Perché sur les contreforts enneigés de l’Himalaya se trouve un village luxuriant appelé Malana. Connu pour sa vue imprenable sur la rivière Parvati et son isolement relatif, il est également célèbre pour sa variété de hasch, ou charas (un dérivé du cannabis fabriqué à partir de la résine de la plante) appelée « Malana Cream ».

Considérée comme l’une des variétés de cannabis les plus raffinées et les plus chères au monde, la Malana Cream se reconnaît par sa consistance argileuse, sa forte teneur en THC (le principal composant psychoactif) et son arôme distinct. Pour récupérer la résine et la transformer, les Malani frottent énergétiquement des fleurs et feuilles de cannabis fraîches entre leurs paumes — un travail long et épuisant.

Bien que la Malana Cream soit illégale en vertu de la loi indienne sur les stupéfiants et les substances psychotropes (NDPS), sa réputation s’est répandue dans le monde entier, attirant des milliers de visiteurs. On les voit toujours plus nombreux traverser le district de Kullu, dans l’État indien de l’Himachal Pradesh, pour se rendre dans le village. Lorsque le photo-journaliste Hari Katragadda a pour la première fois entendu parler de l’illustre héritage de Malana en tant que communauté de consommateurs de haschich, il a été immédiatement intrigué.

« C’est une histoire qui commence avec le hasch », raconte Katragadda à VICE. « En 2008, lorsque je travaillais à Delhi, on m’a parlé de Malana comme étant un endroit mystérieux, chargé de légendes et de mythologie. » 

Katragadda explique ainsi que les membres de la communauté pensent que les résidents de Malana sont les descendants des soldats grecs d’Alexandre le Grand, bien que cela n’ait pas été prouvé. Environ 4 700 habitants mènent ici une vie paisible et isolée. Ils partagent un langage qui leur est propre appelé Kanashi, et qui mélange différentes langues, dont le tibétain. 

« J’avais également entendu dire que les Indiens et tous les étrangers étaient considérés comme des intouchables dans ce village, ce qui m’avait semblé tout aussi étrange », déclare Katragadda. En 2009, il fait donc équipe avec un journaliste et tous deux partent en mission afin de mieux comprendre la communauté de Malana.

« Je suis allé à leur contact comme un ami et non pas comme un client, du coup je pense qu’ils étaient plus enclins à m’accepter » – Hari Katragadda

Au total, le photo-journaliste s’est rendu 12 fois dans ce village isolé entre 2009 et 2015. Il s’est lié d’amitié avec des membres de la communauté et a même assisté à leurs cérémonies traditionnelles, comme les mariages, tout en essayant d’acquérir des connaissances sur leur culture.

« Je ne les ai pas abordés comme un client qui aurait voulu acheter du hasch », explique-t-il. « Je suis allé à leur contact comme un ami et non pas comme un client, du coup je pense qu’ils étaient plus enclins à m’accepter. » 

Il raconte que depuis une trentaine d’années, frotter frénétiquement les fleurs de cannabis pour produire du hasch est l’unique moyen de subsistance de la communauté.

« Autour des villages et sur les collines, des plants de cannabis de plus de trois mètres de haut poussent de tous les côtés », explique-t-il. « Avec du cannabis qui poussait directement dans les jardins de Malani, fumer du hasch était considéré comme un rituel quotidien, et les plantes étaient réservées aux consommations personnelles. Mais à partir des années 1980, la culture de la drogue, l’extériorisation des ventes et le trafic vers l’Europe ont changé la nature de la culture du cannabis. Elle est quasiment devenue l’une de leurs uniques sources de revenus, car le terrain et les températures locales rendent la culture d’autres produits presque impossible. »

Historiquement, le moyen de subsistance de la communauté Malana a toujours été ancré dans le cannabis. Sous forme de hasch, mais également avec des produits comme des paniers et des chaussons tressés à partir de ces plantes qui poussent un peu partout à l’état sauvage. Là-bas, le cannabis était considéré comme un cadeau de leur dieu, une divinité locale que la communauté vénère sous le nom de Jamlu Devta.

