée, ce choix de vie représente souvent un sujet tabou qui n’est pas toujours simple à accepter pour les familles et l’entourage du couple. La mère d’Agnès l’a, par exemple, rejetée et elle ne l’a pas vu depuis des années, tandis que son père continue de la voir mais refuse d’entendre parler de son mari.

Dans le cas d’Hélène, tombée amoureuse d’un braqueur de postes alors qu’elle était jurée à la cour d’assises, cette dernière a eu la chance d’avoir eu des parents compréhensifs et ouverts d’esprit qui ont accepté son compagnon qui est maintenant son mari et père de ses quatre enfants.

« Être femme de criminel, cela nécessite d’admettre le jugement, mais il faut aussi supporter le système carcéral et avoir beaucoup de courage, de patience. Le monde ne nous fait pas de cadeau. Les gens pensent que nous sommes des folles, c’est triste. »

Parmi les nombreux témoignages présents dans l’ouvrage, une relation est vouée à une issue fatale d’avance : celle de Claudine, tombée amoureuse d’un homme condamné à mort. Engagée dans une association qui aide les condamnés à mort aux États-Unis, elle a débuté une correspondance avec Ronnie. Très rapidement, les deux se sont charmés à travers des photos et des messages quasi quotidiens jusqu’à la première rencontre qui les a décidé à se marier. Pour lui permettre de la voir plus régulièrement, Claudine a fait le choix de demander un visa, qu’elle devrait obtenir très prochainement, pour vivre aux États-Unis.

« Notre espoir aujourd’hui est de vivre l’un près de l’autre de façon à profiter de chaque instant que la vie nous offre, et espérer que tout cela nous remplira suffisamment de bonheur pour y repenser et survivre lorsque l’un de nous partira. »

Détenu depuis 32 ans dans le couloir de la mort, son mari sera averti trois semaines à l’avance de la date de son exécution.

« Certains franchissent la ligne rouge et s’autorisent à avoir des relations intimes au parloir au risque de se faire surprendre par les gardiens ».

Les droits des couples en prison restent extrêmement limités. Les rencontres se font généralement au parloir. Certaines prisons sont dotées d’unités familiales, avec des appartements indépendants à l’intérieur de la prison pour permettre aux familles ou aux couples de se retrouver quelques heures totalement seules. « Il y a une excitation et une attente toute la semaine puisque généralement les couples se voient le week-end. Quand c’est au parloir, on n’a pas le droit d’avoir une intimité, ça peut être très frustrant alors certains franchissent la ligne rouge et s’autorisent à avoir des relations intimes au parloir au risque de se faire surprendre par les gardiens », affirme la journaliste Marine Mazéas.

Pour l’autrice, entretenir une relation amoureuse permet de se réinsérer plus facilement une fois sorti de prison. Beaucoup de prisonniers aspirent ensuite à une vie calme lorsqu’ils savent qu’une vie de famille les attend dehors : « Pour nous la routine de monsieur de madame Tout-le-monde, on l’a beaucoup attendue, alors on est heureux de la vivre », déclare Agnès, ancienne surveillante, dans le livre.

Qu’elles soient encore ou non en couple avec un prisonnier, toutes ces femmes restent marquées à jamais par une relation qu’elles n’auraient jamais imaginé. Certaines se remettent difficilement, même après avoir refait leur vie, d’autres ont la chance d’avoir réussi à dépasser à deux les difficultés associée à la prison.

Parmi toutes ces histoires, Marine Mazéas a relevé un point en commun chez ces femmes : la compassion. « Quand on dit que l’amour rend aveugle c’est un adage qui n’est pas tout à fait faux. Quand on est amoureux, on enjolive la personnalité de celui qu’on a en face de soi, et quand c’est un criminel ça prend tout son sens. Ces femmes ne se voilaient pas la face, elles avaient bien conscience des crimes commis par leur compagnon. En revanche elles ont voulu voir le meilleur côté d’eux et surtout croire en leur bonne volonté ».

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