CM ? Voilà un métier qui parle encore peu à nos aînés mais dont les offres d’emploi fourmillent sur internet. Chargé des réseaux sociaux et de la présence de son entreprise sur la toile, les missions des community managers dépendent de la liberté que leur accorde leur employeur. Mais quel que soit l’établissement dans lequel il travaille, le CM a toujours une tâche que l’on retrouve dans tous les postes : la gestion des réseaux sociaux.
Travailler sur les réseaux sociaux, c’est aussi s’exposer aux commentaires inutiles, aux blagues de beauf, aux critiques non constructives et aux insultes et menaces dans le pire des cas. Peu de community managers ont une formation précisément dans ce domaine. Ils n’ont, par conséquent, jamais été formés à se protéger face à des vagues de cyber-harcèlement. Certains employeurs, quant à eux, ne réalisent pas que le droit à la déconnexion est aussi valable pour ce genre de poste.
Modération, rédaction, montage, programmation des publications et réponse au cas par cas font du community manager un couteau suisse qui, lorsqu’il n’est pas suffisamment protégé, peut facilement se rouiller. Pour VICE, on a rencontré ceux qui aimeraient que vous réfléchissiez à deux fois avant de poster votre commentaire « OSEF ».
Vincent* dans un établissement public
Dès son arrivée dans le milieu, Vincent a très vite compris qu’il ne ferait pas community manager toute sa vie. Bien que ses missions soient variées, ce travail lui « tape sur le système ». Entre les temps de validation interminables des services de communication et la modération, Vincent s’arrache les cheveux et se qualifie de SAV.
« Je vois que ce ne sont pas des jeunes qui commentent. En fait, nos darons se lâchent sur Facebook. »
« À force, tu te dis qu’il y a quand même énormément de gens qui sont cons. » Au fil des publications, Vincent retrouve toujours les mêmes critiques et surtout les mêmes personnes. Le community manager déteste Facebook et sa communauté relativement âgée qui n’hésitent pas à attaquer sans vergogne. « Je vois que ce ne sont pas des jeunes qui commentent. En fait, nos darons se lâchent sur Facebook. »
Après bientôt deux ans dans le monde du community management, Vincent éprouve une immense lassitude. « J’essaye de me dire que c’est comme pour les avis Google, il n’y a quasiment que les gens pas contents qui s’expriment. » Depuis quelque temps, il applique une technique pour parer à tous ces commentaires négatifs. Dès qu’un compte dépose un message positif, Vincent lui envoie un message privé pour le remercier et l’inciter à continuer.
En fin de semaine, Vincent tombe souvent de fatigue. Mais même le week-end ou en sortie avec sa copine, le jeune homme ne parvient pas à lâcher du regard les comptes qu’il gère depuis son portable. « Je vérifie toujours pour voir s’il n’y a pas un problème avec une publication mais parfois je me fais happer par les commentaires et ça me stresse. »
Isabelle* dans une société de recouvrement
Représenter une entreprise chargée de réclamer le remboursement d’une somme due, c’est déjà partir avec un petit handicap dans le monde du community management. « Quand on voit d’un oeil extérieur les réseaux sociaux, on se dit que ce n’est qu’une seule personne sauf que quand tu es derrière l’écran et que tu vois passer tous les messages qu’on reçoit tout le temps avec des menaces de mort et des insultes c’est différent. »
« Ça se calme souvent en privé. Je reste professionnelle et neutre et généralement ça fonctionne. »
Isabelle essaye de prendre le plus de distance possible avec ce genre de messages. La jeune femme doit tout de même dialoguer avec ces mécontents pour tenter de trouver une solution. « Ça se calme souvent en messages privés. Je reste professionnelle et neutre et généralement ça fonctionne. » Dans le cas où la personne reste agressive, elle ne répond pas.
