Le fait d’être grosse a également eu un grand impact sur ma vie dès mon plus jeune âge. En cherchant à gérer mon corps imposant et mes seins, je me heurte quotidiennement à la façon dont la grossophobie exclut les gens.
Le binding
C’est grâce à mon cercle d’ami·es et à la communauté queer que j’ai appris ce qu’était le « binding ». Le binding consiste à bander les seins pour avoir une poitrine plus plate. De manière générale, c’est assez facile de choper des informations sur le sujet, mais pas pour moi, en tant que small fat (une personne grosse qui rentre quand même dans des tailles plus size, NDLR.) avec des gros seins. Quand je regardais autour de moi, dans la communauté queer, je pouvais compter les gros·ses qui faisaient du breast binding sur les doigts d’une main.
Le moyen le plus simple de trouver lequel est le plus adapté à mon corps, c’est de les essayer. Sauf qu’en Belgique, les possibilités sont limitées. Je n’ai trouvé qu’un seul magasin physique où des binders sont vendus et peuvent être essayés : Babylone, à Aartselaar. Mais même là, les tailles n’allaient que jusqu’au XL. En plus, tout y est très binaire, classé en départements hommes ou femmes. En tant que personne non-binaire, ça ne m’a pas parlé. Sur internet aussi, j’ai été perdue avec les guides de tailles des différents sites. Sur certains sites, je tombe dans le 4XL ou le 5XL, d’autres n’ont même pas ma taille.
Quelque part, j’avais espéré que comme la pratique du binding fait partie du milieu queer, elle échapperait à la grossophobie, mais on dirait que c’est pas possible. Il est évident que la technologie du binding est principalement basée sur des corps minces et binaires. Je me retrouve dans un jeu d’équilibre interminable entre la dysphorie de genre et le dysmorphisme corporel (le décalage pathologique entre la réalité et la manière dont le sujet perçoit son corps, NDLR.), et je me demande tous les jours lequel des deux me pèse le plus.
« Pour la première fois, avec un T-shirt ample et une bonne posture, j’ai pu donner l’illusion que je n’avais pas de poitrine. C’est un soulagement énorme. »
La première fois que j’ai essayé un binder et que je me suis regardé·e, j’ai ressenti un sentiment de dysmorphisme. Toutes les parties de mon corps que je n’aime pas, comme mes bourrelets par exemple, étaient accentuées et j’ai ressenti une distance extrême avec le corps que je voyais dans le miroir. J’ai aussi dû laisser tomber l’idée de pouvoir complètement cacher ma poitrine avec un binder. Avec mes gros seins, c’est juste pas possible. Cela dit, pour la première fois, avec un T-shirt ample et une bonne posture, j’ai pu donner l’illusion que je n’avais pas de poitrine. Le soulagement d’avoir enfin cette option entre mes mains est énorme.
Pour de nombreuses personnes qui souffrent de dysphorie de genre à cause de leurs seins, le binding semble avoir des effets positifs au niveau de l’état d’esprit et de la santé mentale.
Un peu de temps passé sur réseaux et quelques discussions plus tard, je me suis vite rendu compte que le binding peut se faire de différentes manières et j’ai fait d’autres recherches pour savoir lesquels sont les meilleurs pour les corps gros. J’ai demandé à plusieurs marques (GC2B, Transmissie, BWYA, BOSS Binders et Spectrum Outfitters) de m’envoyer leurs binders pour les comparer.
Le binder long
Le binder long de Transmissie se tient très étroitement sur toute sa longueur, alors que celui de GC2B serre principalement sur la poitrine – la zone qui couvre l’arrière et le ventre est plus fine et donc moins rigide. Le binder de Transmissie me convient mieux, mais du coup, je ressens plus de dysmorphisme et de pression sur l’estomac. Il accentue aussi la largeur de mes hanches, ce qui peut aussi enclencher de la dysphorie. Comme je suis grosse, le binder long s’enroule assez vite quand je m’assoie. Et comme il est très rigide, il tient également chaud, ce qui peut être problématique en été.
