Souvent associé au bouddhisme, les origines de la méditation remonteraient en fait 1500 ans avant que le bouddha historique, Siddhartha Gautama, se mette à diffuser son enseignement dans le monde. Les plus vieilles traces archéologiques représentant des personnages assis en lotus ont été retrouvées du côté de la vallée de l’Indus et datent d’il y a 4000 ans. Visant à accéder à la connaissance en observant le fonctionnement de son propre esprit et celle de la réalité, la méditation s’est répandue dans la plupart des autres grandes religions comme le jaïnisme, le sikhisme, le taoïsme, le judaïsme, l’islam et le christianisme.
J’aurais donc pu choisir d’assouvir ma curiosité mystique en rejoignant des frères franciscains dans les plaines de la Beauce mais l’aspect exotique du déconditionnement offert par la distance géographique et le mindset indien ont pesé plus fort dans la balance. Ce qui m’a coûté en bilan carbone et en mauvaise conscience écologique m’a permis d’ouvrir les yeux sur la quête de contrôle propre à nos systèmes de pensées occidentaux. Comme l’écrit l’auteur de science-fiction Alain Damasio dans son dernier roman Les Furtif :
« Nous les gréco-romains n’avons suivi qu’une ligne d’horizon unique depuis le néolithique : c’est l’horizon du contrôle. […] Nous paramétrons nos conforts et nous sécurisons nos mondes pour qu’à l’intérieur rien ne nous arrive plus que ce nous voulons qui nous arrive : rien. »
La quête de la quiétude à travers l’emprise et la domination est pourtant illusoire. Les « crises » migratoires ou celle du covid mettent en lumière les vanités et la perméabilité de certains concepts de nos sociétés modernes telles que celui de notion de frontières interétatiques. Parmi les grandes caractéristiques de la réalité observées à travers le spectre des spiritualités indiennes et les pratiques méditatives qu’elles proposent, la notion d’impermanence occupe une place centrale. M’asseoir pour simplement observer mon souffle vital et la fluctuation de mes pensées m’aide à conscientiser la tendance de mon mental à vouloir figer les choses alors que la réalité est en mouvement constant.
Si mon initiation à la méditation n’a pas fonctionné comme une baguette magique et que mes démons n’ont pas totalement disparus, une pratique régulière m’aide à les apprivoiser. « L’esprit singe » – la métaphore qu’utilisent bouddhistes et taoïstes pour désigner notre mental qui passe d’une pensée à l’autre comme un primate sauterait de liane en liane – est un animal vorace jamais rassasié de désirs et de projections. La difficulté que je rencontre à me poser ne serait-ce que vingt minutes pour méditer dans mon quotidien français me fait réaliser à quel point la domestication de l’esprit singe demande une vigilance de tous les jours.
J’ai pourtant réussi à rester assis onze heures en silence pendant dix jours pour passer méthodiquement en revue chaque sensation de mon corps lors d’une retraite Vipassana ; suivi des gestes codifiés et fixé un point précis les yeux ouverts pour canaliser les pensées parasites sous la coupe d’un maître zen ; appris que les asanas (pratiques posturales) étaient destinées à calmer le mental avant de s’asseoir pour observer la dualité de l’esprit humain en restant plusieurs semaines dans un ashram de yoga Sivananda. Partout, j’ai entendu que la méditation est un état de conscience que l’on ne peut comprendre que directement et intuitivement et qu’il était préférable de pratiquer le matin avant d’être pris dans l’agitation du quotidien.
Personnellement, je trouve que ces temps d’introspection sont justement plus fructueux en milieu de journée. M’isoler pour me concentrer sur les bruits ambiants, puis sur ma respiration, me permet me recentrer, de prendre du recul sur les choses et de me protéger de l’anxiété. Encore faut-il que j’arrive à dompter l’esprit singe qui tente de me convaincre que j’ai mieux à faire et de me culpabiliser de prendre ce temps d’inactivité. Si je devais trouver un fil conducteur entre les différentes techniques de méditations auxquelles j’ai goûté en Inde, je dirais qu’il s’agit d’entrer simplement en rapport à ce qui est, tel que c’est. D’une manière générale, j’ai l’impression que ces pratiques contemplatives peuvent nous emmener à développer ce que le philosophe Pascal Chabot appelle le « progrès subtil » – et oppose au progrès utile techno-économique et cumulatif – en redécouvrant « les liens fondamentaux qui nous lient à nous-mêmes, à notre espèce, aux autres, à la planète, à la culture, aux sens ».
