SÉLECTION – “L’art permet de réfléchir différemment, d’aller dans des endroits auxquels on n’avait pas pensé et de redécouvrir des choses par le regard d’un autre.” Journaliste et autrice, Tania de Montaigne raconte sur scène dans “Noire” l’histoire de Claudette Colvin, adolescente afro-américaine de Montgomery dans l’Alabama, qui refusa de se lever d’un siège de bus le 2 mars 1955 et deviendra une figure de la lutte pour les droits civiques.
Et des histoires racontées par des femmes, il y en a des tas d’autres qui la passionnent et l’émeuvent. Alors que cette férue de culture s’apprête à rejoindre le jury du Mobile Film Festival – où les internautes sont invités à réaliser un film d’une minute autour du thème des questions féministes pour cette édition 2020 – Le HuffPost lui a demandé de nous parler de ses œuvres coups de cœur, toutes signées par des femmes.
“Top of the lake” de Jane Campion
“J’ai choisi la série “Top of the lake” mais j’aurais pu aussi choisir n’importe quel film de Jane Campion. Ce que j’aime chez cette réalisatrice, c’est que la nature est un personnage à part entière. Les arbres, la mer, les falaises… Il y a quelque chose dans cette nature tantôt accueillante tantôt terrifiante qui dit la nature humaine et qui raconte l’intériorité de cette petite fille qui fait le fil conducteur de la série.
Et Jane Campion a aussi la particularité de raconter les femmes en passant par tous les âges, toutes les situations qu’elles peuvent rencontrer et toute leur complexité. Ses personnages féminins ne sont pas angéliques, pas transparents, ils ont des zones d’ombres. Parfois on les approuve, parfois on les désapprouve. En fait je crois que ses personnages n’ont pas pour fonction de nous dire quelque chose, elle les laisse juste vivre.”
“Top of the lake” de Jane Campion, série en deux saisons sorties en 2013 et 2017, est disponible en VOD sur Arte.tv.
“Unbelievable” de Susannah Grant
“Au-delà de la qualité de jeu incroyable de toutes les actrices, la minisérie ‘Unbelievable’ montre la façon dont Marie, le personnage central victime de viol, est traversée par ce qu’elle éprouve, par la difficulté à dire ce qu’elle éprouve et aussi par le regard extérieur des policiers, de son entourage, etc. C’est intéressant de montrer où se place cette agression dans un itinéraire et tout ce qu’elle vient percuter.
Ce que j’aime, c’est lorsqu’une œuvre a une intention artistique. Et là, la structure de la série même montre comment le temps d’une agression est diffracté. Il n’y a pas que le moment de l’agression, il y a ce qu’il se passe avant et ce qu’il se passe après. On comprend que l’agression vient complètement effriter la trajectoire d’une vie. La série nous met nous, spectateur, dans une position intéressante. Les épisodes nous promènent d’un moment à l’autre, nous maintiennent en éveil sans qu’on puisse se reposer. C’est à nous de faire notre chemin à travers cette série et c’est aussi ce que vivent les personnages au cœur de l’agression.”
“Unbelievable” de Susannah Grant, minisérie en 8 épisodes sortie en 2019, est disponible sur Netflix.
“D’une pierre deux coups” de Fejria Deliba
“Ce que j’adore dans cette œuvre, c’est qu’elle restitue la vie et tous les sentiments qui nous traversent. Le prisme que choisit Fejria Deliba c’est de déstabiliser la vie comme on avait cru qu’elle serait. Alors que leur mère qui n’a jamais quitté sa cité part pour un voyage inattendu à 75 ans, ses enfants découvrent que cette femme n’a pas pour seule existence d’être leur mère. Et cela déstabilise toute la structure familiale. Évidemment, ça nous raconte nous. On a toujours envisagé nos parents comme ayant une seule fonction, celle d’être parents!
Et puis on est toujours occupés à raconter des hommes, y compris sur la question de l’immigration et du ‘regroupement familial’. On ne nous dit pas qui sont les femmes qui les accompagnent, d’où elles viennent, ce qu’elles ont quitté pour venir… Encore aujourd’hui, la seule chose qu’on attend d’une femme pour qu’elle ait fait sa part dans la société, c’est qu’elle ne soit pas seule et qu’elle ait des enfants. Pour le reste, personne n’attend rien des femmes. C’est ce que montre Fejria Deliba dans le film ‘D’une pierre deux coups’. Soudain lorsqu’une femme n’est plus à cet endroit du domestique, où est-elle? Et si ma mère était une femme, ce serait qui? Même ses enfants ne le savent pas.”
“D’une pierre deux coups” de Fejria Deliba, film sorti en 2016, est disponible en VOD sur plusieurs plateformes.
“L’effet aquatique” de Solveig Anspach
“La première chose que j’ai trouvé merveilleuse, c’est qu’il s’agit du dernier film de la réalisatrice Solveig Anspach [décédée des suites d’un cancer en 2015 à l’âge de 54 ans, NDLR]. Elle savait qu’elle allait mourir et je trouve ça incroyable que, alors même que c’est la fin, ce qu’elle veut nous raconter de la vie c’est ça. C’est un film merveilleux où il n’y a aucune revanche, aucun regret, il n’y a qu’un mouvement vers l’avant.
Le message porté par l’histoire de cette rencontre amoureuse entre Samir, grutier à Montreuil et Agathe, maître-nageuse à la piscine municipale, c’est de dire que la seule chose qui vaille le coup d’être au monde, c’est d’être à l’autre et avec l’autre. Si on ne prend le risquer de regarder l’autre, ça n’en vaut pas la peine, voilà ce que nous dit ‘L’effet aquatique’. Et on ne peut en ressortir indifférent.”
“L’effet aquatique” de Solveig Anspach, film sorti en 2016, est disponible en VOD sur plusieurs plateformes.
Pourquoi être heureux quand on peut être normal de Jeanette Winterson
“Ce livre, c’est la somme de tout l’itinéraire de Jeanette Winterson [autrice et figure militante féministe au Royaume-Uni, NDLR]. Elle y reprend son premier roman écrit à l’âge de 25 ans, Les oranges ne sont pas les seuls fruits, et y adjoint ce qu’il s’est passé pour elle et dans son existence au fil des années.
Jeanette Winterson a été adoptée et élevée par une femme très particulière au début des années 1960 dans le nord de l’Angleterre. Et le titre du livre Pourquoi être heureux quand on peut être normal, c’est une phrase qu’a prononcée sa mère au moment où elle lui a appris qu’elle était homosexuelle. Des années plus tard, elle porte un autre regard sur cette femme. Elle raconte notamment l’ambivalence de cette figure qui a été là pour elle quand sa mère biologique ne l’était pas.
Ce que j’aime, c’est qu’on n’est pas dans une histoire où les méchants s’opposent aux gentils en fait. Jeanette Winterson raconte la vie, dans ses moments compliqués aussi, avec des gens qui font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’ils ont.
Pour moi, ce livre nous montre comment on peut être gentil avec soi-même. Parfois c’est déjà génial de réussir à tenir debout pour aller d’un point à un autre, voilà ce que nous rappelle ce livre. Et je crois qu’il peut réconforter ceux qui le liront.”
Pourquoi être heureux quand on peut être normal de Jeanette Winterson, livre publié en 2011, est paru aux Éditions de l’Olivier.
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