ENFANTS – Ce serait mentir de dire qu’on ne l’a jamais entendue, ou posée, cette question. À notre nièce, au fils de notre meilleure amie, au petit qui est gardé avec notre fille. Dès que les enfants sont assez grands pour parler et interagir avec les autres, en gros, les adultes ont vite fait de leur demander si, oui ou non, ils ont un·e amoureux·se.

Dans certains cas, c’est carrément une projection, une sorte de relation fantasmée avec un autre enfant qu’on leur met entre les pattes. Et si le réflexe semble plutôt anodin, parce que formulé avec tendresse, il pose en réalité les bases de stéréotypes de genre coriaces – et plus tard, ravageurs.

De plus en plus toutefois, des parents tentent de lever le pied sur cette interrogation qui fâche, inspiré·es et encouragé·es par des écrits féministes essentiels. Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet sont justement de celles et ceux qui oeuvrent chaque jour à déconstruire ces petites phrases plus impactantes qu’on pourrait le croire. Dans leur livre 30 discussions pour une éducation antisexiste (ed. Marabout), un recueil de dialogues qui donnent des clés pour aborder différents biais sexistes d’éducation quand on y est confronté·e, elles évoquent justement la thématique de l’amour que les adultes projettent sur les enfants.

Pour Terrafemina, elles décryptent plus en détail ce qui cloche dans ce phénomène, et comment il participe à véhiculer et renforcer une hétéronormativité nocive. Et puis, les deux autrices concluent avec un conseil pratique: comment réagir quand une tierce personne demande à notre enfant s’il·elle a une amoureux·se. Entretien.

Terrafemina: D’où vient ce réflexe de poser le terme “amoureux” sur les relations entre deux enfants? Pourquoi est-il si fréquent?

Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet: C’est un réflexe normé qui vient des adultes. Une projection que l’on a sur les relations entre enfants. On projette sur eux et elles nos propres relations. Ça vient à la fois d’une norme parentale et d’une norme de couple. Nous leur inculquons souvent ça malgré nous, comme la notion de genre par exemple. La question de l’amoureux·se est une question banale entrée dans la culture des discussions qu’on engage avec les enfants comme si on leur demandait “tu aimes le foot?” ou “comment c’était l’école aujourd’hui?”.

Les amitiés entre petit garçon et petite fille y sont-elles plus sujettes?

Évidemment. Ce réflexe répond à la norme de l’hétérosexualité. On impose cette norme et ce modèle sans le savoir. On ne parlerait jamais d’amour entre deux petits garçons ou deux petites filles. Par ce biais, on oublie de valoriser l’amitié entre une fille et un garçon comme les relations entre deux femmes ou deux hommes.

Pourquoi est-ce nocif de demander à un enfant s’il ou elle a un·e amoureux·se?

C’est ramener des problématiques adultes dans une sphère d’enfant. Alors qu’il·elle n’a rien demandé, qu’il·elle n’est pas encore en âge de comprendre ce que c’est d’être amoureux·se et qu’il·elle n’a pas encore à le savoir! C’est aussi inconsciemment engager des réflexions sexistes comme si les filles voulaient déjà séduire et les garçons déjà draguer. Ça sexualise et ça genre les rapports affectifs entre enfants.

Quelles sont les répercussions dans sa vie d’enfant, d’ado, d’adulte?

Ça construit chez eux et elles la notion et la norme de genre et l’hétéronormativité. Et ça l’impose autant que n’importe quelle réflexion sexiste. C’est une banalisation des rôles sexués et genrés. Les enfants avant l’âge de 7 ans n’ont souvent pas encore construit leur identité de genre. Ce n’est pas nécessaire de construire cette notion chez eux et elles alors qu’ils·elles n’en parlent pas. Et s’ils·elles en parlent, il faut leur expliquer qu’ils ont le choix et ne pas restreindre leur·s liberté·s.

À voir également sur Le HuffPost: “Ma mère est revenue vers moi”: Comment la vie d’Olivia Ciappa a changé avec sa transition de genre

Source

Share this post

Articles similaires

21 NOVEMBRE 2024

Cop29 en direct : Le président de l’ONU « en a assez » de la défense des combustibles fossiles par...

L'ancien ministre du climat du Canada réagit après que la délégation saoudienne a déclaré qu'elle « n'acceptera aucun texte ciblant des secteurs spécifiques, y compris les combustibles fossiles »Mon collègue Patrick Greenfield suit la plénière où les pays donnent leur réponse...

0

21 NOVEMBRE 2024

Les États-Unis et l’Inde dirigent le G20 sur l’action climatique, selon un rapport

Exclusif : les plus grands émetteurs mondiaux font le plus de progrès dans l'introduction de politiques, selon une étude, mais les émissions devraient toujours augmenter de 2,7°CLes États-Unis et l'Inde ont réalisé les progrès les plus significatifs parmi les 20 principales économies...

0

21 NOVEMBRE 2024

La CPI émet un mandat d’arrêt contre Benjamin Netanyahu pour présumés crimes de guerre à Gaza

Mandats pour le Premier ministre israélien et l'ancien ministre de la Défense qui les exposent à un risque de détention s'ils se rendent dans certains autres paysCrise au Moyen-Orient – mises à jour en directLa cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d'arrêt contre le Premier...

0

21 NOVEMBRE 2024

Première image en gros plan d’une étoile en dehors de la Voie Lactée montrant une supergéante dans un «...

Les astrophysiciens affirment que le matériel pourrait indiquer qu'une étoile est en train de mourir et que l'éjection de matière signale une supernova imminente.Une étoile enveloppée dans un cocon en forme d'œuf a été révélée dans les premières images détaillées d'une étoile...

0

21 NOVEMBRE 2024

Netanyahu déclare que le mandat d’arrêt de la CPI à son encontre pour de prétendus crimes de guerre est «...

La cour pénale internationale délivre des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien, son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant et le leader du Hamas Mohammed DeifLa position d'Israël a toujours soutenu que les décisions de la cour pénale internationale ne s'appliquent pas à...

0

21 NOVEMBRE 2024

‘C’est le combat de tous’ : Vinícius appelle à plus d’aide dans la lutte contre le racisme

Le Brésilien croit que les choses vont dans la bonne direction‘J'ai tant souffert et je souffre encore parfois’L'attaquant du Real Madrid, Vinícius Júnior, a parlé de son combat contre le racisme, le décrivant comme une bataille continue qu'il est heureux de mener, mais en avertissant...

0