Ça craint. Depuis un demi-siècle, son apparence est critiquée et notre tradition choque même à l’étranger, où l’on s’étonne que la Belgique entretienne cette caricature raciste. Et sortir l’excuse du ramoneur au visage sali par la cheminée revient à parler dans le vide : qui entre dans une cheminée en bon ramoneur espagnol pour en ressortir avec le visage complètement noir, des lèvres charnues rouges, des cheveux crépus et des créoles ? Et supposons que cette version insensée soit crédible, on ne peut nier l’impact négatif que ce personnage clownesque provoque sur la manière dont les enfants noir·es se perçoivent et se construisent. Quoiqu’il en soit, le débat sur Père Fouettard est autant devenu une tradition annuelle que la Saint-Nicolas en elle-même.
Pour mieux comprendre pourquoi cette tradition se perpétue, VICE Belgium et VICE Nederland ont partagé un sondage reprenant des questions détaillées sur votre manière de fêter la Saint-Nicolas et votre perception de Père Fouettard. Au total, on a récolté 5 294 réponses sur les deux territoires, dont 2 934 en Belgique. On a fait en sorte de toucher de manière équitable les différentes régions et générations. Ceci dit, il ne s’agit bien sûr que d’un sondage et non d’une étude, donc si les résultats sont parlants, ils sont également influencés, notamment par la plateforme utilisée pour le diffuser : Facebook.
La Saint-Nicolas, c’est vraiment notre truc
Au total, 85 % des personnes interrogées célèbrent d’une manière ou d’une autre la Saint-Nicolas. Et à notre surprise, ce résultat est encore plus haut pour la Belgique (89%) que pour les Pays-Bas (79%). Donc clairement, on y tient à cette fête.
Comment on le fête
En ce qui concerne la manière dont on célèbre la Saint-Nicolas, elle varie : 36 % des Belges interrogé·es la célèbrent avec une personne déguisée en Saint-Nicolas. Jusqu’ici, tout va bien. Là où ça craint, c’est que 47% de notre échantillon pense que Père Fouettard est indispensable à la réussite de cette fête.
Seul un quart des personnes interviewées disent qu’il s’agit d’un personnage de leur enfance qu’elles ne soutiennent plus et un autre quart pense qu’il est discriminant envers les personnes non-blanches. Le blackface, tout ça, c’est visiblement pas encore très clair pour tout le monde.
Du changement
Il y a donc un souci avec la reconnaissance du caractère raciste de cette tradition, et donc, forcément, avec l’envie de faire changer les choses. En effet, 70% des gens interrogés pensent que cette tradition doit persister car elle fait partie de notre culture. Seuls 30 % pensent que l’abolition de Père Fouettard contribuerait à rendre notre société plus inclusive.
Une solution serait peut-être de garder le personnage en changeant son apparence blessante. Mais même là, ça bloque : 62% de notre échantillon pense que le personnage doit rester tel quel. En gros, vous l’aurez compris, c’est pas jojo.
Générations, régions et genres
Alors oui, c’est déprimant. Ceci dit, tout n’est pas perdu. On a en effet analysé les résultats sous différents angles et il est intéressant de noter que les chiffres mentionnés plus haut varient considérablement en fonction des régions, du genre et des générations – on a divisé les âges en deux groupes : les personnes dites « jeunes », âgées entre 18 et 35 ans, et les plus de 35 ans.
Par exemple, si 47% des personnes interviewées pensent que Père Fouettard est indispensable à une Saint-Nicolas réussie, ce taux est tout de même nettement inférieur auprès des femmes (36%) et si on se concentre sur Bruxelles (33%).
On remarque aussi des différences notoires entre la Belgique et les Pays-Bas, où la question est beaucoup plus abordée et où, chaque année, des manifestations ont lieu pour mettre fin à cette tradition. Les chiffres le montrent : en tout, 70% des personnes pensent qu’il ne faut pas changer la tradition car elle fait partie de notre culture, mais ce pourcentage s’élève en réalité à 76 % en Belgique contre 63 % aux Pays-Bas. Il y a donc du travail et peut-être devrions-nous suivre l’exemple de nos voisin·es en donnant plus de visibilité au problème, comme à Deurne en 2019.
Dernier exemple, cette fois du point de vue générationnel : si seulement 24% de l’ensemble des personnes interviewées reconnaissent le caractère discriminant de Père Fouettard, on atteint les 33% auprès des jeunes, pour seulement 12% auprès des plus de 35 ans.
Et c’est là que ça devient intéressant. Car si ces chiffres montrent que l’activisme fait son effet, et surtout que les plus jeunes sont davantage ouvert·es aux changements, c’est qu’il y a quelque chose à faire. En plus, on n’a même pas interrogé le groupe le plus important : les enfants. Ce qu’iels pensent de tout ça est toujours mis de côté. L’activiste Mireille-Tsheusi Robert a cependant conduit une étude à petite échelle qui indique que les enfants noir·es âgé·es de 3 à 11 ans voient le Père Fouettard comme un Africain, et qu’iels considèrent que son personnage renforce des stéréotypes négatifs sur les Noir·es.
La Saint-Nicolas est une super fête : qui n’a pas envie d’offrir et recevoir des cadeaux et se goinfrer de chocolats jusqu’à en avoir mal au ventre ? Mais comment la célébrer tout en sachant qu’elle exclut une partie de la population et qu’elle est tout simplement discriminatoire ? Tant que Père Fouettard version black face existe, Saint-Nicolas ne peut être une fête pour tout le monde.
Il est temps de mettre fin à cette tradition.
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