Photo de Melanie Acevedo.
Il est difficile de savoir exactement quand Instagram est devenu… ce truc. (Même Kim Kardashian et Kylie Jenner sont d’accord.) La plateforme que j’adorais ne me laisse plus scroller moins de deux secondes sans me montrer une quelconque boule de burrata fondante, une rénovation d’appart ou une robe faussement classe à me faire livrer en deux deux. Hé, oh, hello Insta, j’en veux pas, de tes merdes ! Sorry, mais on dirait bien que tu es en train de te diriger tout droit vers le purgatoire des réseaux sociaux, prêt à rejoindre tes potes MySpace, Facebook et… Ello.
Les fans de la première heure s’accorderont sur le fait que la situation s’est dégradée quelques années après la vente de l’entreprise à Facebook, devenu Meta, en 2012 (et après l’arrivée massive de fans de Tumblr sur Insta). Mais depuis ce moment-là, nous sommes encore beaucoup à avoir pris du plaisir sur l’appli. Comment aurions-nous pu être au courant des soirées auxquelles on n’avait pas été invités sans ces Stories granuleuses puant l’alcool ? Comment aurions-nous pu savoir quel ex-candidat de télé-réalité avait décroché tel ou tel partenariat dans la fast fashion sans notre feed varié et mouvant ? Comment aurions-nous pu assister à des concerts de l’autre côté de la planète sans les vidéos Insta ?
Je t’aimais vraiment, Instagram. Tu étais le cousin le plus chic de Facebook — que tout le monde a déserté suite à la prise de pouvoir des boomers racistes et des théoriciens du complot. L’élection de Donald Trump a clairement mis fin à l’idée que Facebook puisse être un endroit où les moins de 40 ans désiraient passer leur temps, à moins qu’ils n’aient besoin de checker la tête de l’actuelle meuf de leur ex du lycée, ou les brocantes et manifs à venir. Et tandis que Facebook s’affaiblissait, Instagram gagnait en puissance.
Mais maintenant, ouvrir Instagram n’a plus rien d’une partie de plaisir. Ces Suggested Reels, wtf ? Pourquoi avoir expérimenté avec un feed au format 9×16 ? Et pourquoi je ne vois plus les posts de mes potes ou le contenu de mes artistes favoris ? Quand est-ce que tout a dérapé ?
Pour être honnête, tout ça pourrait être la conséquence de n’importe lequel des éléments suivants.
La suppression des likes
Lorsque Instagram a commencé à être pointé du doigt concernant son effet dévastateur sur la santé mentale — ce qui a, apparemment, choqué tout le monde — la réponse du réseau n’a pas été d’indiquer quelles photos avaient été retouchées, de supprimer les filtres beauté ou de nous donner l’occasion de faire disparaître les filles plus sexy que nous de l’onglet Explore. Non. Sa stratégie a consisté à nous offrir la possibilité de cacher le compte des likes sous les posts. Ça peut évidemment être utile pour certains, d’accord. Mais ce faisant, le réseau récolte toujours autant de données à vendre aux annonceurs et continue à mettre agressivement en avant Instagram Shopping. On peut donc continuer à se sentir hyper mal dans nos peaux, mais de façon plus privée. Cool.
Le diktat de la réalité embellie
La culture du paraitre est intrinsèque à Instagram, oui, mais c’est aussi la maladie chronique de l’application. Qui a vraiment envie de voir un influenceur se la couler douce dans son jet privé pendant qu’il est entouré de gosses qui braillent dans un train bondé ? Et même pas un vrai jet privé, hein, une maquette de jet privé.
Ce nouveau besoin d’exagérer nos existences, sans oublier un feed non chronologique qui donne la priorité au contenu des influenceurs, a transformé Instagram. Auparavant endroit sympa pour partager les photos des moments précieux de nos vies, la plateforme est aujourd’hui un lieu où il faut devenir la pire personne imaginable. N’était-ce pas plus rigolo quand on pouvait simplement poster des couchers de soleil et des gros plans de notre chien ? Réfléchissez deux secondes : à quand remonte la dernière fois où vous avez utilisé le filtre Valencia ? Il s’agissait sans doute de votre dernier moment de pur bonheur. En élevant à ce point les standards et enjeux de son contenu, la plateforme a effrayé tout le monde. Résultat, on a les jetons de poster un truc pas assez bien, et le site devient une course à la gloire pour les influenceurs et les connards.
Vous savez ce qui est dingue ? Le fait qu’une génération entière de femmes est convaincue que les légumes insipides peuvent être aussi satisfaisants qu’un plat de pâtes, et ce en grande partie grâce à Instagram. Le boom des influenceurs healthy a transformé nos feeds en tas d’assiettes et des plats fades, essayant de nous faire avaler que ces trucs allaient autant nous rassasier que la nourriture du diable (aka le pain et le gluten).
Si la situation était déjà assez grave comme ça, toutes ces conneries ont malheureusement ouvert la porte aux influenceurs fitness. Vous savez, ces hommes et ces femmes au corps d’acier enveloppé dans du lycra qui pensent que tout le monde veut assister à leur « meal prep’ » hebdomadaire (une longue file de Tupperwares identiques remplis de poulet non épicé, de brocoli vapeur et de patate douce). La conséquence de tout ça ? Les recettes nécessitant des paquets de beurre entiers ont rencontré un succès de dingue sur TikTok. Les spaghettis de légumes, ou « courgetti » (oui, je sais), ont affamé la population pendant dix longues années. Oui, nous avions faim de changement.
Pousser les personnes les plus créatives tout derrière
Ce qu’il y avait de vraiment cool avec Insta, c’était que la plateforme nous mettait en relation avec des personnes qui avaient des choses à dire (beaucoup de travailleuses du sexe, de militants politiques, de militants queer ou de féministes y ont d’ailleurs trouvé leur public).