J’ai le sentiment que les moments d’introspection que je m’offre régulièrement – même s’ils relèvent plus de la jonglerie spirituelle que de l’ascèse – m’ouvre partiellement les yeux sur la manière dont fonctionne ma psyché et m’aident à déconstruire les objets de mes désirs
La méditation invite à aller chercher une inspiration en dehors du mental et à se tourner vers « soi ». Dans la philosophie indienne, « soi » (ātman) désigne la pure conscience d’être et s’oppose distinctement au « moi » et à l’égo. Pour le docteur en philosophie et en histoire des religions Marc Balanfat, « le ”moi” est le miroir dans lequel on se mire alors qu’il n’y a pas de narcissisme du soi. On peut être en psychanalyse pendant trente ans et on peut trouver dans son moi de quoi parler à l’infini : de ses parents, de son enfance, de ses douleurs, de son angoisse… Tourner le dos au ”moi” est la première étape pour se libérer de la souffrance. Plus le moi s’éteint, plus le soi grandit, c’est corrélatif ». (Podcast « Philosophie de l’Inde, une pensée venue du ciel ? », Les Chemins de la Philosophie, France Culture, 2020).
Les phrases de ce genre et des lectures diverses sur le zen, le yoga, et différentes spiritualités m’aident à me repérer dans la nébuleuse de la méditation et à donner du sens à ma pratique – même si « il ne faut rien attendre de la méditation » comme aiment à le répéter les gourous zen et hindous – tout en me mettant face aux paradoxes des produits de la sagesse folklorique.
Embrasser une vie de moine me paraîtrait parfois presque être une solution curative appropriée pour me libérer de la frustration et ne plus avoir à choisir entre les différents projets qui me traversent l’esprit et qui restent bien souvent au stade du fantasme dans ma tête. « Gare à ne pas illusoirement justifier la peur de vivre par un idéal spirituel » (L’Audace de Vivre, Paris, La Table ronde, 1989) met en garde le feu réalisateur et écrivain Arnaud Desjardins – l’un des premiers occidentaux à avoir fait découvrir aux français quelques grandes traditions spirituelles méconnues en Europe. « Immense mensonge que celui de se couper de sa propre profondeur vitale, de ses pulsions, de ses instincts, à travers la méditation. Il est indispensable de prendre le risque de vivre et celui de souffrir. Pour une spiritualité réelle et non une caricature, osez d’abord reconnaître pleinement toute la forme de vie qui est, en nous, divisée contre elle-même. »
Selon mon interprétation, l’enjeu serait donc de placer le curseur entre l’acceptation du cours des choses et l’action. D’explorer son intérieur pour savoir dans quel sens orienté ses contributions au monde. Écouter ses émotions et s’en servir de guides sans se laisser emporter par elles pour autant.
J’ai le sentiment que les moments d’introspection que je m’offre régulièrement – même s’ils relèvent plus de la jonglerie spirituelle que de l’ascèse – m’ouvre partiellement les yeux sur la manière dont fonctionne ma psyché et m’aident à déconstruire les objets de mes désirs. Je suis persuadé que la méditation peut aider à se protéger et renforcer sa vigilance envers les dispositifs contemporains de captage de l’attention. Pour autant, je pense qu’il n’en revient pas à la responsabilité des seuls citoyens de se discipliner face aux mécanismes d’addiction mis au point par des neuropsychiatres au service d’une industrie capitaliste qui utilise, cible et raffine quotidiennement notre attention. Tout comme je trouve intéressant de développer ses propres capacités à se soigner et à prendre soin de sa psyché dans un contexte où les déserts médicaux se multiplient et où la psychiatrie part en vrille, attention à la manière dont la spiritualité et le développement personnel peuvent être instrumentalisés pour justifier la privatisation de la souffrance sociale.
Pour les sociologues et psychologues Eva Illouz et Edgar Cabanas, en persuadant les individus qu’ils sont les seuls responsables de leur propre malheur, « c’est la construction collective même d’un changement sociopolitique qui se trouve hypothéquée ou du moins sérieusement limitée ». (Happycratie : Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, Paris, Premier Parallèle, 2018) A méditer.
VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.