Des policiers se tiennent près du corps, recouvert d’une couverture, de Pierre Goldman, militant gauchiste, assassiné dans le 13e arrondissement de Paris, le 20 septembre 1979 par un commando d’extrême-droite nommé “Honneur de la Police”. PIERRE GUILLAUD / AFP.
Et trois sergents déguisés en pékin,
J’ai jamais vu de plus chouette métingue,
Que le métingue du Métropolitain !
– Le grand métingue du Métropolitain, chanson de Maurice Mac-Nab
C’est un peu l’Arlésienne de la manifestation. Le flic en civil qui fout le bordel et justifie par son action la charge violente de ses collègues. La méthode a été documentée, que ça soit par Maurice Mac-Nab, qui écrivait en 1887 Le Grand métingue du Métropolitain et faisait parler un manifestant, rond comme une queue de pelle, conduit au poste suite à une altercation avec un mouchard dans un meeting, Jaurès qui dénonçait les « agents provocateurs » devant l’Assemblée durant les grèves ouvrières des Carmaux ou Jean-Luc Mélenchon qui mentionnait en 2010 « la présence dans les cortèges de personnes infiltrées qui jettent des pierres, brisent des vitrines et ensuite sortent des brassards de police ».
Le soupçon pèse à chaque défilé. La rumeur est d’ailleurs revenue, tenace, lors de plusieurs actes du mouvement des Gilets jaunes où l’on pouvait entendre le slogan « Police, casseurs » résonner dans les rues de la capitale. En mars 1979, la CGT pensait même tenir la démonstration du machiavélisme des condés. Alors que la Lorraine est montée à Paris pour manifester contre le démantèlement de l’appareil sidérurgique français, le service d’ordre de la CGT met le grappin sur Gérard Le Xuan, gardien de la paix qui joue les autonomes. « Combien y avait-il d’hommes comme celui-là parmi les casseurs ? Qui pourrait croire qu’ils agissent à titre individuel et comment ne pas rapprocher ces faits de certaines lacunes inexplicables dans le dispositif du service d’ordre ? », s’interroge le syndicat. La préfecture démentira cette version des faits la qualifiant de « complète affabulation ».
L’affaire Le Xuan ne s’arrête pas là. Dans la nuit du 8 mai de la même année, Maurice Lourdez, employé d’imprimerie et responsable de la coordination du service d’ordre de la CGT est réveillée par une explosion. Sa voiture vient de partir en fumée, le blast faisant voler en éclat les vitres des baraques alentour et provoquant d’importants dégâts matériels. Aucune victime n’est à déplorer mais, dans une lettre adressée à l’AFP, « Honneur de la police », groupuscule encore inconnu au bataillon, revendique déjà l’attentat. Pour justifier le plastiquage, les factieux invoquent le sort de Le Xuan, « agressé et violemment frappé » par les cégétistes. Ils dénoncent aussi le laxisme du Ministère de l’intérieur qui aurait « renoncé à assumer la défense judiciaire de ses fonctionnaires ». La missive se conclut par une menace : « les policiers de tous grades solidaires se préparent à assurer désormais eux-mêmes leur défense. Ils en ont les moyens. »
Pour Frédéric Charpier, auteur de l’ouvrage Les plastiqueurs : une histoire secrète de l’extrême droite violente, « Honneur de la police » n’est qu’un prête-nom : « il ne s’agit pas d’une organisation en tant que telle. Elle n’est pas davantage d’extrême droite ni affiliée à aucun groupe. C’est plutôt un label commode pour les commanditaires de ces flingages, principalement les services spéciaux. » Et le label va être particulièrement actif, multipliant les menaces de mort – à l’encontre de Bernie Bonvoisin, le chanteur de Trust, ou de Coluche à qui il est reproché sa participation au film de Claude Zidi Inspecteur la Bavure – allant même jusqu’à la tentative d’assassinat sur la personne de Jean-Pierre Vigier, physicien, ancien résistant et communiste. Selon George Moréas, commissaire principal honoraire de la Police nationale, même Gaston Defferre, fraîchement nommé à l’Intérieur, reçoit deux balles à quelques semaines d’intervalle, « dont l’une dans une enveloppe à l’entête de la Préfecture de police ».
