“C’est ça aussi son héritage. Il ne voulait pas que le Morvan soit trop accessible”, s’amuse Dominique Boulenger, patron de l’un des trois bars de la commune aux deux mille âmes, plus enclin à s’épancher sur le charme de son pays que sur les élections régionales des 20 et 27 juin prochains, quand on l’interrompt dans sa journée de travail de 15 heures. Comme sur l’ensemble du territoire, le fief historique de l’ancien président de la République redoute une démobilisation générale à l’heure où le Rassemblement national fait de la Bourgogne-Franche-Comté l’une de ses cibles.
“Ah oui, mais c’est dans dix jours!”, s’étonne une femme d’un certain âge, retraitée, en discutant avec une amie devant les affiches des différents candidats placardées sur des panneaux en bois le long de la rue principale de “Château”. Elles n’ont pas prévu de se rendre jusqu’aux urnes.
Sur la région, les gens ne croient plus en grand-choseChantal-Marie Malus, maire de Château-Chinon
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Preuve de cette forme de désamour, la nouvelle édile de Château-Chinon s’est présentée sans étiquette en 2020 face au maire-adjoint sortant pour rompre avec plus de soixante ans de gestion estampillée socialiste. “Sur la région, les gens ne croient plus en grand-chose”, nous dit Chantal-Marie Malus depuis son petit bureau aux rideaux partiellement tirés pour éviter que le soleil plombant ne surchauffe davantage la pièce. “Il y a une forme de désespérance ici, à tel point que la mobilisation des gilets jaunes n’a pas pris dans le département en 2018, même si beaucoup de gens sont désormais anti-politique”, raconte l’édile de 62 ans, venue de la société civile.
Il faut dire que les griefs sont multiples quand on s’enfonce dans le cœur du Morvan. Plus au Nord, à une trentaine de kilomètres de la sous-préfecture, dans le village de Gouloux, 180 habitants, presque autant de lacets pour y accéder. Gaëlle Cuchet dessine un portrait nuancé de son pays: riche, généreux, mais abandonné. La mère de famille travaille depuis trente ans dans la “saboterie Marchand”, fierté locale fondée par un intime de Mitterrand en 1947. Et si elle compte bien voter le 20 juin prochain, elle ne sait pas encore pour qui. Une chose est sûre: “la région mérite mieux que les élus actuels, ou alors il faut qu’ils se bougent!”
Nos représentants doivent prendre conscience qu’on a encore des endroits sans internet, je ne parle même pas des routes abîmées, les jeunes sont inquiets pour leur avenir…Gaëlle Cuchet, une habitante du Morvan
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“Ces jeunes, on les compte sur les doigts des deux mains”, coupe court Dominique Boulenger du “Montana”, trop heureux de voir sa terrasse garnie d’étudiants en goguette, juste sortis de leurs journées de cours, et de motards venus profiter des routes ensoleillées du massif.
Mais quand bien même, cette quiétude apparente n’empêche pas la montée en puissance de l’extrême droite dans la région. “Il y a beaucoup de petites communes dans le cœur du Morvan qui tournent Front national”, constate, amer, l’ancien propriétaire du Vieux Morvan, cet hôtel devenu mythique à Château-Chinon pour avoir accueilli François Mitterrand le soir de ses victoires électorales, de 1959 au 10 mai 1981.
Ils étaient des villages martyrs de la guerre et maintenant ça vote Front national…? C’est incompréhensible.Bernard Menuel, ancien propriétaire du Vieux Morvan à Château-Chinon
“D’une terre rose, voire rouge, les gens sont en train de passer au bleu marine”, confirme Chantal-Marie Malus, désabusée, à l’heure où Julien Odoul, le candidat du Rassemblement national, est donné seulement trois points derrière la présidente de région sortante, Marie-Guite Dufay (PS), au second tour en Bourgogne-Franche-Comté, selon un récent sondage Ipsos Sopra Steria.
Pendant ce temps, le buste de “Tonton” trône toujours sur les hauteurs de Château-Chinon, comme s’il veillait sur son écrin émeraude. La route du Morvan, et ses charmes, s’échappe au loin, sans que l’on sache comment, François Mitterrand, depuis les forces de l’esprit, vivrait ce possible basculement.
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