Je voulais savoir ce qu’il était advenu de ce rêve raté, alors j’ai contacté un de mes amis qui a travaillé comme guide touristique pendant longtemps et qui connaît presque toutes les régions de l’île. Il m’a donné les indications pour me rendre sur place et m’a conseillé de rentrer chez moi avant la nuit. « L’atmosphère devient plus mystique après le coucher du soleil. »
Le parc se trouve sur la côte est de Bali, au bord de la plage de Padang Galak à Sanur. Nous arrivons en sueur et le gardien du parc nous accueille la main tendue. Je lui remets alors une liasse de billets de 25 000 roupies indonésiennes (environ 1,46 euro). Il nous dit qu’il connaît les secrets du parc et qu’il attrape tous ceux qui tentent d’esquiver les frais d’entrée.
En entrant, la première chose que nous remarquons, c’est la taille du parc. Le Taman Festival est immense, mais tout est complètement cassé. Des piles de verre recouvrent le sol et des essaims de moustiques remplissent l’air ; le soleil se répand à travers les toits creux, tandis que le bruit des vagues qui s’écrasent donne à l’endroit un aspect étrangement serein.
Alors, qu’est-ce qui a mal tourné ? L’histoire raconte que le Taman Festival a discrètement ouvert ses portes en octobre 1997. Selon ceux qui ont assisté à son bref apogée, le parc était à la fois beau et avant-gardiste. Quelques attractions étaient encore en construction à son ouverture, notamment un arsenal de lasers pour éclairer le ciel nocturne, mais il était néanmoins plus grand et plus luxueux que tout autre parc sur l’île. Malheureusement, son timing était terrible.
Quelques mois plus tôt, en juillet, le gouvernement thaïlandais avait provoqué par inadvertance l’effondrement de sa monnaie nationale, forçant une réaction en chaîne qui a entraîné avec elle l’ensemble de l’économie de l’Asie du Sud-Est. La crise économique asiatique, comme on l’appelle désormais, a également touché la rupiah indonésienne, juste au moment où les troubles politiques faisaient chuter le nombre de touristes.
En conséquence, le parc est resté bien en deçà de sa projection initiale de 1 200 visiteurs par jour, n’en attirant qu’environ 200 le week-end. Il a réussi à tenir pendant environ six mois, jusqu’à ce que l’équipement laser du parc, d’une valeur de 5 millions de dollars, soit frappé par la foudre le vendredi 13 mars 1998. Faute d’une couverture d’assurance suffisante, les portes du parc ont été officiellement fermées en 2000.
Aujourd’hui, après vingt ans d’abandon, la fosse aux crocodiles ressemble davantage à un terrain de football mal entretenu ; une oasis de nature pure dans ses limites bétonnées. La plupart des structures, entourées de jungle, semblent avoir résisté à une sorte d’apocalypse.
Heureusement, le gardien du parc s’est occupé du terrain pendant les cinq dernières années. « Je fais le ménage tous les jours de 4 heures à 8 heures du matin », explique-t-il en me montrant une copie poussiéreuse et plastifiée de l’ancienne liste de prix du parc.
Mon ami me dit plus tard que c’est la responsabilité de chaque village de prendre soin de ses terres. D’après ce que je comprends, c’est une sorte de service communautaire que le gardien prend très au sérieux..
Même si la plupart des habitants ne fréquentent pas les lieux, le gardien et quelques autres personnes continuent de déposer des offrandes dans l’enceinte du parc tous les jours. Ces offrandes, appelées canang sari, sont censées réjouir les dieux et apaiser les morts. Alors que le reste du parc se détériore, les petits sanctuaires restent bien entretenus.
Très vite, le gardien nous raconte des histoires de touristes dont les appareils photos ont mystérieusement cessé de fonctionner à leur arrivée au parc. Puis il fait une pause, apparemment distrait par quelque chose qui se trouve en dehors de mon champ de vision. Au bout d’un moment, il sourit et me regarde à nouveau.
« Elle m’a parlé – vous êtes une bonne personne », me dit-il, en faisant signe à un fantôme avec lequel il a apparemment conversé.
Il n’est pas prévu de démolir ce qui reste du Taman Festival, car comme me l’explique mon ami guide touristique : « C’est juste trop compliqué et trop cher de le détruire. Il est bien plus simple de le laisser en place. »
Donc si vous allez bientôt à Bali et que vous avez 1,46 euro de côté pour le gardien, vous verrez que c’est une bonne façon de passer un après-midi. De plus, cela lui permet de garder son emploi.
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