Le style, les mouves, les hits, une histoire et une créativité débordante, Dolly Bing Bing est tout ce qu’on attend d’une popstar. Et même si elle a le potentiel pour devenir une star internationale, elle n’en est pas encore là. Pour l’instant, un premier EP – chargé de prods à la FKA Twigs – lui a apporté une première vague de fans, queer pour la plupart, et elle continue de se faire une place avec son dernier single Kusje et un deuxième projet en préparation. En plus d’être une popstar, Dolly est aussi sculptrice, artiste visuelle sous le nom de Stripper Angel et docteure en philosophie – bien que dans les milieux universitaires, c’est Elisabeth Van Dam qu’il faut l’appeler. J’ai rencontré Dolly à l’opéra de Gand, sa ville natale, pour parler des origines de Dolly, de sa maternité et de la façon dont ses alter egos se rejoignent.

Cet entretien a été réalisé avant que les dernières mesures Covid ne soient d’application, dans le respect de la distance sociale et avec un masque pour assurer la sécurité. 

VICE : Salut Dolly, on est dans une très belle salle de l’opéra de Gand. Qu’est-ce qui nous amène dans cet endroit chic ?
Dolly Bing Bing: Je joue le rôle de Dolly dans la pièce « A Revue » de Benjamin Abel Meirhaeghe, un jeune metteur en scène et interprète. C’est un « cabaret rétro-futuriste » dans lequel Benjamin a imaginé ce que les terrien·nes du futur – des extraterrestres peut-être – feraient dans 2000 ans avec ce qu’il restera de notre musique classique. Dolly est présentée comme un personnage central qui représente l’avenir. Je suis honorée d’avoir ce rôle. Je suis aussi artiste et l’une de mes sculptures est utilisée dans le décor. C’est un grand corps d’alien vert vif, brillant, avec un bébé sur le ventre. Pour le metteur en scène, ça symbolisait mon héritage pour l’avenir. 

« Je voulais littéralement rendre mes propres muscles plus forts – y compris ceux de mon cœur. C’est en partie dû à la tragédie que j’ai vécue avec mon mari, qui était très gravement malade et dont je devais m’occuper. »

Tu te décris donc comme une « popstar alien » ; « popstar » pour la musique évidemment, mais pourquoi « alien » ? 
D’une part, ça s’applique à mon corps et à la façon dont je l’interprète radicalement comme un matériau que j’entraîne quotidiennement. Je veux me rendre plus forte : à l’intérieur comme à l’extérieur, physiquement. C’est en partie dû à mon passé et à la tragédie que j’ai vécue avec mon mari qui était très gravement malade et dont je devais m’occuper. Je voulais littéralement rendre mes propres muscles plus forts – y compris ceux de mon cœur. Dolly était aussi le moyen que j’ai trouvé pour garder quelque chose de sexuel, de vivant et de puissant, quand tout autour de moi était malade et mort

En plus de l’entraînement, je mange aussi des aliments particuliers. Je ne mange que des fruits crus, des noix, des plantes et des graines. Je crois vraiment que ça peut améliorer tes gènes et te rendre plus fort·e et plus clean. Une autre source d’inspiration, c’était Ziggy Stardust, une rockstar alien glamour. La pop, c’est vraiment mon truc, d’où le « popstar alien glamour ». Cet élément « alien » permet de t’ouvrir à un monde différent de celui que les gens connaissent. Ce que je fais n’est pas si différent de ce que fait Lady Gaga, mais beaucoup de gens ici trouvent que Dolly a quelque chose de spécial. 

« En Belgique, je sens parfois qu’il y a une certaine résistance par rapport à mon univers esthétique, et j’ai un peu de mal avec ça. Le public qui me valide le plus, c’est la communauté queer et gay. »

Le clip de Kusje, c’est de la vraie pop artistique ; j’en vois pas souvent en Belgique.
C’est vrai. Mes goûts sont internationaux. Dans le clip de Kusje, on a voulu intégrer tout ce que Dolly représente : le glamour et la lutte. J’avais toujours rêvé de rider une motocross comme dans un film. En réalité, ça fait hyper peur. Iels m’ont dit : « Dolly, monte dessus, on va faire une scène. » En un coup, la moto a démarré et le caméraman nous a suivi·es. Avec le recul, c’était peut-être un peu irresponsable : je suis en lingerie sur une moto qui trace à du 200 km/h dans une décharge. 