Lorsqu’elle a commencé ce métier, Isabelle ne s’attendait pas à un tel déferlement de haine sur les réseaux sociaux. « Je le savais mais quand on doit s’en occuper, ça ne fait pas le même effet. » Malgré le fait qu’elle soit issue de la “génération des réseaux sociaux”, Isabelle parvient difficilement à s’y habituer. « Il n’y a pas de préparation pour la violence qu’on se mange en ligne. Ce n’est pas parce qu’on est né avec internet qu’on a les clés pour s’en préserver. »
Maxime Taillebois, anciennement à l’Elysée et au ministère des Sports
Après une longue carrière en tant que community manager dans le domaine politique, Maxime a décidé de changer de secteur la semaine dernière. Malgré des injures au quotidien, les comptes publics se doivent de répondre aux questions et commentaires. Lorsque les réactions se faisaient plus pressantes ou violentes, Maxime décrochait et ne regardait plus certaines publications qui, parfois, agrégeaient des centaines de commentaires d’insultes. « À un moment, il faut aussi savoir se protéger. C’est assez difficile de subir les mêmes critiques à longueur de journée mais il ne faut pas répondre car c’est prendre le risque de s’énerver et donner une mauvaise image de l’institution. »
Insultes en messages privés sur Facebook, Linkedin, sur son mail personnel et menaces de mort.
Pour relativiser, Maxime et ses collègues partageaient un groupe Whatsapp avec les perles des messages les plus ignobles qu’ils pouvaient recevoir tout au long de la journée. « Ça permet de prendre du recul, de se dire qu’on est tous dans la même situation. Le plus dur, c’est parfois de décrocher. » Comme le tonneau des Danaïdes, les commentaires et questions sont sans fin. De nombreuses soirs, sa compagne l’a aidé à lâcher son téléphone car ce « travail qui n’a jamais de fin ».
Maxime se souvient particulièrement d’une publication qui lui a valu plusieurs menaces de mort. « En décembre 2020, j’avais fait un post concernant l’équipe de France en écrivant “sah quel plaisir” qui en arabe veut dire sérieusement. Et là, ça a été la tempête. » Insultes en messages privés sur Facebook, Linkedin, sur son mail personnel et même menaces de mort… Des réactions disproportionnées pour une simple publication. Aujourd’hui, Maxime s’estime heureux d’avoir pu évoluer dans ce métier de community manager au fil des années et des innovations.
Aline Dama au musée national du Moyen Âge de Cluny à Paris
À ce poste depuis 2016, Aline n’a pas de quoi s’ennuyer, elle est à la tête des relations presse, du site internet et des réseaux sociaux. Si leur communauté est, la plupart du temps, bienveillante, cela n’empêche pas certaines critiques, comme toujours sur les réseaux sociaux. « En ce moment, nous menons un chantier de modernisation. Nous devons faire preuve de beaucoup de pédagogie et diplomatie pour expliquer les enjeux et gérer les quelques déçus qui regrettent déjà par avance leur ancien musée. »
Ce qui fatigue particulièrement Aline, c’est la répétition. “Quels sont les horaires ? Le calendrier d’ouverture ? L’accessibilité aux handicapés aux salles ?” Des dizaines de personnes posent toujours les mêmes questions. Pour éviter qu’elle perde du temps et de l’énergie, son musée a développé un chatbot sur Messenger qui répond de manière individualisée à chacun, sur les questions les plus fréquentes. De quoi éviter la critique récurrente des CM qui se plaignent de cet aspect robotique du métier.
« Face à des personnes véhémentes voire agressives, la tentation est grande de répondre du tac au tac. »
Aline passe maintenant plus de temps à chercher des réponses à des questions parfois très pointues sur une technique d’orfèvrerie typique du milieu du 13e siècle ou sur le choix de tel ou tel matériau dans le cadre du chantier de modernisation. Mais il lui arrive encore de tomber sur un forcené du clavier. « Face à des personnes véhémentes voire agressives, la tentation est grande de répondre du tac au tac. Il faut réussir à trouver les ressources de diplomatie pour répondre de manière adaptée et complète. »
La community manager remarque également une montée du complotisme chez certains internautes. « C’est épuisant puisque, face à des positions très tranchées et des personnes convaincues de leur expertise ou de leurs sources d’information, il est difficile de répondre de façon argumentée. »
Arnaud Doboeuf chez Vitality, club d’esport français
Arnaud est la preuve qu’un compte parodique sur les réseaux sociaux peut vraiment servir. Après un petit succès sur Twitter, Vitality le repère et lui propose, à seulement 18 ans, un poste de community manager. Proposition que ce grand fan d’esport ne peut pas refuser. Depuis plus de deux ans maintenant, il se partage avec une collègue les différents comptes du club.
