Quand j’ai commencé à écrire de façon plus approfondie (et plus publique), je l’ai fait pour l’amour de la musique. Jamais je ne pensais un jour devenir journaliste. Dans le journalisme musical, ce qui me titillait, c’était surtout l’envie de parler de tracks bien violentes, d’albums ultra pervers, de genres assez niches. Que les futur·es lecteur·ices passent du bon temps, s’investissent dans le média à lire mes propres papiers plutôt que d’alimenter un cercle infernal de vidéos de bébés sur le net

Et pourtant, je n’ai jamais été un gros fan des recommandations musicales. Parce que c’est trop souvent ce pote ultra hype qui hallucine que personne n’ait Spotify Premium pour écouter ce dernier duo sorti sur le label de L’Impératrice. Ou votre tante qui vous passe un gloubi-boulga fusion à chier, sans omettre de vous agresser les tympans dans la foulée avec un strident « alors, t’en penses quoi ? » et qui se croit cool parce qu’elle vient de découvrir Omar Souleyman. Ou parce que c’est votre boss, à qui vous n’osez pas dire que c’est de la merde, en sortant un naïf « c’est gentil de partager mais c’est pas trop mon truc, le rap de Verviers ». Tant de raisons qui me poussent souvent à me faire ma petite idée moi-même et rester éloigné des recos (foireuses) des autres. 

Pourtant, cette année, alors que mon été s’annonçait tout pourri – je vous évite les détails, mais je ne dis pas ça à cause de la pluie –, on m’a proposé de ressortir ma vieille plume de journaliste musical pour couvrir un festival à l’autre bout du globe, qui traite justement de ça, de découverte musicale. Au Québec, le FME, ou Festival de musique émergente, se déroule chaque année à Rouyn-Noranda (42 000 habitant·es et des poussières), plus ou moins à huit heures de route de Montréal. Paumé dans une région riche en lacs, en forêt et en rednecks au grand coeur, le principal hub d’Abitibi-Témiscamingue se mue en véritable foyer d’artistes dont la carrière est soit en train de prendre un sacré tournant soit ne décollera pas et finira aux oubliettes.

Dans tous les cas, j’ai cherché à comprendre les goûts des festivalier·es du FME ainsi que leur appétence pour tout ce qui est nouveau et prometteur dans les scènes émergentes. Je leur ai demandé qui étaient les artistes à suivre, en limitant les vues sur YouTube ou les streams de ces dernier·es à quelques milliers, maximum.

Johanna (35 ans)

In Address Of The Final Pyre de Antic Hous (2 vues sur YouTube, et pas beaucoup plus sur Spotify)

Ça pour être émergent, il est émergent. J’ai découvert la musique d’Antic Hous via-via, des ami·es-d’ami·es-d’ami·es qui m’ont fait écouter. Jusqu’à présent, il partageait surtout son art sur Vimeo. Je pourrais même pas te dire ce que ça vaut en concert parce qu’il n’en a pas encore fait. Ça n’empêche que son son est génial, c’est mélodique, c’est ambiant-électronique. Il peut avoir des notes un peu rock aussi. C’est très relaxant, ça me fait un peu penser à Boards of Canada, pour les gens qui connaissent. On peut fermer les yeux, méditer, ça invite à la déconnexion. On dirait que je fais de la projection quand je décris ça, mais ça vaut vraiment le coup. 

Son premier album n’est pas encore connu, il vient de le diffuser sur Spotify. Avant ça, il faisait surtout beaucoup de créations visuelles pour lesquelles il a commencé à sonoriser les différents paysages qu’il produisait. Si je peux vous faire une recommandation, ça s’écoute très bien en voiture ou en road-trip.

Jean-René de Bibi Club ( 2 300 vues sur YouTube)

On est au Canada, c’est bien de mettre en avant les artistes locaux. Je suis un gros fan du projet qui s’appelle Bibi Club, c’est un duo qui fait de l’indie pop ensoleillée et en même temps ultra nostalgique. C’est un projet musical d’Adèle Trottier-Rivard et de Nicolas Basque, sur scène ça rend vraiment bien, je saurais pas comment l’expliquer mais y’a un truc qui se passe à chaque fois qu’on est face à leur musique. Je comprends pas pourquoi leurs gigs se résument à l’ultra local parce que je pense que c’est un groupe qui mériterait d’être connu vraiment partout. J’ai découvert ça l’année dernière, ici-même au FME, pour les 20 ans du festival et franchement ça déchire.

Charlotte (33 ans), preneuse son

Boat on the sea de Colour of rice (287 vues sur YouTube)

Si je devais parler d’un projet qui sort du lot, pour moi ce serait Colour of Rice. C’est une artiste super, elle mérite d’être connue. C’est une femme, seule avec une guitare, qui peut être à la fois très calme ou très pop rock. C’est un univers très ambiant, très doux et très beau. Quand elle s’énerve, elle peut dévier sur de l’électro aussi.