En Belgique, je sens parfois qu’il y a une certaine résistance par rapport à mon univers esthétique, et j’ai un peu de mal avec ça. Le public qui me valide le plus, c’est la communauté queer et gay ; comme c’était le cas pour les premier·es fans de Lady Gaga. Ce sont souvent les personnes les plus ouvertes d’esprit qui embrassent plus facilement les choses qui leur sont inconnues. C’est peut-être aussi le caractère performatif de mes shows : il y a beaucoup de nu et je mets littéralement mon corps sous les projecteurs ; et le côté sexuel est peut-être moins accepté. Cela dit, la culture pop dominante est toujours très sexualisée, si tu regardes un clip de Beyoncé par exemple.

« Certaines personnes pensent que je suis trans, ce qui ne me dérange pas du tout. J’accepte mes côtés masculins. »

Peut-être parce que cette féminité est complètement différente de l’image androgyne créée par Dolly ? 
Je ne l’ai pas fait exprès, mais je formule en quelque sorte une alternative à la féminité. Je me qualifie aussi de queer, même si je ne suis pas gay. Certaines personnes pensent même que je suis une personne trans, ce qui ne me pose aucun problème. J’accepte mes côtés masculins.

En même temps, je me dis : « Pourquoi les gros muscles devraient être une caractéristique exclusivement masculine ? » Les femmes peuvent tout aussi bien les développer. Grace Jones, qui a également représenté son corps en sculpture, est par exemple une grande source d’inspiration pour moi. 

Il y a aussi une différence entre ton EP et le style de Kusje. On dirait que maintenant t’as les deux pieds dans la pop, alors qu’avant, tu te la jouais plus à la FKA Twigs. 
J’ai senti que je voulais atteindre un public plus large. En plus, j’aime aussi la musique pop et je ne l’ai jamais regardée de haut comme si elle était moins artistique que d’autres genres. Selon moi, c’est un art de pouvoir toucher un public aussi large. La musique à succès est très puissante. Si j’arrivais à avoir quelques hits, je pourrais plus facilement assumer mon extravagance par la suite. Non pas que je pense de façon stratégique. 

Dans Bing Bing, tu dis que tes muscles sont comme un costume. Tu dis aussi que ton maquillage est une forme de protection. Tu veux dire que c’est une sorte de masque ? 
Je ne le vois certainement pas comme un masque, mais plutôt comme quelque chose qui montre mieux ce qu’il y a à l’intérieur. Du coup, je peux « imposer » ça à l’extérieur. En même temps, c’est aussi un peu un rôle que je joue, sauf que je ne l’abandonne jamais : mon art et ma vie ne font qu’un. C’est parfois difficile, vu qu’il faut beaucoup d’énergie, de temps et de travail pour ressembler à ça. Mais c’est la forme sous laquelle je me sens le plus moi-même et c’est comme ça que je m’exprime. En fait, on pourrait même dire : « Ton maquillage attire tellement l’attention que tu te retrouves dans une position vulnérable. », mais j’aime quand les gens me regardent. C’est aussi pour ça que je performe et que j’aime être sur scène. Je préfère de loin ça à l’anonymat. Pour moi, me montrer ouvertement et nue, avec mon maquillage, est quelque chose de très expressif. Montrer ma vulnérabilité ne fait que me rendre plus forte. Donc au final ce n’est pas un masque. Bien sûr, je cache quelque chose, mais en même temps, j’en montre d’autres que d’autres gens n’osent pas souvent montrer. 

Tu te reconnais dans la culture drag ? 
J’ai toujours trouvé ça formidable et admirable, mais c’est pas une source d’inspiration directe. Je me rends compte que ces communautés me tendent souvent la main, ou que j’apparais parfois sur le même line-up qu’un·e artiste drag. Je pense que c’est très cool parce que c’est aussi un public intéressant, mais il y a aussi de nombreux aspects dans lesquels je ne me reconnais pas. 

Je suis une femme blanche éduquée en Europe de l’Ouest, et même si je suis mère célibataire et artiste – ce qui n’est pas facile dans cette société – je suis généralement acceptée. Beaucoup de personnes qui ont lutté pour leur identité gay, queer ou trans, ont vécu tellement d’épreuves qu’elles ont développé une énorme fierté que j’admire, quelque chose d’affirmé du genre : « Regardez-moi, c’est moi la bitch ici. » Je pense que c’est cool, mais ce n’est pas quelque chose dans lequel je me reconnais. Moi je suis plutôt la sweet Dolly – extravagante et à moitié nue. 

