Les inondations qui ont frappé l’Europe ces dernières semaines ont mis en évidence une chose : personne n’est à l’abri de la crise climatique. En Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en Autriche, les crues dévastatrices ont tué plus de 200 personnes. Beaucoup sont encore portées disparues. À Londres, des stations de métro et des hôpitaux se sont retrouvés sous l’eau. Au cours de la même période, des pluies torrentielles ont tué 115 personnes sur la côte ouest de l’Inde et ont inondé la ville de Zhengzhou en Chine.

Certains de ces événements étaient prévisibles. Par exemple, l’Inde s’attendait à de fortes précipitations en raison de sa saison de mousson, mais leur intensité a été exacerbée par le changement climatique. Les scientifiques ne cessent de nous mettre en garde contre ce phénomène depuis des années, mais nombreux sont ceux qui, en Europe, ne commencent à y prêter attention que lorsque des catastrophes se produisent. Et ce n’est qu’un début : d’autres phénomènes météorologiques extrêmes, comme les vagues de chaleur et les incendies de forêt, seront de plus en plus fréquents. Après des décennies de déni, de colère, de marchandage et de dépression, voici quelques-unes des dures vérités que nous devons accepter.

Limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré ne nous sauvera pas

En 2015, lors de la COP21 à Paris, les gouvernements du monde entier ont accepté de limiter le réchauffement de la planète « à un niveau bien inférieur à 2, de préférence à 1,5 degré Celsius, par rapport aux niveaux préindustriels ». L’accord a été signé par 197 pays et ratifié par 191. Tous les grands pollueurs se sont engagés à réduire leurs émissions.

Mais ces dernières semaines, nous avons assisté à un déferlement de catastrophes climatiques extrêmes dans de nombreuses régions du monde : inondations, canicule en Amérique du Nord et en Scandinavie, incendies en Sibérie, en Grèce, en Espagne et en Italie. Tout cela se produit au niveau actuel de réchauffement de la planète, qui est d’un peu plus d’un degré seulement. En d’autres termes, même si nous atteignons l’objectif très ambitieux de 1,5 degré, nous ne vivrons pas dans un monde plus sûr. 

L’augmentation des températures sera ressentie différemment à travers le monde. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), un organisme des Nations unies consacré à la crise climatique, les régions les plus touchées seront l’Arctique en hiver et les régions de latitude moyenne, dont certaines parties de l’Europe, en été. Les scientifiques estiment que la planète se réchauffera de 0,2 degré par décennie et que nous atteindrons le seuil de 1,5 degré entre 2026 et 2052.

Selon les données du GIEC, avec un climat plus chaud de 1,5 degré, les vagues de chaleur extrêmes se multiplieront et auront des conséquences que nous ne mesurons pas encore totalement. Par exemple, en 2018, les centrales nucléaires de cinq pays européensFinlande, France, Allemagne, Suède et Suisse – ont dû être arrêtées parce que leurs eaux de refroidissement étaient trop chaudes. 

Parallèlement, certaines régions du monde connaîtront des précipitations de plus en plus importantes et le risque d’inondations graves qui en découle. D’autres connaîtront davantage de sécheresse. Le rapport du GIEC indique également qu’une augmentation de 1,5 degré des températures pourrait tuer jusqu’à 6 % des espèces d’insectes et 4 % des espèces de plantes, mais cet impact variera fortement selon les écosystèmes. 70 à 90 % des récifs coralliens pourraient disparaître au cours des vingt prochaines années. Le rapport indique également que ces chiffres deviendront (sans surprise) encore plus alarmants si la température augmente de 2 degrés.

On n’est pas près de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré

Limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré est un compromis. Un niveau auquel nous pouvons encore espérer gérer relativement bien les effets du changement climatique. Plus le climat se réchauffe, plus les risques augmentent de voir des habitats détruits, des vies menacées, des maladies, des mauvaises récoltes, des pénuries d’eau, des famines et des conflits internationaux. Limiter le réchauffement climatique à 2 degrés aurait des conséquences beaucoup plus dramatiques pour la planète que si l’on parvient à réaliser l’objectif de 2015, même si la différence n’est que de 0,5 degré.

Selon Climate Action Tracker, une organisation indépendante qui analyse les performances des pays par rapport aux objectifs de l’accord de Paris, seuls deux pays dans le monde sont en passe de respecter la limite maximale de 1,5 degré : le Maroc et la Gambie. La plupart des autres pays tendent actuellement vers les 3 degrés ou plus. 

La plupart de ces risques se développent progressivement. Mais il existe aussi des points de basculement dans le système climatique, c’est-à-dire des seuils qui, lorsqu’ils sont dépassés, peuvent entraîner des grands changements dans l’état du climat. Par exemple, il existe une température maximale au-delà de laquelle le Gulf Stream disparaîtra et la forêt amazonienne se transformera en savane. 

