Mon vagin et moi, on se connaît depuis longtemps. C’est une relation naturelle et solide comme le roc. D’une maladroite chute sur le guidon de mon vélo à sept ans à ces étranges premières règles à douze ; de la douleur douce-amère de ma première fois aux insupportables points de suture lors de la pose de mon stérilet, on a traversé beaucoup d’histoires ensemble. Mais récemment, un poil pubien est tombé dans la soupe. C’est curieux, mais j’ai fait très peu attention à mon vagin au moment de mon accouchement. Ce n’est que lorsque l’aide-soignante m’a annoncé la redoutable épisiotomie que j’ai réalisé qu’il risquait d’en sortir méconnaissable. On m’avait prévenu d’une « petite coupe ». Je peux vous assurer que dans les jours qui suivent, même une petite incision peut vous ouvrir grand les portes de l’enfer. 

Ma première visite post-partum aux toilettes et la douleur intense qui s’en est suivie m’ont fait maudire mon bébé. J’ai tout vérifié : est-ce que je saignais à mort ? Est-ce que j’avais encore des lèvres ? Sachez-le, même après avoir recousu une incision ou une déchirure, votre minou est assez (voire super) malmené. Le deuxième jour par exemple, j’ai donné naissance à « un deuxième bébé » : un caillot de sang de la taille d’un poing est tombé dans ma serviette hygiénique. « Je vais le peser », m’a dit la sage-femme. J’ai jamais eu la réponse quant au poids du colosse, mais je m’en suis toujours pas remise. Et mon vagin non plus.

« On a juste perdu le contact »

Dans les semaines qui ont suivi la naissance, la sage-femme a contrôlé que tout était OK. Quoi qu’il en soit, les choses se sont rétablies progressivement et les pires douleurs ont disparu au bout de deux semaines. Mais encore maintenant, même sous la douche, j’arrive toujours pas à toucher mon vagin. Comme s’il m’était étranger. On a juste perdu le contact

J’ai perdu la connexion. Quelque chose ne marche plus. Et bien que mon copain  me rassure en disant que tout a la même apparence qu’avant et qu’il est au moins aussi serré (comment c’est possible ? Une suture de trop ?), je continue d’ignorer mon amie la vulve pour le moment. Quand je m’aventure dans le jeu de l’amour, je suis perdante. Je me sens comme une mère peu attrayante avec des seins qui pendent. Et cette douleur. Quelle douleur. Est-ce que d’autres femmes ont ressenti la même chose ou je suis juste une meuf relou ?

Sexe ou dodo ?

« Pendant l’accouchement, on tenait un miroir devant moi pour que je puisse regarder. C’était un beau moment », dit Félicia Appiah (30 ans), devenue mère à 19 ans. « Il y avait déjà un peu d’Abel là dehors, mais pour l’essentiel, il était toujours en moi. » Son premier regard sur son fils sera aussi son dernier regard sur son vagin pendant un long moment. « À l’époque, personne ne m’avait prévenue que ma sexualité était une chose à laquelle je devais à nouveau prêter attention de façon consciente. Il m’a fallu environ un an pour reconnaître à nouveau que cette partie du corps ne servait pas seulement à faire pipi et à accoucher ». Heureusement, l’accouchement de Félicia s’est bien déroulé. « J’étais jeune et je voulais surtout que tout reste intact. Ça s’est déchiré un peu vers le haut, vers mon clitoris. Ça a fait très mal après coup. Deux jours après la suture, les fils ont été retirés à ma demande. La douleur infernale avait disparu. » 

En tant que jeune mère, Félicia ne connaissait personne d’autre souffrant des mêmes maux dans son entourage immédiat : « Ma mère adoptive ne pouvait pas avoir d’enfants et mes amies étaient tout simplement occupées à d’autres choses. C’était difficile ». L’allaitement, les vergetures, la notion de muscles du plancher pelvien ; il y a beaucoup d’éléments inconnus qui vous tombent dessus. « Pendant cette première période agitée, tu penses pas au sexe, poursuit-elle. T’es juste épuisée. Les quelques heures de sommeil que t’as sont si précieuses que tu veux pas en sacrifier une seule pour vous envoyer en l’air. En plus, tu fais déjà beaucoup pour les autres à ce moment-là. Mon bébé était ma priorité absolue. À ce moment-là, le sexe ne semblait pas être quelque chose que je devais faire pour moi-même. Il a fallu six mois avant que je m’y remette. Et non sans difficultés. J’exagère pas quand je dis que la déchirure a continué à me gêner pendant au moins un an après l’accouchement. Je suis même retournée chez le gynéco. Et j’avais même plus envie de me masturber. » Évidemment. Je me demande s’il y a des femmes qui aiment encore jouer la mandoline après avoir accouché.