« La dernière fois que j’ai visité le village, j’ai été témoin d’une opération de police visant à détruire les cultures de cannabis qui poussaient dans la région » – Hari Katragadda

Cependant, après que l’Inde a criminalisé le cannabis en vertu de la loi NDPS en 1985, le mode de vie de la communauté s’est retrouvé menacé.

« La dernière fois que j’ai visité le village, j’ai été témoin d’une opération de police visant à détruire les cultures de cannabis qui poussaient dans la région, même sur les terrains difficiles d’accès situés en haut des collines », se souvient Katragadda. 

Les campagnes policières consistant à brûler ou à couper ces cultures sont depuis devenues monnaie courante. Les autorités ont également mis en place des points de contrôle qui ont rendu plus difficile le transport de substances hors de Malana, aussi bien pour les cultivateurs que pour les visiteurs. Cette situation a, à son tour, porté plusieurs coups aux membres de la communauté qui dépendaient du cannabis pour vivre.

« Pendant mon séjour, j’ai rendu visite à une famille dont le père était seul pour s’occuper de ses deux enfants », déclare Katragadda. « En passant plus de temps avec eux, je me suis rendu compte que cet homme était en détresse et souffrait de problèmes de santé mentale. Et cette situation découlait du fait que sa femme avait été arrêtée alors qu’elle transportait un lot de haschich hors du village. Elle a été condamnée à sept ans de prison. La famille tout entière en est sortie brisée ».

Selon Katragadda, les autorités ont effectué de nombreuses tentatives pour sevrer la communauté du cannabis, mais elles se sont toutes avérées vaines.

« Il y avait un officier de police dans la région qui a essayé de pousser la communauté à cultiver des plantations de thé à la place. Ça a fonctionné pendant une saison, mais lorsque les mois d’hiver sont arrivés, ces cultures n’ont pas survécu. »

« Pour régler un conflit, il était demandé à chacune des parties d’offrir un mouton, puis les bêtes étaient empoisonnées. Celui dont le mouton mourait en premier était considéré comme le menteur » – Hari Katragadda

Cette ingérence des autorités locales est d’ailleurs relativement récente, la communauté s’appuyant historiquement sur un conseil des anciens pour régler ses différends. « Malana a également la réputation de posséder le plus ancien système de gouvernance démocratique », explique Katragadda. « Ils avaient leurs propres lois et méthodes pour résoudre leurs différends. Même la police n’était pas autorisée à intervenir. »

L’une de leurs tactiques pour trancher les conflits consistait à utiliser les moutons de la communauté. « Cette communauté est aussi une communauté d’éleveurs de moutons. Donc pour régler un conflit, il était demandé à chacune des parties d’offrir un mouton, puis les bêtes étaient empoisonnées. Celui dont le mouton mourait en premier était considéré comme le menteur. »

Si ce conseil a servi d’autorité suprême pendant plusieurs décennies, les choses ont commencé à changer quand une nouvelle route et un projet hydroélectrique ont rendu Malana plus accessible.

« La communauté plus âgée émet des réserves quant aux personnes venant de l’extérieur, car elle pense que la divinité ne serait pas satisfaite de leur influence », assure Katragadda. « Mais la nouvelle génération possède maintenant des smartphones et ces jeunes sont plus connectés au monde extérieur. Davantage de tourisme, c’est à leurs yeux offrir un élan économique à leur village. »

La communauté a peu à peu adopté des coutumes plus progressistes, comme le fait de permettre à une veuve de vivre avec l’homme de son choix sans être soumise à une police morale. Mais d’autres traditions, comme la restriction des mariages au sein même de la communauté, sont seulement en train d’évoluer.

« Certaines légendes sont fausses, comme celle qui affirme qu’ils ne touchent jamais les étrangers », déclare le photo-journaliste. « J’ai vécu avec eux, je suis resté dans leurs maisons, j’ai mangé à leur table et j’ai assisté à leurs cérémonies. Mais le conseil a cependant décidé de quelques lieux sacrés où les étrangers ne peuvent pas pénétrer et ne peuvent toucher à rien, c’est vrai. Une amende sera imposée à quiconque s’y essayera. Si la culture change lentement, il y a certaines choses qui feront toujours partie de leur propre mythologie. »

Découvrez ci-dessous d’autres photos du projet :

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