La comédienne septuagénaire, qui s’est vue remettre le titre du “meilleur second rôle féminin” par Brad Pitt, n’a pas pu dissimuler son béguin pour lui. “Monsieur Brad Pitt, enfin. Enfin je vous rencontre. C’est un tel plaisir. Où étiez-vous pendant le tournage”, a-t-elle soufflé au micro, devant une salle hilare.
L’acteur n’a pas joué dans le film, mais il a participé à la production du long-métrage de Lee Isaac Chung.
Une carrière prolifique
Dans “Minari”, un drame familial sur des Coréens immigrés aux Etats-Unis qui a obtenu six nominations aux Oscars, elle campe pourtant un personnage ordinaire, à savoir la grand-mère d’un enfant qui tente de s’intégrer dans l’État très rural de l’Arkansas. Ce drame familial est le deuxième film en sud-coréen à remporter un Oscar, après le triomphe l’an passé de “Parasite”, couronné notamment meilleur film.
Depuis le début de sa carrière prolifique, il y a plus d’un demi-siècle, Youn Yuh-jung, mère de deux enfants nés aux États-Unis, affectionne les personnages féminins provocants et singuliers. À quelques semaines de la cérémonie des Oscars, la comédienne de 73 ans en minimisait cependant les enjeux, estimant que cette nomination avait “autant de valeur que le prix lui-même”.
“Comment ai-je pu l’emporter sur Glenn Close?” , a-t-elle plaisanté lors de son discours de remerciement à Los Angeles. L’actrice américaine de 74 ans était elle aussi en lice pour la statuette de la meilleure actrice dans un second rôle, sa huitième nomination aux Oscars. “Je voudrais remercier mes deux fils qui m’ont forcée à sortir et travailler. Voilà le résultat, a-t-elle lancé en montrant sa statuette, parce que maman a travaillé très dur.
Le couronnement
Pour le Sud-coréen Bong Joon-ho, sacré en 2020 “meilleur réalisateur” pour son film “Parasite”, c’est “le plus beau personnage qu’elle ait jamais joué”. Ce prix ne récompense pas seulement “sa performance dans ‘Minari’, mais il couronne une illustre carrière au cours de laquelle elle a travaillé avec de nombreux grands réalisateurs coréens”, souligne Brian Hu, professeur de cinéma à la San Diego State University.
Née à 1947 à Kaesong, une ville désormais située en Corée du Nord, elle a débuté en 1971 sous la direction du réalisateur avant-gardiste Kim Ki-young dont le travail continue d’inspirer des cinéastes sud-coréens, parmi lesquels Bong Joon-ho.
Dans le film “La Femme de feu”, elle incarnait une domestique au sein d’un foyer de la classe moyenne tombée enceinte du père de famille. Ce thriller, devenu un classique du cinéma sud-coréen, lui a valu plusieurs prix. Sa carrière s’est pourtant brusquement arrêtée en 1975, après son mariage avec le chanteur Jo Young-nam et son départ pour les États-Unis.
Moins de dix ans plus tard, en 1984, elle rentre dans son pays natal avant de divorcer trois ans plus tard. Renouer avec sa carrière d’actrice afin de subvenir aux besoins de ses deux fils n’a pas été aisé, à une époque où le divorce était stigmatisé en Corée du Sud. ”Être divorcée, c’était comme avoir commis un adultère”, a-t-elle précédemment confié. C’était comme si les femmes ne devaient pas apparaître à la télévision aussi vite après leur divorce.”
“J’ai travaillé très dur”
Elle accepte donc toutes les propositions, même les petits rôles, avant d’apparaître régulièrement, durant les années 90, dans des séries télévisées, dans le rôle d’une mère de famille, puis, plus tard, d’une grand-mère. En 2003, la comédienne fait son retour sur le grand écran dans “Une femme coréenne” d’Im Sang-soo, sous les traits d’une belle-mère anti-conformiste au sein d’une famille déséquilibrée.
Elle est ensuite une riche et cruelle héritière trompée par son époux en 2012 dans le drame “L’Ivresse de l’argent”. En 2016, dans “Canola”, elle est une plongeuse en apnée qui ramasse des coquillages et retrouve sa petite-fille depuis longtemps disparu. La même année, elle est saluée pour sa performance dans “The Bacchus Lady” de L J-yong, dans lequel elle joue le rôle d’une prostituée âgée contrainte de commettre des crimes.
Tout au long de sa carrière, elle a fait face à un “univers hautement compétitif” dans un univers cinématographique “largement tourné vers de jeunes talents, souvent masculins” pour les rôles principaux, a expliqué Jason Bechervaise, professeur à la Korea Soongsil Cyber University de Séoul.
L’Oscar remporté par l’actrice de “Minari” est d’autant plus important qu’il intervient dans un contexte de violences contre la communauté asiatique à travers les États-Unis. Pour Brian Hu, le prix décerné à Mme Youn est une “reconnaissance pour tant de grands-mères d’origine coréenne vivant aux États-Unis, surtout à une époque où les Américains d’origine asiatique les plus âgés sont considérés comme des victimes plutôt que des vainqueurs”.
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