Le binder en bande
Celui-ci ne me convient absolument pas. Je m’étais déjà préparé·e au fait qu’il ne s’adapte pas bien aux gros seins, mais je ne m’attendais pas à ce que ça provoque autant de dysphorie. Le binder en bance ne s’attache presque pas et ressemble à un petit top. Le but du binding est d’avoir une poitrine plus plate, mais ici, mes seins ont l’air encore plus gros. Sur le site, il est proposé en grandes tailles, mais rien n’indique que cette méthode de binding ne convient en réalité pas vraiment aux gros seins.
Le binder mi-long
Le binder mi-long de BOSS Binder est pas mal. Il est livré avec un racerback, ce qui réduit la pression sur les épaules. Vu que j’ai une blessure à l’épaule, c’est un plus. Il m’a fallu un peu de temps pour m’habituer à la longueur intermédiaire, mais il ne s’enroule pas comme le binder long et ne se glisse pas sous mes seins comme les petits modèles.
Le binder court
Le plus « standard » des binders, c’est le binder court. L’élasticité et le tissu dépendent de la marque. Avec les binders de BWYA et Transmissie, vous pouvez choisir entre deux intensités. Spectrum Outfitters utilise un tissu plus rigide pour que la partie du bas ne se glisse pas sous les seins.
La fermeture éclair est une chouette option. Ça simplifie le processus pour enfiler et retirer le binder, ce qui peut s’avérer utile si vous devez le retirer rapidement en raison de gêne respiratoire, par exemple. Ceci dit, la fermeture éclair diminue aussi la pression et donc l’efficacité du binder.
Le binder de bain
Il existe aussi des binders pour aller nager, spécialement conçus pour le sport. Par contre, il est important de vérifier si le binder est bien serré et si vous pouvez quand même bien respirer. Si l’intensité est la même que celle de votre binder habituel, ça peut être dangereux. Le binder de bain est fait d’un tissu spécial qui n’absorbe pas l’eau et sèche rapidement.
Le binder éthique
Au-delà des modèles, il existe aussi des différences d’un point de vue éthique.
Les Amor Binders – toujours en cours de développement – se concentrent sur des modèles adaptés à des personnes atteintes d’autisme. Ces binders se concentrent sur les sensibilités sensorielles du groupe cible et veillent à éviter les tissus rugueux, les étiquettes qui grattiquent, l’élasticité oppressante, etc.
Boss Binders se concentre davantage sur l’éthique et la durabilité du processus et utilise des matériaux recyclés pour fabriquer leurs binders. Ils sont fabriqués sur le territoire du peuple Wurundjeri et la marque se dit consciente du problème de la colonisation à Melbourne. Les modèles de Boss Binders sont toujours créés sur mesure parce que la marque ne veut pas contribuer à des stéréotypes de tailles pas assez inclusives, surtout pour les personnes obèses, celles ayant une grosse poitrine ou d’autres besoins. Leur équipe est constituée de personnes non-binaires qui vous guident dans le processus de sélection, tout en accordant de l’attention aux déclencheurs dysmorphiques ou dysphoriques qui peuvent être impliqués.
Les marques GC2B et FLAVNT tentent de combler le manque d’inclusivité autour du teint de la peau. Par exemple, dans leur gamme standard, elles proposent toutes deux cinq types de couleur de peau dans leurs modèles.
L’accessibilité concerne également le prix du binder. Si la plupart d’entre eux varient entre 30 et 60 euros, de nombreuses marques facturent un supplément si vous souhaitez un binder de plus grande taille que leur offre standard. Cette « taxe pour les gros·ses » fait souvent l’objet de débat pour son caractère discriminatoire. Malheureusement, le monde du binder n’est pas une exception.
Je remarque que les grandes marques, comme Transmissie, font de leur mieux pour être inclusives, mais qu’elles échouent souvent sur certains détails. Les petites marques, telles que Boss Binders ou Amor Binders, ont une relation plus personnelle avec la clientèle et peuvent donc travailler de façon plus personnalisée. Du coup, ces marques considèrent de manière plus consciente les gros corps et les personnes ayant des gros seins. Elles font aussi plus de recherches et testent la façon dont les binders sont reçus par leur public.
Dans l’ensemble, cette session d’essayage fût plutôt intense. Qu’il s’agisse du modèle de production, des tailles ou de l’information disponible, il est grand temps que les binders ne soient plus réservés aux corps blancs et minces, ni aux queers neurotypiques friqué·es.