Les silos à grains détruits, photographiés un jour après l’explosion, le 4 août 2020. Photo : Hasan Shaaban/Bloomberg via Getty Images
Mais s’il existe de nombreux candidats au titre de symbole le plus puissant de l’effondrement du Liban, les restes partiellement détruits des silos à grains du port de Beyrouth sont en tête de liste. Ces structures de 45 mètres de haut, qui dominent la vue du bord de mer de Beyrouth lorsque l’on entre dans la ville par le nord, sont devenues des symboles involontaires de la négligence meurtrière du gouvernement libanais.
Les silos ont été gravement endommagés en août 2020, lorsque des explosifs mal stockés, dont des milliers de tonnes de nitrate d’ammonium, ont explosé, tuant plus de 200 personnes, endommageant ou détruisant des milliers de bâtiments et traumatisant collectivement des millions de personnes. Quatorze mois plus tard, les silos en ruine sont toujours là, avec à leur base des milliers de tonnes de céréales déversées. S’ils n’avaient pas absorbé une partie importante de l’explosion, les dégâts dans la ville auraient été bien plus importants.
Alors que le Liban, qui connaît rarement des précipitations entre mai et septembre, se prépare aux pluies d’hiver, il est possible qu’au moins une partie de la structure s’effondre avant que quelque chose ne soit fait. Mais malgré les avertissements précédents selon lesquels les silos pourraient s’effondrer à tout moment, personne ne semble vraiment savoir ce qui va se passer, ni avoir de plan.
« Il n’est pas possible de prédire s’ils vont tomber ou non, mais leurs structures ne sont plus intactes, explique Emmanuel Durand, un ingénieur suisse qui a placé des dispositifs de surveillance laser sur les tours plus tôt cette année. Je ne fais pas de prédictions. C’est comme lorsque vous surveillez un volcan : vous ne pouvez pas savoir quand il entrera en éruption, si jamais il y en a une. »
Durand fait partie d’un comité nommé par le gouvernement libanais qui formule des recommandations sur la manière de gérer le nettoyage en cours, lequel est entravé par le fait que le pays est complètement ruiné. D’autres produits chimiques toxiques présents dans le port, qui n’ont miraculeusement pas pris feu lors de l’explosion, sont restés en place pendant des mois, représentant un danger supplémentaire, avant que le gouvernement ne paie pour les faire expédier en Allemagne afin qu’ils soient éliminés au début de cette année.
Bien que Durand ait refusé de prédire quand les structures pourraient s’effondrer, il a recommandé de détruire la partie nord au plus vite car celle-ci subit beaucoup de mouvement. « Ma recommandation est de déconstruire le bloc nord parce que ça avance très vite, et pour le bloc sud, continuer à surveiller et s’il continue à être instable, le déconstruire également, dit Durand. Par déconstruction, nous entendons l’enlèvement minutieux, pièce par pièce. C’est une intervention qui coûte très cher, et le Liban n’a probablement pas cet argent en ce moment. Et puis, il a tellement d’autres problèmes. »
Durand compare les silos à la tour de Pise, qui, avant les travaux de reconstruction effectués au 20e siècle, s’inclinait jusqu’à 1,22 mm par an. « Le mouvement est beaucoup plus rapide que celui de la tour de Pise, et la structure est fortement endommagée. La situation du sol et des fondations est très mal connue. Ce dont nous sommes sûrs, c’est que les fondations sont endommagées et que c’est la raison pour laquelle les silos s’inclinent. »
En l’absence de déconstruction, Durand espère que les capteurs en place donneront un avertissement suffisant pour que la zone puisse être évacuée, évitant ainsi de nouvelles victimes. « Nous devons nous assurer que le silo ne fasse pas d’autres morts – s’il s’effondre, nous ne pourrons rien faire », dit-il.
Au fond des silos, environ 12 000 tonnes de céréales déversées attendent toujours d’être nettoyées et éliminées. On pense qu’une partie des céréales pourra être transformée en engrais ; le reste devrait être incinéré au Liban ou dans un autre pays. Mais comme les céréales restent sur place et pourrissent, elles présentent elles-mêmes des risques potentiels pour la santé.
Selon André El Khoury, professeur de microtoxicologie à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, qui est également membre du comité chargé de formuler des recommandations pour le nettoyage des débris, des champignons susceptibles de poser des problèmes respiratoires aux personnes vivant à proximité, notamment l’aspergillus fumigatus, sont présents sur les céréales.
Selon El Khoury, personne ne suit le problème de près en raison des limites actuelles du gouvernement. « Nous n’avons pas la capacité de faire des tests, mais même si personne n’a été blessé, il y a un grand risque, dit-il. Nous savons déjà que ces champignons sont présents, alors que faire ? Nous avons demandé à une entreprise d’utiliser un fongicide sur ces espèces d’aspergillus avant de traiter le grain. »
El Khoury souligne qu’il y a un certain nombre d’hôpitaux à proximité du port, dont les patients pourraient être infectés si le champignon se propageait dans l’air – ce qui est déjà probable étant donné que le grain se trouve en bord de mer – ou si les silos qui s’effondrent déversaient de nouveaux débris.
Un ouvrier qui travaille dans les silos explique que son équipe a reçu des équipements de sécurité, notamment des masques et des vêtements de protection, mais que les machines qui ont été amenées pour aspirer les céréales déversées ne sont pas encore totalement opérationnelles.
Un autre homme, qui travaillait également dans les silos avant l’explosion et qui a requis l’anonymat, dit qu’il ne pense pas vraiment à l’effondrement des silos. Le jour de l’explosion, il était en congé. Les restes de certains de ses amis et collègues, qui déchargeaient une cargaison de céréales à ce moment-là, ont été retrouvés des semaines plus tard. Les corps de certaines personnes n’ont jamais été retrouvés.
« Le pire est déjà arrivé », dit-il.
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