Et face à la contrainte de repenser l’organisation de ces événements, les drive-in ont été remis au goût du jour. Dès le début de l’épidémie, cette pratique a été plébiscitée par de nombreux pays pour réaliser des tests PCR et éviter des salles d’attente bondées. En Israël par exemple, le tout premier patient a été testé ainsi le 20 mars lors d’une opération menée par l’équivalent de la Croix rouge locale. Mais très vite, les drive-in ont dépassé l’usage médical.
Aux quatre coins de la planète, des parkings, des places, une ancienne centrale nucléaire ou même une des propriétés de la reine d’Angleterre ont accueilli des spectateurs, bien installés dans leur voiture, pour participer tant bien que mal à des événements variés. Retour sur cette “année drive-in”.
Le cinéma avant tout
Lorsqu’on parle drive-in, on pense évidemment au cinéma. Nés dans les années 30 après la Grande Dépression et prisés des classes populaires, les ciné-parcs ont indéniablement connu un regain d’intérêt en 2020. Aux États-Unis, qui comptent quelque 300 drive-in ouverts à l’année (contre 4000 à leur âge d’or), des chiffres de fréquentation record ont été enregistrés dès le printemps. Idem en Allemagne et en Corée du Sud, rares pays à être équipés d’établissements de cinéma en plein air.
Dans la foulée, de nombreux drive-in éphémères ont fleuri en France, à Bordeaux, à Caen, à Crest ou encore aux Herbiers pour ne citer que ces villes. Et ont rassemblé des dizaines, parfois des centaines de voitures, devant “Parasite”, “Hippocrate” ou “Le Grand Bain”. Au Royaume-Uni, même la reine d’Angleterre s’y est mise, ouvrant sa résidence de Sandringham House, dans le comté de Norfolk pour un week-end de projections fin septembre.
Au risque parfois d’en déplaire à certains. Dès le mois de mai, la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) s’insurgeait dans un communiqué des “dégâts médiatiques et économiques que provoqueront ces manifestations qui détournent les spectateurs, les médias, l’administration locale et nationale du seul combat à mener: la réouverture des salles.”
Mais cela n’a pas empêché la seconde jeunesse des drive-in de faire des émules. Le monde de la culture s’est globalement emparé du concept avec les beaux jours pour organiser des concerts accessibles en voiture, mais aussi des spectacles de cirques à Rio de Janeiro et Séoul, ou encore des rave parties. “DJ ou groupe, fréquence radio dédiée, scènes multiples, feu d’artifice, chaque rave a ses spécificités, mais un élément reste immuable: des fêtards dans leur automobile ou juste à côté”, décrivait l’AFP lors d’une soirée électro à Scranton, en Pennsylvanie, fin octobre.
Plus anecdotique, le plateau télé de la version française de “Top Gear” a placé ses spectateurs dans des voitures.
Match de foot et messe
Le monde du sport s’est lui aussi essayé à organiser des événements en drive-in alors que les stades de foot, de rugby ou d’athlétisme sont désespérément vides. Au printemps, le FC Midtjylland à Herning, vainqueur de la ligue danoise en 2018 et bien placé au classement, a repris le championnat devant près de 2000 voitures avec à leur bord jusqu’à cinq supporters, sur le parking du stade où des écrans géants avaient été installés. Les joueurs, à l’intérieur de l’enceinte, pouvaient ainsi entendre les cris des supporters. Autre sport, même combat: la ville de Düsseldorf organisait une compétition de saut à la perche en drive-in.
Dans un autre registre, les églises se sont elles aussi adaptées à l’ère du Covid-19 pour proposer des messes en drive-in. Le 17 mai dernier, quelque 500 fidèles assistaient à la “première messe en drive-in de France” sur le parking du hall des expositions de Châlons. “Cette messe en voiture, c’est plus qu’un dépannage. C’est une vraie messe. C’est une victoire de la vie”, expliquait à l’AFP Mgr Touvet, évêque de Châlons, à l’origine de l’initiative.
