En 2020, le bien-être des personnes trans en Europe a reçu la pauvre note de 6,3/10. Selon la même étude, 39% des personnes transgenres en Belgique ont déjà commis une ou plusieurs tentatives de suicide, contre 4,3% pour le reste de la population belge. 

La crise sanitaire a mis à mal notre santé mentale dans le monde entier. Une hausse significative des dépressions et pensées suicidaires chez les personnes trans a également été observée, en partie en raison du manque de conseils psychologiques et de l’accès limité aux soins pour les personnes trans pour cause de Covid-19. 

Les soins de santé mentale pour les personnes trans constituent une question aussi délicate que nécessaire car toute transition est en principe accompagnée d’un soutien psychologique. Soutien qui, parfois, n’est pas des plus adaptés.

Lou (32 ans), Mars (24 ans) et Susan (24 ans) nous ont fait part de leurs expériences qui témoignent du manque d’attention porté au genre dans le domaine de la psychologie.

Susan (24, iel)

« J’ai été admis·e l’année dernière dans le service psychiatrique d’un hôpital (PAAZ) où je suis resté·e deux mois. Mon expérience dans ce département n’a pas été très positive, principalement parce que le personnel était en sous-effectif, mais aussi à cause des réactions auxquelles j’ai eu droit sur le genre et la sexualité. J’ai ressenti beaucoup de dysphorie de genre parce que le personnel s’adressait constamment à moi avec les mauvais pronoms. En plus de ça, à chaque repas, un plateau m’attendait avec écrit “Mme…”.

Un jour, j’ai dit à une infirmière que je participais à la Pride. Elle n’avait jamais entendu parler des questions LGBT+ et m’a dit : “Ah, ce bordel d’arc-en-ciel ?”. J’étais dans une situation très difficile sur le plan mental et je n’avais pas la force de parler de mon identité de genre, du coup j’ai gardé pour moi le fait que j’étais non-binaire. J’avais aussi peur qu’on problématise mon genre ; comme si c’était la cause de mes troubles mentaux, alors que ça n’avait aucun rapport

L’attention était également trop portée sur le “coming-out”, car c’est la première question que les infirmières m’ont posée lorsque je leur ai dit que je n’étais pas hétéro. Elles m’ont directement demandé : “Est-ce que ça a été difficile de faire son coming-out en tant que lesbienne ?”. Je ne suis pas lesbienne, mais elles l’ont immédiatement supposé, comme elles ont supposé que mon coming-out avait été traumatisant. La société considère le coming-out comme un tournant, mais je pense que c’est absurde. Les hétéros ne font pas leur coming-out, donc bon. 

« J’ai gardé pour moi le fait que j’étais non-binaire car j’avais peur qu’on problématise mon genre ; comme si c’était la cause de mes troubles mentaux, alors que ça n’avait aucun rapport. »

Parmi le personnel, il semblait y avoir une sorte de prise de conscience. L’une des infirmières a elle-même admis que ça faisait 25 ans qu’elle n’avait pas fait d’études et qu’il n’y avait aucune formation sur les genres et la sexualité. Elle a dit qu’elle trouvait ça regrettable et espérait que les choses soient différentes maintenant. 

Après mon admission à la PAAZ, je suis allé·e dans un centre psychothérapeutique, où mon expérience a été bien meilleure. Là-bas, mon genre n’a jamais été problématisé. On n’en parlait que lorsque je l’évoquais moi-même et les psychologues ne considéraient pas que c’était mon problème principal. J’ai moi-même créé un document avec des informations sur les pronoms et certaines difficultés et je l’ai remis au personnel. C’était ma tactique. Si je leur fournissais un dossier contenant toutes les informations, iels n’auraient pas à me harceler de questions. Mais c’est clairement là que le bât blesse. Le personnel soignant doit recevoir une formation de base sur le genre et la sexualité

Heureusement, il y avait d’autres personnes queer dans le groupe de thérapie. Ça rendait l’environnement plus sûr. C’était une sorte d’alliance. La personne qui a intégré le groupe après moi était également non-binaire, et je sais que d’autres endroits ont accueillent aussi des personnes non-binaires. J’espère que ça va faire bouger les choses au niveau du personnel. »

Lou (32, il/lui ou iel)

« Je suis agenre (se dit une personne qui n’a pas de perception de genre ou qui ressent une absence de genre, NDLR.) et j’ai subi une ablation des seins il y a quelques mois. Maintenant que l’opération est derrière moi, je me sens plus que jamais mieux dans mon corps, mais je ne m’attendais pas à ce que les premières semaines soient si difficiles à vivre mentalement. 

Depuis l’âge de 14 ans, je déteste mes seins. Dès que j’ai su que je pouvais me les faire enlever, je ne pensais plus qu’à ça. Pourtant, l’opération a eu un impact mental plus important que prévu. D’une part, à cause de la convalescence, et d’autre part, parce que l’opération n’a pas vraiment apporté la libération que j’attendais. J’ai dû accepter le fait que les gens continueraient à m’appeler “madame”. Avant l’opération, j’étais encore naïf et j’espérais que ça changerait. 

Autre déception : en plus de l’opération j’ai voulu prendre de la testostérone. L’un n’allait pas sans l’autre ; je pensais que je ne serais jamais accepté si je ne me conformais pas pleinement à l’image de “l’homme” et c’était certainement dû à des réactions transphobes. Le médecin m’a demandé si je connaissais les effets secondaires de la testostérone. J’avais fait des recherches en ligne, mais je n’ai pas osé poser plus de questions car j’avais peur qu’on me les refuse si je n’avais pas l’air assez sûr de mon choix.