Je recommande aux gens qui cherchent des artistes complets, qui ont des super vibes, des super voix, une créativité monstre. Moi-même je connaissais pas du tout, j’avais travaillé sur un de ses concerts pour lequel je m’occupais du son il y a quelques années. Depuis, elle est partie en création et là elle commence tout juste à nous les dévoiler, et ça tue.

Nina (39 ans), graphiste

Vandalism de Last Waltzon (72 vues sur YouTube)

Allez checker ce qu’ils font, c’est des petits rascals qui déchirent tout. Pour vous faire une idée de leur énergie, tapez « I’m not gettin paid for this shit » sur YouTube, c’est un condensé de leurs shows entre 2018 et 2022. Je pense que ça résume assez bien l’esprit post-punk de Montréal, une ville qui a besoin de ces petits bands pour se sentir exister quand l’hiver dure les trois quarts de l’année. Je les ai vus pour la dernière fois dans une salle vachement cool qui s’appelle le Ritz PDB à Montréal. Pour la petite anecdote, j’ai fini archi ivre à vomir mon pogo sur les pieds du headliner de la soirée.

Jawad (37 ans)

Holm de Kamar Mansour (464 vues sur YouTube)

Je viens du Maroc et mon expérience avec les artistes émergent·es est complètement différente. Les artistes africain·es n’arrivent pas à s’exporter, c’est difficile de ramener des artistes dans des festivals à l’étranger à cause des problèmes de visas et c’est un problème à sens unique. Kamar Mansour fait de la musique plus fusion, comme Martine Labbé ou Martin Seigneur, des artistes basé·es au Maroc, bourré·es de talent.

Sinon, t’en as qui font des bons chiffres niveau vues mais qui restent dans la catégorie « émergent·es » parce que ces artistes ne jouissent pas de la même diffusion. Je pense à la rappeuse Khtek, Vargas ou encore Snor qui dépassent les millions de vues et qui pourtant ont du mal à être invité·es sur des grosses scènes.

Estelle (âge non communiqué), directrice musicale de choq.ca

Si je pleure de Vanille (6 600 vues sur YouTube)

Je pense que c’est un nom sur lequel on peut être d’accord. Je suis une grande grande fan de Vanille, c’est un pur produit montréalais mais elle tourne pas mal aussi en Europe. C’est de la musique particulière, on dit que c’est un style de musique médiévale, c’est comme ça que tout le monde décrit ça. Y’a de la flûte, y’a de l’autoharpe, y’a de la guitare, c’est très très cool. Je la suis depuis 2019 et j’ai vu son évolution, si je compare avec son premier EP, elle en a fait du chemin. Sinon, je suis aussi une très grande fan de la musique de Laurence-Anne, j’ai adoré son premier album, j’ai adoré son deuxième album et son troisième disque sort dans une semaine [Oniromancie est sorti le 8 septembre 2023, NDLR]

Pouvoir Magie Feu (âge non communiqué), tiktokeur et humoriste

Le soleil de Velours Velours (1 400 vues sur YouTube)

Velours Velours, j’adore, c’est un artiste super, très malin dans ses choix. Il devait être là au festival cette semaine, mais au final il joue pas. Je suis vraiment un très gros fan de sa musique. Vanille aussi c’est génial ce qu’elle fait, mais en ce moment je suis beaucoup plus dans la vibe de Velours Velours. J’ai découvert grâce à une amie d’amie et c’est sans doute pour ça que j’aime autant.

Michel aka Dynamike (âge non-communiqué), journaliste et DJ

Mwaza de Madalitso Band (317 vues sur YouTube)

Madalitso Band, c’est un groupe qui vient du Malawi. C’est un duo avec un guitariste qui joue du babatoni, une guitare traditionnelle à quatre cordes, avec un percussionniste mais sans ensemble de percussions, vraiment qu’un seul instrument avec une vision très traditionnelle de la percu, plutôt comme un kick drum. T’as une énergie vraiment particulière qui se ressent au fil de leurs chansons. J’ai rarement vu ça. Ils font danser n’importe quel public sans problème. Je les ai découverts à travers le label suisse Bongo Joe, qui ont d’ailleurs sorti l’album d’un groupe qui se produit ici au FME, Mauskovic Dance Band. C’est vraiment intéressant parce que ce label surprend à chaque sortie, on s’attend rarement à ce qui va être proposé mais ça tape toujours dans le mille en ce qui concerne les groupes et musiques émergents. 

J’ai une émission sur les cultures africaines, je passe beaucoup de choses, mais Madalitso c’est vraiment un truc qui m’a surpris et qui mérite d’être beaucoup plus écouté. On a rarement de la musique qui nous arrive du Malawi et après les avoir entendus, je me dis que c’est vraiment dommage qu’on n’ait pas plus de connexions musicales avec ce pays. Les festivals sont souvent à la recherche de groupes ou artistes émergent·es africain·es. Programmateur·ices, si vous lisez ça allez programmer Madalitso.

