En conséquence, les termes juridiques pavent désormais les colonnes des journaux et les émissions des chaînes d’information en continu: enquête préliminaire, mise en examen, information judiciaire, réquisitoire supplétif, autant d’expressions barbares qui nous sont désormais quotidiennes.
Les médias et les politiques semblent considérer acquise l’acception de ces termes spécifiques et n’en explicitent jamais la substance. Pourtant, rien ne permet de considérer que ces termes soient évidents aux yeux des Français.
Or, en France, contrairement aux pays anglo-saxons, le droit ne fait pas partie du bagage culturel global.
Qui sait vraiment qu’une enquête préliminaire ne nécessite l’existence d’aucun indice? Qui sait vraiment qu’une plainte avec constitution de partie civile donne le pouvoir à n’importe quel plaignant de saisir un juge d’instruction, même sur le fondement d’accusation fantaisiste? Qui connaît vraiment les critères de la mise en examen?
Si aucune évaluation de la culture juridique globale des Français n’existe, l’absence quasi-totale de droit dans les programmes scolaires, cantonné à quelques maigres séances d’éducation civique, permet de douter très sérieusement de l’acquisition de ces prérequis indispensable à la compréhension des affaires.
L’attitude générale vis-à-vis de la présomption d’innocence est en cela symptomatique. Trop souvent celle-ci est réduite à une simple précaution oratoire à la fin des reportages, ou au mieux, à une règle formelle interdisant de montrer un suspect menotté. Et encore, quotidiennement, il est prononcé des expressions comme “présumé violeur”, ou “présumé meurtrier”, la renversant allègrement. Il est toujours risible d’entendre, à la fin des innombrables émissions criminelles diffusé sur la TNT, que le suspect est présumé innocent après qu’il a été accablé pendant une heure et demie.
Plus qu’une simple règle, la présomption d’innocence est une méthode de pensée et d’analyse qui devrait irriguer le débat public judiciaire. Elle consiste à d’abord considérer qu’un suspect est innocent, et que toutes les preuves qui pèsent contre lui, y compris les aveux, doivent être soumises au doute et à l’examen. La présomption d’innocence est donc d’abord une culture du doute qui s’accommode mal des certitudes en 280 caractères des réseaux sociaux ou des slogans de manifestation.
Seule l’acquisition de cette culture permettra de ne pas voir les conséquences sociales attachées à une condamnation apparaître avant celle-ci; car là est le véritable but de ce principe qui ne doit pas se limiter à la sphère judiciaire. D’autant plus que le rythme médiatique conduit bien souvent à polémiquer autour d’une affaire pénale lorsque cette dernière éclate, et donc précisément au moment où l’on en sait le moins.
Ainsi une éducation, même légère, à la justice, à son lexique, à ses principes, permettra non seulement au citoyen de décrypter les affaires rythmant le débat public, à l’abri de toute manipulation des parties, mais aussi de rapprocher les Français de leur justice à l’heure ou 50% d’entre eux ne font pas confiance à l’institution.
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