Pour les TDS en particulier, il était essentiel de pouvoir utiliser IG comme outil marketing. En plein COVID (époque pas si lointaine où, rappelez-vous, le contact physique n’était plus vraiment à l’ordre du jour), ces entrepreneurs avaient bien besoin d’un tel support pour réussir à attirer les clients sur leur OnlyFans. S’ils avaient vendu des bougies faites maison, ça serait passé crème. Mais parce qu’ils vendaient des trucs un peu sexy, ils ont été expulsés de la plateforme (ou muselés), comme des enfants surpris à fumer derrière l’église le dimanche matin.
Des histoires similaires sont arrivées à certains activistes ou à tout autre individu osant ne pas se sentir embarrassé par ses tétons. Le fait de supprimer les comptes et de frustrer les personnes qui rendaient Instagram intéressant revient pour le réseau à se tirer une balle dans le pied. Mais on peut toujours se faire des salad bowls en trois étapes. Ah ça oui.
L’Instagram Comedy Club
Un des premiers clous du cercueil d’Instagram a été l’ère de la « comédie Insta », soit cette avalanche de « sketches » vidéo vraiment pas drôles, mais très populaires il y a quelques années, à l’époque post-Vine pré-TikTok.
Ces « humoristes » balançaient toutes les vannes possibles sur l’infidélité et les relations toxiques — il n’y en a pas beaucoup — avec des légendes style « emoji en pleurs » et une bande son libre de droits à base de violon déchirant. Et ils récoltaient des millions de vues par vidéo, évidemment. Ça a, de fait, dévalorisé la plateforme et donné l’impression qu’Instagram approuvait qu’on puisse considérer le harcèlement sexuel comme un truc « comique ». Bouh !
Grâce à ses pratiques « agressives » de collecte de données, TikTok est devenu une application assez divertissante. Alors que l’algorithme d’Instagram semble privilégier les visages identiques et figés remplis de « beauty fillers » (ce qui devient vite flippant), TikTok nous montre un certain contenu uniquement si la plateforme estime qu’on va le trouver drôle, chelou ou intéressant. Et elle sait exactement si ce sera le cas ou pas, parce qu’elle sait tout de nous.
À moins de faire partie de la première portée d’ados ayant envahi TikTok en exécutant de manière approximative des pas de danse qui n’avaient rien d’original, il faut actuellement faire un truc qui claque pour espérer devenir viral sur le réseau. Quoi qu’il en soit, l’arrivée de la FYP de TikTok a marqué le début d’une ère où votre contenu pouvait être vu par des millions de personnes même s’ils ne faisaient pas partie de vos followers, ce qui était tout à fait innovant. Par conséquent, Instagram a eu chaud au cul, ce qui nous mène au point suivant.
Ça y est, nous y sommes. Le nœud du problème. Si imiter une autre plateforme a déjà relativement bien marché pour Instagram (Stories… Snapchat… hum hum), il faut garder à l’esprit que c’était une autre époque, un temps ou l’espace de stockage de nos téléphones portables nous était compté, et où, par conséquent, proposer un condensé d’applications offrait une multifonctionnalité toute bienvenue.
Avançons rapidement jusqu’en 2022, où nous pouvons affirmer en toute confiance : Non Instagram, nous n’avons pas besoin de tes Reels. Nous avons besoin que tu reviennes à ce que tu sais faire de mieux, à savoir : laisser tout le monde poster de belles photos et des Stories, et les faire apparaître chronologiquement dans nos feeds, s’il te plait. Quiconque a été accidentellement aspiré dans le vortex d’Instagram Reels sait que ce n’est qu’une compilation de vidéos de chiots et de lapins, de tweets statiques sur fond blanc et de contenu qu’on a déjà vu passer sur TikTok il y a une semaine.
En même temps, Instagram semble supprimer les photos publiées par les personnes qu’on suit au profit des Suggested Reels d’individus qu’on ne suit absolument pas. Voire qu’on ne voudrait jamais, jamais suivre. Pour aggraver son cas, la plateforme a déclaré qu’elle allait limiter le reach des posts téléchargés depuis TikTok.
Et la meilleure nouvelle de toutes ? Instagram adore les Reels. Ce format représente désormais 20 % du temps qu’un utilisateur passe sur l’application. Rajoutons à ça que le réseau expérimente actuellement une modification de la mise en page pour que tout contenu — y compris les photos — soit diffusé en plein écran, à la verticale. Mais oh, c’est quoi ce bordel !? Personne n’a envie de voir ça. Personne.
L’avenir
Quand Instagram a débarqué dans nos vies en 2010, les plateformes de partage de photos en ligne n’étaient plus vraiment révolutionnaires : Flickr et Tumblr existaient déjà. Cela dit, personne n’a pu concurrencer Insta. C’était les meilleurs, y a pas à dire. Une plateforme top niveau. Mais comme le dit le vieil adage, mieux vaut un piètre original qu’une bonne imitation. Malheureusement, le fait qu’Instagram essaie de se calquer sur TikTok n’est rien d’autre qu’un criant signe de désespoir. Et à moins qu’Insta ne revienne à ses moutons — des Stories relax, des photos de potes, offrir la parole à la jeunesse militante — il fonce droit vers son lit de mort.
Pour le moment, la plateforme Meta qui semble avoir le plus d’avenir est encore WhatsApp, pour se partager des liens TikTok. C’est pour dire.
VICE France est sur TikTok, Twitter, Insta, Facebook et Flipboard.
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.
En savoir plus sur L'ABESTIT
Subscribe to get the latest posts sent to your email.