Durant sa courte période d’activité, « Honneur de la police » va revendiquer un assassinat, celui de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, proche du grand banditisme, condamné à la perpétuité pour le meurtre de deux pharmaciennes lors d’un braquage boulevard Richard-Lenoir. Derrière les barreaux, Goldman, qui ne cesse de clamer son innocence, écrit un retentissant Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France et bénéficie du soutien de l’intelligentsia. La mobilisation lui permet d’obtenir un second procès durant lequel il est acquitté. Le 20 septembre 1979, libre depuis à peine trois ans, il est abattu à bout portant dans le 13e arrondissement de Paris. « Honneur de la police » endosse la responsabilité du contrat : « la justice du pouvoir ayant montré une nouvelle fois ses faiblesses et son laxisme, nous avons fait ce que notre devoir nous commandait. »
Des policiers ont-ils pu être impliqués dans ces affaires ? Moréas n’en démord pas. « Je ne pourrais pas le prouver mais je peux vous le dire. ‘Honneur de la police’ est un groupuscule qui existait de fait, sans statuts, et était composé de gens d’extrême droite et de policiers ». Pour Charpier, la main-d’œuvre était surtout protéiforme, « Sans doute individuellement très à droite et puisée dans le milieu d’un certain mercenariat très prisé pendant la guerre froide. On y trouvait un peu de tout dont des soldats de fortune, des ex de l’OAS (Organisation armée secrète), quelques activistes d’extrême droite et du SAC (Service d’action civique). »
Le nom de ces deux organisations paramilitaires revient d’ailleurs régulièrement dès qu’il s’agit de remonter la piste du groupuscule. Moréas y voit par exemple la main du SAC, l’ancienne « police parallèle » du régime gaulliste, tout en admettant qu’aucun élément tangible ne peut corroborer son diagnostic. C’est cette théorie que le journaliste Michel Despratx avait livrée en 2010 dans un numéro de Spécial Investigation, obtenant les témoignages de la moitié du supposé commando responsable de la mort de Goldman ; un membre des Renseignements généraux et un autre de la DST qui auraient agi sur ordre de Pierre Debizet, à l’époque dirigeant d’un SAC que François Mitterrand finira par dissoudre en 1982.
Le choix du plasticage de la bagnole de Maurice Lourdez oriente plutôt vers les méthodes terroristes utilisées par l’OAS en Algérie dans les années 1960, que Mike Davis décrit dans Petite histoire de la voiture piégée. L’auteur américain rappelle que le « bombardier du pauvre » est l’arme idéale pour les groupuscules marginaux. Un détail qui rejoint le témoignage de Lucien Aimé-Blanc. En 2006, le commissaire qui avait participé à la traque de Jacques Mesrine dévoilait dans un livre qu’un de ses indics, Jean-Pierre Maïone-Libaude, ancien membre des commandos Delta de l’OAS, aurait « flingué » Goldman pour le compte des GAL (Grupos Antiterroristas de Liberacion), commandos espagnols qui entendaient par ce meurtre ralentir l’approvisionnement en armes de l’ETA.
Point commun de toutes ces affaires dans lequel le nom d’« Honneur de la police » apparaît ? Elles n’aboutiront pas. Pour Charpier, cela s’explique par des connivences en haut-lieu : « Ces opérations barbouzardes étaient tout simplement couvertes au plus haut sommet de l’Etat. C’était une autre époque. J’imagine mal qu’il puisse en être ainsi de nos jours. » Moréas tempère : « Il y avait probablement un peu de cinéma derrière toutes ces déclarations. Que des policiers utilisent des truands d’extrême droite pour faire des coups, ça reste de l’hypothèse et peut-être même du roman. »
« Il y a toujours eu une tendance extrémiste de droite dans la police, rappelle Charpier. Mais l’extrême droite n’a pas toujours été l’alliée indéfectible de la police. L’Action française menait campagne contre elle dans les années 1920, le 6 février 1934 la police républicaine a tiré sur les émeutiers d’extrême-droite et pendant la guerre d’Algérie, l’OAS a tué des policiers ». Alors que le vote policier glisse consciencieusement vers la droite de la droite et que le dernier coup de filet dans l’ultradroite a révélé que des membres des forces de l’ordre projetaient des attaques terroristes sur le sol français, l’auteur ne s’inquiète pas outre mesure. « La DGSI et le Renseignement territorial (ex RG) font leur travail, surveiller et prévenir. Ce qui n’empêche pas la menace terroriste émanant de la droite activiste d’exister, mais pour l’heure elle semble être jugulée par les services et d’autant plus aisément du fait de la crise sanitaire. »
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