Après quelques injections, j’ai décidé d’arrêter le traitement car je n’étais pas préparé aux sautes d’humeur qui allaient avec. Maintenant, je me suis rendu compte que je devais suivre mes propres sentiments. 

« Les personnes mentalement fragiles devraient avoir les mêmes droits aux hormones et à la chirurgie. »

J’ai l’impression qu’il existe encore une idée transphobe selon laquelle être une personne trans est une maladie mentale, mais les médecins doivent reconnaître que le fait d’être transgenre est une identité, et non une maladie mentale. Les personnes mentalement fragiles devraient avoir les mêmes droits aux hormones et à la chirurgie. J’en suis moi-même le parfait exemple : je souffre de dépression chronique et de SSPT (syndrome de stress post-traumatique), mais depuis mon coming-out et ma chirurgie mammaire, je me sens beaucoup plus heureux. 

Être constamment mégenré, c’est super lourd. On m’appelle constamment “elle”,  ou “madame”. Parfois, je réagis, mais ça m’arrive de laisser couler. En général, je n’ai plus l’énergie pour corriger les gens, parce que si je le fais, la plupart se sent attaquée. Iels me renvoient la charge mentale avec des arguments du genre : “Faut que tu comprennes que c’est difficile de t’accepter comme t’es”. Parfois, j’ai presque un sentiment de culpabilité, comme si être trans était un choix et qu’il fallait en supporter les conséquences sans ciller. 

Ce genre de malentendu s’est même produit à l’hôpital où j’ai été opéré. Après mon rétablissement, je suis allé voir le médecin, qui a dit à un·e collègue au téléphone : “Il y a une personne trans assise ici avec moi et elle vient de subir une mastectomie.” C’est le comble de l’absurde. J’ai trouvé ça tellement indélicat. De la part de médecins, je m’attendais à mieux. 

« Tout comme une personne noire n’a pas pour mission d’éduquer les Blanc·hes au niveau du racisme, je ne veux pas dépenser toute mon énergie à donner un cours sur le genre et la sexualité au début d’une thérapie. »

Mon psy semblait également ne pas être sensible à mon expérience. C’est difficile de trouver des thérapeutes qui ne sont pas transphobes et qui ont suffisamment de connaissances sur le sujet. J’ai même eu une autre psy qui m’a carrément dit qu’elle ne comprenait pas pourquoi j’étais sorti du placard en tant que personne trans et m’a dit : “T’as de si beaux sourcils, si féminins.” 

Il faut que ça change. Tout comme une personne noire n’a pas pour mission d’éduquer les Blanc·hes au niveau du racisme, je ne veux pas dépenser toute mon énergie à donner un cours sur le genre et la sexualité au début d’une thérapie. Les psychologues devraient se documenter davantage sur le sujet afin d’avoir une base lorsqu’un·e patient·e trans se présente. De cette façon, les personnes transgenres pourront se sentir plus en sécurité. »

« J’ai obtenu mon diplôme de psychologie appliquée en 2017 et à l’époque, on abordait à peine le genre et la sexualité. Il y avait une énorme lacune au niveau éducatif et j’espère que ce vide a été comblé à ce jour. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai moi-même suivi un Master sur le genre et la diversité

Après avoir longtemps cherché un·e psy queerfriendly en tant que patient non-binaire, j’ai décidé de créer mon propre cabinet. J’avais déjà pensé à frapper à la porte de l’équipe chargée des questions de genre de l’hôpital universitaire de Gand pour obtenir du soutien psychologique, mais les listes d’attente sont terriblement longues. Par nécessité, je me suis retrouvé chez un psy avec lequel je dépensais trop d’énergie à défendre mon identité. En tant que personne non-binaire, j’avais déjà constamment le sentiment de devoir m’expliquer et me défendre en société, alors je ne voulais pas avoir à le refaire avec mon psy

Par exemple, j’ai déjà consacré une séance entière à expliquer mes pronoms et pourquoi ils sont importants pour moi. Mais par la suite, le personnel a continué d’utiliser les mauvais. À quoi bon se donner tout ce mal ? Lorsque je mentionnais le terme “non-binaire”, il y avait une sorte de fascination de la part du corps médical. Mon psychologue a même dit qu’il avait toujours à faire aux “cas à part”. Je ne voulais pas que ma thérapie soit centrée sur ma non-binarité, mais la conversation déviait et le psychologue m’a posé des questions sur des parties de mon corps et si j’éprouvais des difficultés avec celles-ci.

« J’ai déjà consacré une séance entière à expliquer mes pronoms et pourquoi ils sont importants pour moi. Mais par la suite, le personnel a continué d’utiliser les mauvais. À quoi bon se donner tout ce mal ? »

La recherche d’un·e psychologue queerfriendly s’est poursuivie et un ami m’a finalement conseillé un psychologue queer. Je me sens beaucoup plus en sécurité maintenant. De toute façon, je ne pense pas pouvoir trouver mieux parce qu’il n’y a tout simplement pas beaucoup de psychologues queer. 

Avoir une connaissance du genre et de la sexualité c’est bien, mais je trouve qu’avoir des psy queer, c’est vraiment un plus. La consultation se passe mieux quand tu sais que la personne en face de toi est en phase avec ce que tu vis. Ça ne doit pas forcément être exactement la même expérience, sinon on devient trop proches et c’est “délicat”. 

Avec mon cabinet et les “Queer Space Counseling”, je veux faire la différence dans le paysage des soins psy. Je peux apporter sécurité et réconfort, car je suis moi-même queer et je veux me concentrer sur ce groupe cible. »

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