Comment t’essayes de transmettre cette confiance en soi à ta fille ?
Je lui montre que ses désirs comme la façon dont elle veut s’exprimer sont parfaits. Je n’ai aucune attente quant à son apparence. Si elle veut danser à la maison, bien sûr que je l’encourage, mais ce n’est pas pour autant que j’ai envie qu’elle soit danseuse. Je validerai toujours ce qu’elle veut faire. J’ai appris ça de mes parents. En tant que mère, je pense aussi que ce rôle ne doit pas être sous-estimé. 

Les docus sur Dolly, Bing Bing et The Refuge of Art, traitent aussi de la relation entre Dolly et Elisabeth. Tu peux encore vivre ces deux personnalités séparément ?
C’est pas évident. C’est parfois fatiguant d’être une œuvre d’art toute la journée ! Non pas que je pense que je sois devenue une artiste complète, mais bon, je porte toujours mon maquillage façon Dolly. Je pense qu’il n’y a qu’un seul moment où ça disparaît : quand je me couche sur le canapé le soir, puis que j’écoute mon corps fatigué, affamé ou qui ne demande qu’à se détendre. Si t’es une œuvre d’art, tu dois être au sommet de ton intensité en permanence, en termes de présence et de regard. C’est pas comme écrire un livre, que tu peux mettre de côté par moments. Vu que je suis aussi sculptrice et artiste visuelle, je fais de la place pour la sculpture ou le dessin de manga dans mon atelier, mais c’est aussi lié à Dolly, donc voilà !  

La sculptrice, c’est Elisabeth ou Dolly ?
C’est aussi Dolly, mais j’ai un blaze pour mon côté artiste : Stripper Angel. J’ai pensé que ce serait cool pour les gens de voir une statue jaune vif dont on peut penser qu’elle a été faite par un homme tant elle est grande et bien faite, pour finalement s’apercevoir que l’auteure est une artiste appelée Stripper Angel. J’aime garder un peu de mystère, mais je joue souvent avec Stripper Angel / Dolly Bing Bing, parce que je suis plus connue sous ces blazes. 

La docteure en philo ressort parfois en Dolly ? 
J’essaie vraiment d’impliquer Dolly dans cette histoire. On m’invite parfois à donner des conférences, et je préfère qu’on m’annonce comme Dolly Bing Bing, qui est aussi philosophe. Mais iels ont beaucoup de mal avec ça. Iels préfèrent dire : « Elisabeth Van Dam est docteure de machin-chose… » Ce titre n’a même pas d’importance pour moi. Je fais de la philo parce que je pense que ça peut approfondir ma vie. Ma radicalité vient de là aussi. Si ton art et ta vie ne font qu’un, alors c’est presque un statement philosophique. J’incarne ma pensée. C’est pour ça que « Dolly Bing Bing » ne peut pas être considérée comme un pur projet de personnage. J’espère pouvoir montrer que ma pop renferme plein de dimensions.

J’imagine que les gens ne réalisent pas immédiatement ce qu’il y a derrière : « Kusje hier, kusje daar » (« Embrasse ici, embrasse là » en français) ?
Oui, mais quand les gens voient le clip, ils disent que c’est spécial. La pop, c’est aussi ça : mettre en avant quelque chose de fou sur du bon son. Les concerts pop et les shows de danse sont des genres d’opéras contemporains.

Les vrais shows concentrent danse, décors, lumière, bonnes paroles et musique en une seule performance. Pour moi, c’est de l’art avec un grand A. Des personnages comme Bowie et Lady Gaga le prouvent. C’est magistral.

Qu’est-ce qui manque à Dolly pour passer d’artiste niche à popstar internationale ? 
Je continue à me développer pour faire de la meilleure musique. J’essaie d’apprendre à produire et je me forme à ce niveau-là, parce que je pense que le chemin vers le succès reste la bonne musique. C’est ce qui lie les gens.

Retrouvez Dolly Bing Bing dans le showcase en ligne de Fifty Lab le 20 novembre. Cette année, le festival se tiendra en ligne et le line-up est 100% belge, mais le concept reste le même : différents festivals internationaux qui vous présentent une sélection de talents émergents. Dolly a été sélectionnée par le festival grec de Plisskën.

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