Ces changements pourraient être irréversibles et personne ne peut déterminer exactement à quelle température ils se produiront. Il est également possible qu’ils interagissent les uns avec les autres et déclenchent un effet domino. La limite de 1,5 degré a été fixée précisément parce que les scientifiques sont convaincus qu’elle est loin de provoquer l’un de ces points de basculement.

Pour maintenir une hausse des températures de 1,5 degré, les années qui nous séparent de 2030 sont cruciales. En 2019, le Programme des Nations unies pour l’environnement a estimé que les émissions devaient baisser de 7,6 % chaque année pour respecter cette échéance. En 2020, année où le monde a connu la plus forte baisse des émissions mondiales de CO2 jamais enregistrée en raison de la pandémie, la baisse n’a été que de 5,8 %

À ce rythme, on s’attend à une augmentation d’environ 2,1 à 3,9 degrés d’ici 2100. Notre monde aurait alors un aspect très différent, dans lequel les civilisations actuelles pourraient difficilement fonctionner.

La responsabilité du changement climatique n’est pas répartie de manière égale

Les pays où le processus d’industrialisation est encore en cours et où la population n’a pas accès à des énergies propres émettent actuellement beaucoup de CO2. Bien qu’il soit facile de pointer du doigt la Chine, l’Inde ou la Russie, il est important de noter que les responsabilités du changement climatique ne sont pas partagées de manière égale entre les différents acteurs

Selon un rapport de 2017 du Carbon Disclosure Project, seulement 100 entreprises sont liées à 71 % des émissions totales de gaz à effet de serre depuis 1988. L’année dernière, une mise à jour a révélé que 20 d’entre elles sont responsables d’un tiers de toutes les émissions produites depuis 1965. Évidemment, il s’agit principalement d’entreprises de combustibles fossiles, dont beaucoup reçoivent d’énormes subventions de la part des gouvernements du monde entier, y compris en Europe, ce qui compromet les objectifs climatiques.

Par ailleurs, les pays à revenu élevé ont toujours émis une quantité disproportionnée de pollution. Comme le montre un document de 2020, leur développement a été à l’origine de la majorité des émissions au cours des siècles et « s’est appuyé sur l’appropriation de la main-d’œuvre et des ressources du Sud ». Aujourd’hui encore, après des années d’action en faveur du climat, l’UE et les États-Unis sont responsables à eux seuls de 23 % des émissions, alors qu’ils ne représentent qu’environ 10 % de la population mondiale.

En 2015, les pays riches se sont mis d’accord sur un aspect essentiel de l’accord de Paris dont on ne parle pas souvent : ils se sont engagés à apporter un soutien financier de 90 milliards d’euros aux pays pauvres pour faciliter leur transition écologique et les aider à atténuer les effets du changement climatique. Actuellement, ces politiques financières sont à la traîne. Cette question sera probablement l’un des principaux sujets de discussion lors de la COP26 en novembre 2021.

Nos actions ne sont pas assez radicales

Pour éviter une catastrophe climatique, nous devons réduire considérablement nos émissions dans un avenir proche et devenir totalement neutres en carbone le plus rapidement possible. Et par « nous », il faut entendre tous les secteurs et tous les pays.

Pendant des années, la lutte contre le réchauffement climatique a été présentée sous l’angle de la responsabilité individuelle : si vous voulez faire la différence, vous n’avez qu’à adopter des habitudes plus écologiques en matière d’alimentation, de transport ou de consommation. Mais ces changements personnels détournent l’attention des décisions difficiles et profondes qui doivent être prises pour restructurer d’énormes secteurs de nos sociétés comme l’énergie, les transports, l’agriculture, la construction et l’approvisionnement alimentaire. 

Le problème est que même nos actions les plus radicales ne vont tout simplement pas assez loin. En avril 2021, l’UE a dévoilé son pacte vert européen visant à réduire les émissions de 55 % d’ici à 2030 et à devenir neutre en carbone d’ici à 2050. Les mesures comprennent la fermeture des centrales électriques alimentées au charbon, l’interdiction des moteurs à essence et la mise en place d’une taxe sur le kérosène pour les vols

L’accord doit encore être approuvé par les 27 membres et par le Parlement européen. Il s’agit d’un plan extrêmement ambitieux, notamment parce qu’il pourrait même devenir une loi, mais il n’est toujours pas compatible avec les objectifs de l’accord de Paris. Selon une analyse du Climate Action Tracker, pour atteindre l’objectif de 1,5 degré, l’UE devrait réduire ses émissions de 65 % – et non de 55 % – d’ici à 2030 et financer des mesures climatiques dans d’autres pays

Dans l’ensemble, les médias échouent souvent à communiquer l’urgence de la crise climatique. D’un autre côté, nous savons ce que nous devons faire pour empêcher le changement climatique de s’aggraver. Nous devons simplement définir nos priorités.

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