Dans un jugement historique rendu un an plus tard, le 20 novembre, un tribunal de Hangzhou a jugé qu’il était illégal pour le zoo de collecter les données biométriques faciales des visiteurs sans leur consentement. Cette décision a été largement saluée sur les réseaux sociaux comme une mesure de justice attendue depuis longtemps. « La commodité des technologies de pointe se fait au sacrifice de notre vie privée, peut-on lire en commentaire sur Weibo, une plate-forme chinoise similaire à Twitter. Nous avons le droit de dire non. »
Guo a obtenu une modeste compensation de 160 dollars, mais cette affaire très médiatisée a remis en question l’idée que les 1,4 milliard d’habitants du pays ne se soucient pas de leur vie privée. Et bien que toute remise en cause de la surveillance de l’État ait peu de chances d’aboutir à quoi que ce soit, les experts estiment que cette décision pourrait contribuer à freiner la collecte massive de données à des fins commerciales.
« Nous espérons que l’issue de notre affaire sera un signal d’alarme pour les entreprises technologiques, dit Ma Ce, un des avocats représentant Guo. Le grand public, après avoir vu le verdict, pourra s’opposer à la collecte obligatoire de données biométriques et dire que c’est une pratique déraisonnable et illégale. »
Cette affaire survient à un moment où les espaces physiques et virtuels, des résidences aux applications de paiement, se bousculent pour se procurer la technologie de reconnaissance faciale, parfois avec des justifications douteuses.
Mais les abus généralisés et les fréquentes fuites de données ont sapé la confiance des gens dans cette technologie. Une enquête réalisée en 2019 auprès de 6 154 personnes a révélé que plus de 70 % des personnes interrogées s’inquiétaient des fuites de données personnelles dues à l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale dans les espaces publics.
Ce scepticisme croissant a incité les autorités chinoises à réglementer les technologies de surveillance. « Cela surprend probablement les gens, dit Jeremy Daum, chercheur senior au centre chinois Paul Tsai de la faculté de droit de Yale. Mais chaque gouvernement est composé de personnes qui sont des citoyens, qui ont des familles, et donc, qui comprennent ces questions. De plus, le système juridique de la Chine est sensible à l’opinion publique. Et si le public devient très inquiet par ces questions, ce qui, je pense, est le cas d’un grand nombre de personnes, alors, oui, la loi veillera à maintenir un équilibre plus explicite. »
Un abus de confiance
Dans le cadre de ces efforts, la Chine est en train de rédiger une loi sur la protection des informations personnelles et une loi sur la sécurité des données, limitant l’utilisation des caméras de reconnaissance faciale aux seules fins de sécurité publique. Et le premier Code civil chinois, qui comprend un article protégeant les données personnelles, entrera en vigueur ce mois-ci.
En l’absence de lois réglementant la collecte d’informations biométriques, Ma, l’avocat, explique que les consommateurs n’ont pas d’autre choix que de demander réparation en cas de violation des données par une rupture de contrat ou une atteinte aux droits individuels. C’est pourquoi son client, le professeur de droit Guo Bing, a poursuivi le zoo non pas pour l’utilisation non autorisée de ses données biométriques, mais pour rupture de contrat.
Guo et sa femme avaient fourni leurs photos lors de l’inscription au pass annuel. Guo a fait valoir que le zoo avait rompu le contrat en utilisant leurs images sans leur consentement et en remplaçant les scanners d’empreintes digitales à l’entrée par le nouveau système de reconnaissance faciale.
Le tribunal populaire du district de Hangzhou Fuyang a ordonné au zoo de supprimer les photos soumises par Guo et sa femme. Mais le tribunal a rejeté quelques autres demandes de Guo, notamment une demande visant à ce que le parc supprime toutes leurs informations biométriques – données faciales et empreintes digitales – sous le contrôle d’une organisation tierce. Guo a fait appel devant le tribunal le 30 novembre.
