Né en Algérie et arrivé en 2012 en France, Massinissa Chaouche, formé dans l’hôtellerie, espère y trouver une vie meilleure. À Lille, tout d’abord, où il se rend vite compte que la connaissance de la langue anglaise est essentielle pour travailler dans son secteur d’études en France. Il décide de changer de voie et de préparer un diplôme de service de sécurité incendie. Obtenu avec succès, il part pour la capitale où il rejoint son frère pour chercher un emploi. Il est rapidement embauché en CDI comme agent de sécurité incendie et se trouve un appartement dans la foulée. Mais loin de sa famille, le trentenaire se sent seul.
« Je voulais être avec la femme que j’aime » raconte-t-il les yeux brillants. Bien que mariés, les conjoints sont séparés, sa compagne est alors toujours en Algérie. Il se renseigne donc sur les démarches à suivre pour demander un regroupement familial (permet de donner à un ressortissant étranger, titulaire d’un titre de séjour en règle, le droit d’être rejoint par un membre de sa famille). À la préfecture, on lui conseille de trouver une deuxième activité à temps partiel : « Je ne gagnais que le SMIC, on m’a dit que ça allait être juste pour qu’on accepte mon regroupement familial et qu’il valait mieux que je prenne un autre travail pour avoir plus de chance de mon côté. »
Massinissa cumule alors un temps plein et un temps partiel pour gagner péniblement 2 000 euros par mois. Après de longues procédures, sa femme parvient finalement à le rejoindre en France en 2017. Deux enfants naissent de cette union. Une de six mois et une autre de trois ans qui le rendent particulièrement fier. Une large sourire illumine son visage lorsqu’il prononce leurs prénoms. La suite logique des choses semble logique pour le jeune père : demander la nationalité française. « Je suis intégré, je paye mes impôts, j’ai un travail en CDI, mon appartement, ma femme et mes deux filles nées en France. J’ai préparé ma demande de naturalisation en pensant qu’il n’y aurait aucun problème. » Et c’est ce que lui a confirmé la préfecture de Saint-Denis lors de son entretien qui l’a rassuré et lui a affirmé que son dossier était plus que complet. Une fois validé par la préfecture, son dossier a été transféré au ministère de l’Intérieur. Et quelle ne fut pas la surprise de Massinissa en découvrant que sa naturalisation était non seulement refusée mais en plus rejetée parce qu’il avait trop travaillé.
« Je me sens Français, je travaille et paie mes impôts comme tous les Français. J’ai toujours refusé de dépendre d’aides sociales et on me dit que je ne peux pas être Français parce que je travaille trop. »
Dans la lettre du ministère, on lui explique qu’il n’a pas respecté la réglementation sur le temps de travail en France. Massinissa a travaillé à temps plein 151 heures par mois et à temps partiel 100 heures par mois. La législation veut que le temps maximal de travail hebdomadaire n’excède pas 48 heures. L’agent de sécurité a dépassé le nombre légal de temps maximum travaillé. Une situation que Massinissa qualifie d’injuste et d’absurde : « J’étais vraiment déçu, je me sens Français, je travaille et paie mes impôts comme tous les Français. J’ai toujours refusé de dépendre d’aides sociales et on me dit que je ne peux pas être Français parce que je travaille trop. »
Marié, avec un CDI, un logement et des enfants nés en France, il cumulait tous les critères pour espérer une naturalisation. Pourtant, il n’est pas le seul. En 2020, la médiatisation d’un Rémois, dans la même situation que Massinissa, lui avait de voir son dossier être réétudié. L’avocat de ce dernier, Simon Miravete, habitué des naturalisations n’avait encore jamais vu de tel motif de refus. Il existe, cependant, plusieurs autres cas similaires même si extrêmement rares. Généralement, la raison d’un refus la plus souvent évoquée s’avère être l’inverse : un manque insuffisant de ressources. En ce qui concerne l’habitant de Reims à qui on avait refusé la naturalisation pour avoir trop travaillé, le gouvernement s’est chargé de l’affaire. La ministre déléguée à la citoyenneté, Marlène Schiappa, a demandé à l’administration de réexaminer cette situation au titre du “droit à l’erreur” pour inscrire la demande dans celles des personnes étrangères ayant travaillé en première ligne pendant la pandémie de Covid-19 et ainsi la faciliter.
Ajourné pendant deux ans, Massinissa a tenté un recours, sans avoir les moyens de se payer un avocat, ce qui s’est soldé par un échec. Il doit à présent attendre avant de pouvoir déposer un nouveau dossier. Pour être en règle, il a abandonné son travail à temps partiel tout en continuant quelques missions, en complément de son CDI, qui lui permettent de gagner en tout 1500 euros par mois. Une situation difficile à gérer avec ses deux enfants en bas âge à charge.
« Je n’ai jamais imaginé que ça pouvait me porter préjudice. Au contraire, je me disais que c’était ça l’intégration et être un bon citoyen. »
Pas une fois, lors de notre rencontre, Massinissa n’élève la voix de colère en racontant son histoire. Alors oui, il aurait pu travailler au noir, ne pas déclarer ses heures mais même ça, il ne le regrette pas. « On m’a proposé plusieurs fois de travailler au noir mais je n’ai jamais voulu. Mon objectif, ça a toujours été d’être en règle. Quand j’ai débuté mon deuxième travail à temps partiel, je n’ai jamais imaginé que ça pouvait me porter préjudice. Au contraire, je me disais que c’était ça l’intégration et être un bon citoyen. »
Une législation qui amène certains candidats à la nationalité française à ne pas déclarer leurs revenus ou à vivre avec un très bas salaire. Pour Massinissa, il est évident que la France l’incite à demander des aides sociales : « J’ai eu l’impression qu’on m’encourageait à ne pas travailler et à aller à la CAF. » Rappelons malgré tout que cette durée maximal hebdomadaire reste un des droits fondamentaux du Code du travail. Elle permet d’éviter certaines dérives de la part d’employeurs peu scrupuleux. Dans le cas de Massinissa, il s’agit d’un choix délibéré dans le but de subvenir aux besoins de sa famille sans avoir recours à des aides.
Loin d’être découragé, le jeune père se bat pour ses filles et sa femme. Il est hors de question pour lui de baisser les bras. Après avoir travaillé comme agent de sécurité incendie durant les deux confinements, Massinissa espère profiter du dernier décret du ministère de l’Intérieur qui vise à simplifier la demande de naturalisation de ceux qui ont travaillé en première ligne durant la crise sanitaire. Autrement, il devra attendre 2022 pour réitérer sa demande de nationalité française. Une fois sa carte d’identité en main, Massinissa sait déjà ce qu’il fera : tenter d’acheter son propre appartement.
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