« Je connaissais déjà le monde des haters mais là ça fait un peu plus mal étant donné que c’est ton équipe qui est concernée. Plus tu es fatigué, plus c’est difficile à gérer. » Dès qu’une équipe perd, Arnaud sait d’avance que les comptes seront noyés sous une pluie de haine. Ce dernier a la chance de pouvoir ne pas répondre aux commentaires. Lorsque les insultes fusent, il fait le choix de ne plus regarder.
« Ils ne comprennent pas que ce qu’ils écrivent blesse. On a fait une petite étude auprès de nos joueurs, sur 50 messages positifs et un négatif, ils retiendront le négatif. »
« Avant, j’essayais de répondre à des messages sur Facebook mais les gens sont enfermés dans leur haine et c’est impossible d’y remédier. C’est en partie pour ça qu’on y répond plus. » Il remarque également une différente de commentaires selon les jeux concernés. Certains comme Fortnite attire une catégorie de fans plus jeunes que Counter-Strike ou encore League of Legends. Selon Arnaud, ce sont eux qui ont tendance à être plus virulents. « Ils ne comprennent pas que ce qu’ils écrivent blesse. On a fait une petite étude auprès de nos joueurs, sur 50 messages positifs et un négatif, ils retiendront le négatif. » Le reste du temps, Arnaud laisse couler et se dit que cela ne dépend pas de lui mais des résultats sportifs. Les quelques fois où il est encore atteint par des messages sont les fois où son travail est directement visé. Vous savez, le moment où un malin commence à écrire “Hey le CM”.
Abdel dans un célèbre média français
« Pour moi, c’est alimentaire, toutes les journées se ressemblent. » Abdel a cette profonde impression d’être un robot. Le jeune homme passe son temps à programmer des accroches qui sont vérifiées à la virgule. Toujours derrière son dos, ses chefs ne lui accordent aucune confiance ou écoute malgré son bon travail. Niveau droit à la déconnexion, le média n’a pas l’air d’en avoir entendu parler « On a une conversation où on parle tous les jours, tout le temps, même le dimanche soir. »
« Je n’ai vraiment pas envie de faire de la modération, ça détruit ma santé mentale, ça me rappelle ma famille, ces gens-là sont perdus tu ne peux rien faire pour eux. »
En plus de ses publications, Abdel modère les commentaires comme il peut. Suivi par des milliers d’internautes, le média pour lequel il travaille est régulièrement la cible de commentaires insultants, antisémites, misogynes ou encore homophobes. Faute de moyens pour engager un prestataire pour modérer les commentaires, comme le font certains médias, les quelques community managers se chargent de supprimer ce qu’ils peuvent. « Je n’ai vraiment pas envie de faire de la modération, ça détruit ma santé mentale, ça me rappelle ma famille, ces gens-là sont perdus tu ne peux rien faire pour eux. »
Lorsqu’il travaille, Abdel a cette impression de se retrouver coincé dans une bulle médiatique qui ne regroupe que des personnes d’extrême droite. En dehors de ce qu’il qualifie « d’hyper violence sur les réseaux », la patience du CM est mise à rude épreuve à chaque nouvelle publication. « Les gens mettent des commentaires complètement inutiles qu’ils ne mettraient pas s’ils avaient regardé le contenu. C’est juste insupportable et tu as envie de leur répondre. »
Stressé, Abdel a fait un burn-out l’année dernière. Depuis, le jeune homme tente de prendre de la distance avec son travail. Une tentative vaine face à des chefs qui ne respectent jamais ses jours de repos. « La dernière fois, j’ai reçu des messages du taff le dimanche avec ni bonjour, ni merde pour me demander un truc. » Abdel pense régulièrement à démissionner sans oser se lancer « parce que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. » Une chose est sûre, s’il change de boulot ce ne sera pas pour être community manager.
* Par souci d’anonymat, ces prénoms ont été modifiés.
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