Quelques semaines plus tôt à Varsovie en Pologne ou à Acapulco au Mexique, des prêtres catholiques proposaient aux fidèles de se confesser sans descendre de leur voiture à Pâques.
Si en France et dans d’autres pays, les églises ont pu accueillir les messes de Noël en comité restreint, certains marchés de Noël ont eux tenté l’expérience du drive-in dans des lieux parfois insolites. Dans l’ouest de l’Allemagne, l’ancienne centrale nucléaire de Kalkar a rouvert ses portes aux voitures pour déambuler à travers les décorations polaires et les stands de crêpes ou marrons chauds.
“Meet-in”
Dans cette énumération non exhaustive des adaptations du drive-in, impossible enfin de ne pas évoquer les incursions dans la campagne présidentielle américaine à l’automne. Alors que Donald Trump faisait fi des recommandations sanitaires et remplissait des salles pour la dernière ligne droite avant l’élection du 3 novembre, son adversaire (depuis victorieux) Joe Biden optait lui pour des meetings en drive-in.
C’est sur un parking de sa ville natale de Scranton, en Pennsylvanie et devant des centaines de voitures que le candidat démocrate faisait son retour en public le 17 septembre dernier. Un format répété à plusieurs reprises jusqu’au scrutin par le président élu et ses soutiens à l’image de Lady Gaga en drive-in à Pittsburgh ou Barack Obama en drive-in toujours à Philadelphie.
Et en 2021?
La seconde jeunesse des drive-in va-t-elle perdurer en 2021? Certains veulent y croire. “Dans votre bulle protectrice, vous regardez à l’extérieur de votre voiture et vous voyez d’autres humains”, analyse le sociologue des médias et du cinéma Ross Melnick à Bloomberg. “Pour la plupart des gens, il y a là quelque chose réconfortant de voir d’autres humains tous là pour la même chose: être divertis.”
Alors que le festival de Sundance, référence du cinéma indépendant mondial, organisera certaines de ses projections dans des drive-in à la fin du mois de janvier, l’universitaire envisage que les ciné-parcs puissent “créer une toute nouvelle génération de cinéphiles” à condition de “faire des drive-in quelque chose que les gens veulent, plutôt que quelque chose dont ils ont besoin.”
Mais au-delà des frontières des États-Unis, où les drive-in sont ancrés dans l’héritage culturel, les obstacles sont nombreux. D’abord parce que ces événements nécessitent une lourde logistique souvent difficile à mettre en place et très coûteuse lorsqu’il n’existe pas de structure permanente. “C’est beaucoup de travail et ça n’est absolument pas réplicable tous les soirs (…) Et en plus c’est techniquement compliqué, absolument pas rentable. Donc ça n’a pas du tout d’avenir commercial”, confiait au HuffPost Mathieu Robinet, producteur de films et organisateur d’un drive-in festival à Bordeaux.
Ensuite aussi parce que pour les spectateurs de ces projections, spectacles, concerts ou compétitions sportives, l’expérience n’est jamais la même. Le directeur marketing du FC Midtjylland au Danemark concédait que certains des supporters avaient eu du mal à voir convenablement l’écran de retransmission du match. Tandis qu’à la rave party en Pennsylvanie, certains fêtards étaient mitigés. “Ce n’est pas une vraie expérience de concert”, lançait sceptique un participant à l’AFP. “Je ne pense pas que cette mode va durer, sauf si le virus perdure”, abondait une autre. “Nous voulons pouvoir retourner à des festivals”.
Plutôt qu’une alternative durable pour faire la fête ou voir un film, les drive-in sont un ersatz pour assouvir notre besoin de divertissement en attendant de pouvoir se réunir à nouveau dans des stades, des salles de cinéma ou des discothèques. Une situation qui rappelle d’ailleurs que c’est en pleine période de crise, “au plus fort de la dépression économique qui suit le Krarch boursier de 1929” que sont nés les drive-in, avec l’idée de “combiner les deux derniers luxes dont une Amérique en proie à la crise ne saurait se passer: l’automobile et le cinéma”, rappellent Francis Bordat et Michel Etcheverry dans l’ouvrage Cent ans d’aller au cinéma.
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