« Moi, je ne me suis plus jamais touchée en bas, à part pour faire ma toilette », explique Sophie Whetton (30 ans), qui a accouché il y a un an et demi. « Pendant que j’accouchais, on a brièvement posé ma main sur la tête à peine sortante de mon bébé, mais j’ai trouvé ça tellement dégoûtant et je me suis retirée. Cette tête gluante, c’est une sensation étrange… » Au moins aussi étrange, pense Sophie à voix haute, que ce sentiment de dégoût pour son propre corps. « On en sait trop peu sur l’anatomie féminine et c’est pas dû au hasard, remet-elle. La controverse autour de L’origine du monde de Courbet en est un bon exemple. » Ce que Sophie me raconte est une vérité amère que Caroline Criado Perez défend dans son best-seller Invisible Women. « Dans le milieu universitaire, on part historiquement du principe qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre le corps masculin et le corps féminin. Ceci étant, l’homme est considéré comme la “norme”, et ça a des conséquences majeures sur la formation des médecins et par conséquent sur la façon de soigner les femmes », affirme l’auteure. Elle parle d’un « Gender data gap ». Aujourd’hui encore, cette norme masculine reste dominante, ce qui fait qu’on ne connaît que trop peu l’anatomie féminine. Sophie a également subi une épisiotomie avant d’être recousue. « Je me suis sentie disloquée de mon corps pendant un long moment. Je savais qu’on m’avait recousue, mais je refusais d’y toucher. C’était très inconfortable. » Au cours des premiers jours qui ont suivi son accouchement, elle a été particulièrement troublée. « Pendant les trois jours d’hospitalisation, j’ai pas porté de pantalon, à la surprise des infirmières. J’étais juste assise là dans cet espèce de peignoir qui recouvre la robe d’opération de l’hôpital. »

Vagina Familias

Il est généralement conseillé d’attendre au moins six semaines après l’accouchement avant d’avoir des relations sexuelles. En tant que femme enceinte et en bonne santé, j’avais hâte d’y être. Six semaines, ça me semblait incroyablement long. En tant que nouvelle mère, je le sais mieux que quiconque : j’ai l’impression d’avoir juste fait une petite sieste depuis l’accouchement. Et puis voilà, l’étape des six semaines s’est écoulée dans le plus grand des silences. Principalement à cause de mon partenaire – qui a essayé de me faire la cour même avec des cheveux sales, ou du moins non lavés, et mon pantalon de survêt’ – et de la peur que mon hymen repousse comme de la mauvaise herbe, je me suis finalement réfugiée à nouveau sous mes draps. Sophie me rassure : « J’ai eu des douleurs vaginales pendant trois mois après l’accouchement. Aller aux toilettes était particulièrement horrible. Au bout de six mois, j’étais prête à avoir à nouveau des rapports sexuels. J’avais besoin de ce temps, physiquement et mentalement. Je ne me sentais plus attirante. » Ce nouveau corps crée le doute. Félicia a également dû s’y habituer. « Le simple fait de réaliser que j’avais l’air différente me mettait très mal à l’aise. Quand je rencontrais quelqu’un, il y avait toujours ce sentiment récurrent qui me rongeait de l’intérieur : est-ce qu’il remarquerait quelque chose de bizarre sur mon vagin ? »

« Je suis attachée à mon corps, mais on a besoin de temps pour se retrouver. »

Car outre votre vagin, votre bébé et vous-même, il y a bien sûr le donneur de sperme. Il veut aussi de l’attention. « Toute mon énergie est allée au bébé. En même temps, je m’inquiétais pour mon partenaire car il ne recevait presque plus aucune affection à cette époque », explique Sophie. J’ai senti que je devais le rassurer en lui disant que tout allait revenir à la normale, aussi bien dans notre vie sexuelle que par rapport à mon corps. Ça peut sembler très anti-féministe, mais je vois le sexe comme une sorte de devoir. Ça fait partie d’une relation saine. Je l’avais jamais vu sous cet angle. Mon vagin est-il la figure de proue, le noyau chaud, de notre relation ? « Pour moi, c’est un moyen de garder tout le monde heureux et la relation vivante, explique Sophie. Donc le lien avec mon vagin est principalement fonctionnel. Il donne la vie et l’entretient. » Fonctionnel ou non, pour Sophie, il fonctionne manifestement. « Quand j’y suis enfin arrivée, j’avais plus aucune douleur pendant mes rapports. En fait, notre vie sexuelle s’est améliorée. Depuis la naissance de notre fils, mon partenaire et moi sommes plus proches l’un·e de l’autre. Il y a une connexion plus profonde. Je trouve aussi ma vie plus épanouissante et ça me rend vraiment heureuse. » 

Félicia, elle aussi, s’est depuis reconnectée avec elle-même. « C’est peut-être l’âge ou le fait d’être avec une femme maintenant, mais faire l’amour me semble beaucoup mieux aujourd’hui. Je suis plus à l’aise avec moi-même, avec l’aspect et la sensation de mon vagin. Mon vagin et moi sommes sur une bonne longueur d’onde. »

Mes conversations avec Sophie et Félicia se terminent toujours sur un ton léger et plein d’espoir. Parler de la relation avec son vagin – peut-être de la relation la plus intime qu’une femme puisse connaître – n’est pas toujours facile. En tout cas, c’est pas un sujet qu’on peut partager tout haut lors d’un voyage en train. En fait, j’avais jamais lu de textes à ce sujet auparavant, et aucun·e gynécologue ni sage-femme ne m’avait jamais prévenue que les relations sexuelles étaient différentes après avoir eu un enfant. C’est pas un problème de premier ordre, mais c’est pas non plus une raison pour ne pas en parler. En parler met les choses en perspective. Je suis attachée à mon corps, mais on a besoin de temps pour se retrouver. Cette recherche a son propre rythme et sera différente pour chaque femme, mais une chose est sûre : tous les chemins mènent à la zone pubienne.

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