Une riposte
Guo, qui enseigne le droit à l’université de science et de technologie du Zhejiang, n’est pas le seul à lutter contre l’utilisation incontrôlée des technologies de surveillance. Lao Dongyan, professeure de droit à l’université de Tsinghua, contribue également à sensibiliser le public aux violations potentielles des données.
Au début de cette année, elle a envoyé une lettre à son gestionnaire immobilier pour protester contre l’installation d’un système qui permettrait l’accès en scannant le visage des résidents. « Le déploiement massif de la technologie de reconnaissance faciale exploite en partie la psychologie de la majorité silencieuse, a déclaré Lao au journal The Paper. Si vous ne vous battez pas, si vous n’essayez pas, comment pouvez-vous savoir qu’il n’y a aucun espoir de changement ? »
La société gestionnaire de sa résidence a finalement accepté de laisser les propriétaires choisir entre les badges d’accès, les téléphones portables et la reconnaissance faciale pour y accéder.
Hangzhou, siège de nombreuses entreprises technologiques en Chine orientale, dont Alibaba, envisage d’interdire aux sociétés de gestion immobilière de demander aux résidents de fournir des données biométriques en raison d’éventuelles fuites de données et d’une possible atteinte à la vie privée.
Guo, le professeur qui poursuit le zoo de la ville, a joué un rôle important dans la promotion de ce projet de loi, explique Ma. Si elle est adoptée, la loi de Hangzhou sera la première loi chinoise à réglementer l’utilisation de la reconnaissance faciale dans les complexes résidentiels.
L’entreprise financière Ant Group, qui gère les paiements du site Alibaba, a notamment introduit un dispositif permettant aux clients de sourire devant une caméra pour effectuer un paiement, sans avoir à sortir leur téléphone. Le système a fait ses débuts dans un KFC de Hangzhou en 2017 pour permettre aux clients de passer commande sans utiliser d’argent liquide ou leur téléphone. Il a depuis été mis à la disposition des détaillants sous la forme d’un appareil de la taille d’un iPad appelé Dragonfly, mais les analystes ont déclaré au Wall Street Journal qu’il n’avait pas réussi à gagner la faveur des consommateurs, invoquant la lourdeur du processus d’inscription et les craintes d’une mauvaise utilisation de leurs données.
Et un récent projet de la ville de Dongguan, dans le sud du pays, visant à utiliser la technologie de reconnaissance faciale dans les toilettes publiques pour lutter contre les voleurs de papier toilette, a été suspendu suite à un tollé sur les réseaux sociaux pour des raisons de protection de la vie privée.
Big Brother observe toujours
Mais selon Daum de Yale, il est peu probable que les nouvelles lois protègent les citoyens chinois contre la plus vigilante de toutes les entités en Chine, à savoir le gouvernement chinois, car le Parti communiste au pouvoir considère la surveillance de masse comme essentielle au maintien de la stabilité.
« En fin de compte, lorsque les choses se gâteront, la sécurité publique et la sûreté publique auront la priorité sur la vie privée », dit-il.
Le recours du gouvernement chinois à la surveillance pour affirmer son contrôle sur une population est sans doute le plus criant dans la région extrême ouest du Xinjiang, où les autorités chinoises ont mis en place un réseau de surveillance invasif pour surveiller les Ouïgours et d’autres minorités en grande partie musulmanes, prétendument pour prévenir le terrorisme.
Selon Xiao Qiang, chercheur spécialisé dans la technologie et les droits de l’homme à l’Université de Californie à Berkeley, bien qu’il y ait des préoccupations relatives à la vie privée et que le secteur privé puisse être contraint de restreindre son utilisation de la technologie de reconnaissance faciale à l’avenir, cela ne changera pas l’accès des autorités policières chinoises aux données individuelles. « Le gouvernement chinois ne pense qu’à contrôler. Et la collecte de données, y compris la technologie de reconnaissance faciale, est la meilleure technologie de contrôle », dit-il.
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