François-Samuel (39 ans)

Paréidolie de Solipsisme (141 vues sur YouTube)

Là, t’as un groupe de rock qui fait pas mal de trucs bien psychés, y’a rien qu’à voir leurs pochettes d’album. Un peu dans la veine de Black Angels ou The Limiñanas pour les Français·es. Solipsisme, c’est un groupe à surveiller cet automne. J’ai découvert ça dans un tout petit festival que j’organisais à Québec qui s’appelle le festival OFF, en marge de tout ce qui est connu. On faisait la promotion de petits groupes, justement. Quand on les a découverts, ils n’avaient que deux chansons sur internet.

Sarah (28 ans)

Gris Bleu de Michelle et les garçons (3 800 vues sur YouTube)

C’est un groupe qui vient d’Angers, un trio de pop francophone. C’est pas pour rien que je te parle de Michelle et les garçons, le groupe a vécu six mois au Québec y’a quelques années. Je pense que symboliquement, iels aimeraient bien être booké·es ici, au FME, histoire de boucler la boucle. Je pense que l’année prochaine ça serait le bon moment pour que ça décolle et le faire découvrir au public québécois. Franchement, c’est ce dont on a besoin : de la mélodie hyper efficace, des super textes, une énergie pop mais un live qui est clairement rock.

Jonathan (29 ans), manager

F4(ME) de Ehro & Yakary (600 vues sur YouTube)

J’aime bien le producteur Yakary, comme le dessin-animé. C’est un multi-instrumentiste qui fait des prods qui jouent sur tous les terrains. Ça fait trois ans que j’écoute ce qu’il fait. Il marche avec un collectif de rappeurs, 247, qui commence à faire du bruit au niveau local. Ils viennent de Lausanne, ma ville, donc S/O à eux. En ce moment, il sort pas mal de projets avec des rappeurs mais il fait aussi du live plus électronique

Il est vraiment sur tous les fronts, c’est un humain qui gagne à être connu, c’est une vision de la musique qui vient d’émerger, c’est des gars tous jeunes qui ont faim de tout conquérir. C’est en écoutant ce qu’il faisait que j’ai vraiment compris la nouvelle génération 2000 et plus. Voir comment ces jeunes travaillent en studio ça m’a retourné la tête. Lui a la chance d’être talentueux, représentant de la nouvelle vague rap suisse. Je sais pas si c’est forcément un endroit auquel on pense quand on parle rap français, même si y’a déjà des gros noms comme Di-meh, Slimka ou Makala.

Jérémy (28 ans)

Being Here de Hello Mary (1 400 vues sur YouTube)

Hello Mary c’est un groupe qu’un pote à moi voulait faire passer dans son bar à Montréal. Peut-être que cette année il réussira à les booker. C’est un girls band de New York qui déchire. Historiquement, la place des femmes dans les milieux rock était un peu à chier et ça fait du bien de voir que ces dernières décennies elles ont bien inversé la tendance. Même pas eu besoin que qui que ce soit leur fasse une place, elles l’ont prise toutes seules, et ça c’est vraiment rock. Y’a rien qui me fait plus plaisir que de voir ce changement s’opérer. 

Alain Boies de Ping Pong Go (5 500 vues sur YouTube)

Un groupe purement du Québec qui fait une musique assez surprenante. Pour comprendre leur univers faut faire un tour du côté de leur page Instagram, c’est particulier mais toujours très frais. Ping Pong Go, c’est des énergies assez alternatives, comme des types comme Dany Placard. On est assez bons pour produire ce type d’artistes ici. Et ce qui est génial, c’est qu’en général, c’est de la musique de bar. C’est tout simplement des groupes qui se produisent de pub en pub, fait pour des gars comme nous.

Charlou (30 ans)

Motorik de Patche (2 600 vues sur YouTube)

C’est comme du krautrock expérimental. Je connaissais ça via d’autres projets comme zouz, c’est un peu plus connu. En gros c’est des zicos qui ont joint leurs forces pour faire du son ensemble et ç’a donné ce super-band. Ce qui est cool c’est que c’est super dansant mais au final t’as aucune guitare, c’est que du modulaire.

Paola (28 ans)

Le puits de Margaret Tracteur (977 vues sur YouTube)

C’est génial, c’est un trio féminin de bluegrass québécois, trois musiciennes vraiment exceptionnelles, dans une configuration assez atypique pour le style qu’elles représentent. En général, c’est une musique quand même très traditionnelle, dans un monde très masculin, mais elles, elles ont décidé de tout bousculer. Elles viennent de Québec City et elles mélangent vraiment tous les différents ingrédients fondamentaux du folklore américain avec leur banjo, leur gazou et leur tambourine.

J’ai connu ce projet parce que j’ai un ami qui a joué de la planche à laver sur l’un de leurs albums et puis je les ai vues au festival Phoque OFF. Je pense que les amateur·ices de musique seraient gagnant·es à découvrir ce groupe, ça reste encore relativement rare d’avoir des bands 100% féminins aujourd’hui. En plus, elles ont full d’énergie, elles te lèvent une foule, c’est trois musiciennes qui même individuelles sont exceptionnelles.

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