POLITIQUE – Alors que revoilà la réforme de l’assurance chômage. Rangé -un temps- au placard à cause de la pandémie de coronavirus, le projet explosif du gouvernement revient sur la table. Déterminée à “aller au bout” d’un texte qu’elle juge “nécessaire”, la ministre du Travail Élisabeth Borne réunit une dernière fois les partenaires sociaux ce mardi 2 mars.
Le but de cette réunion multilatérale? Permettre d’”échanger sur les points de sortie de la concertation” débutée en septembre 2020, selon l’invitation adressée aux cinq organisations syndicales et trois patronales. En clair: le gouvernement devrait présenter ses arbitrages pour finaliser, dans les semaines qui viennent, le décret qui entérinera les futures règles de l’assurance chômage.
Mais l’ambiance, certes en visioconférence, s’annonce morose. Les syndicats martèlent depuis des mois leur profond désaccord de fond sur un texte qui vise à en durcir les règles d’accès. Dans ce contexte, les ajustements promis par Élisabeth Borne pourraient apparaître bien lointains de leurs préoccupations.
“Retour à bonne fortune”
Car si la ministre du Travail veut, coûte que coûte, “aller au bout de cette réforme”, a-t-elle plaidé la semaine dernière sur Europe 1, elle affirme vouloir “tenir compte du contexte” sanitaire et économique dans sa nouvelle mouture. “On est prêts à adapter le calendrier. On est prêt aussi à adapter les règles en tenant compte de la situation du marché du travail”, insistait Élisabeth Borne le 23 février.
Décidée en juillet 2019 par le gouvernement Philippe après l’échec d’une négociation sociale très encadrée par l’exécutif, la réforme visait alors à réaliser de 1 à 1,3 milliard d’euros d’économies par an, notamment en durcissant les règles d’indemnisation et en taxant le recours abusif aux contrats courts, le tout dans un marché de l’emploi alors dynamique.
Du fait de la crise liée au Covid-19, le gouvernement a reporté à plusieurs reprises son application… jusqu’à ce qu’Élisabeth Borne ouvre une concertation fin 2020, en se disant prête à discuter des “paramètres” de la réforme, mais sans en abandonner l’esprit. Pour s’adapter au contexte, le ministère du Travail a ainsi proposé plusieurs aménagements sur les quatre grands paramètres: durée d’affiliation pour ouvrir des droits, mode de calcul de l’indemnisation, dégressivité de l’allocation et bonus-malus.
L’exécutif pourrait ainsi revenir sur le passage de quatre à six mois de travail (sur les 27 derniers) pour ouvrir des droits, mais uniquement pour les jeunes de moins de 26 ans. Le seuil de rechargement des droits passerait de six (prévus dans la réforme) à quatre mois pour un total 100 à 140.000 demandeurs d’emploi.
Fin janvier 2021, après une série de réunions bilatérales, le ministère a également indiqué vouloir lier certains paramètres à un “retour à bonne fortune”, autrement dit à repousser leur entrée en vigueur. Cela devrait concerner les règles en matière d’éligibilité à l’assurance chômage et de dégressivité de l’allocation, qui devraient donc évoluer en fonction d’indicateurs liés à l’état du marché de l’emploi.
La réforme pourra-t-elle dès lors entrer en vigueur le 1er avril prochain, la nouvelle date fixée par le gouvernement? Impossible, selon des syndicats invités au ministère du Travail le 25 janvier dernier.
Les syndicats n’en veulent pas
Mais le gouvernement pourrait faire le choix d’appliquer certaines mesures de sa réforme dans les prochains mois, tout en gardant d’autres au frigo. C’est ainsi que, selon plusieurs médias, le nouveau calcul du montant des allocations, beaucoup moins avantageux notamment pour ceux qui alternent périodes de travail et d’inactivité s’appliquerait dès cet été… provoquant une baisse des droits pour 40% des demandeurs d’emploi. Au contraire le fameux bonus-malus touchant les entreprises -sorte de taxation des contrats précaires- n’interviendrait pas avant fin 2022.
De quoi attiser la méfiance des syndicats qui pointaient, avant même le début de la crise sanitaire, un risque de paupérisation d’une partie de la population. Dans un communiqué commun -fait rare-, publié une semaine avant cette ultime rencontre avec Élisabeth Borne, les cinq organisations syndicales représentatives (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT et FO) réaffirmaient leur “profond désaccord avec le principe fondateur de cette réforme selon laquelle la baisse des allocations chômage inciterait à un retour plus rapide à l’emploi”.
Pour Yves Veyrier de Force ouvrière, “le mot d’ordre c’est ‘on veut repartir d’une feuille blanche’”. Mais il craint que le gouvernement ne veuille pas “perdre la face”. Le chef de l’État, Emmanuel Macron, “veut dire qu’il a fait quelque chose, mais il voit bien que la période ne s’y prête pas”, explique-t-il à l’AFP. “C’est la quadrature du cercle”, estime de son côté François Hommeril de la CFE-CGC, pour qui Élisabeth Borne doit faire “passer la pilule” d’un projet dont elle a eu “le temps de comprendre” que “c’est un mauvais projet”.
De son côté, la ministre se borne à défendre un projet “nécessaire.” Notamment pour faire des économies. L’ambition de la réforme, avant ses maigres évolutions, était justement d’aller chercher environ un milliard d’euros par an dans les caisses. Un chiffre qui apparaît bien dérisoire dans le contexte actuel de la pandémie de coronavirus, alors que la dette de l’assurance chômage a progressé de 13 milliards en un an.