« Quatre-vingt-quinze pour cent des personnes qui ont consulté cette vidéo étaient des hommes », a-t-elle déclaré. « C’est drôle, parce que je savais, grâce à mon compte Twitter, que ce n’était presque exclusivement que des mecs, mais je n’avais pas les statistiques pour le prouver. La vidéo YouTube a permis de confirmer mon intuition. »
Alors que le Web3, qui, selon les fans de crypto entre autres, s’apprête à remplacer le World Wide Web, commence à se préciser, de nouveaux et d’anciens problèmes continuent de surgir. L’un de ces problèmes : l’inclusivité.
Beaucoup espéraient que le Web3 serait un monde en ligne où nos identités n’auraient que peu d’importance. Pourtant, une étude réalisée en 2021 a révélé que deux fois plus d’hommes que de femmes utilisent des crypto-monnaies ; dans le domaine des transactions NFT, les femmes ne représentent que 5 % du volume total des ventes. La conférence Bitcoin 2022, qui s’est tenue à Miami au début de l’année, a été marquée par des accusations de harcèlement sexuel tandis qu’un vote visant à destituer le responsable de la Ethereum Name Service Foundation, qui a tenu des propos anti-LGBTQ et anti-avortement, n’a pas abouti.
Les disparités de genres dans le secteur de la crypto-monnaie trouvent leurs racines dans les industries de la finance et de la technologie dont elles sont issues. En 2021, les femmes fondatrices n’ont obtenu que 2 % du capital-risque aux États-Unis, la plus petite part depuis 2016. Les NFT ont peut-être gagné en popularité, mais seuls 29 % des artistes numériques sont des femmes.
White s’est entretenu avec VICE en marge du Web Summit à Lisbonne, l’une des plus grandes conférences tech au monde. Sur la scène crypto de la conférence, 30 femmes ont pris la parole, contre 37 hommes. De nombreuses femmes se sont déplacées pour assister à l’intervention de White, qui expliquait que le Web3 était, selon ses propres termes, une grosse « connerie ».
« La crypto se distingue de tout ce que j’ai connu dans la tech par la toxicité de sa communauté » – Molly White.
Ses critiques à l’égard du Web3 et des crypto-monnaies en général sont nombreuses. Elles portent sur le manque de protection des consommateurs et la prolifération d’escroqueries, mais elle ne mâche pas non plus ses mots quant à la toxicité de la communauté majoritairement masculine qui domine ce nouveau secteur.
« Il est évident que l’industrie de la crypto est fortement dominée par les hommes, ce qui reflète plus largement l’industrie de la tech », explique White. « La crypto se distingue de tout ce que j’ai connu dans la tech par la toxicité de sa communauté. Il n’est pas rare de se passionner une technologie spécifique, comme votre langage de programmation favori par exemple. Mais ce n’est pas pour autant que l’on devient agressif envers celles et ceux qui ne partagent pas notre avis, comme on peut le voir avec les gens de la crypto. Quand vous critiquez une personne qui détient un jeton, c’est comme si vous menaciez son argent.
« On trouve presque un dogme religieux autour de la crypto. Pour eux, c’est l’avenir, et si vous n’êtes pas de cet avis, alors vous êtes une menace pour l’avenir. Ils vous reprochent de vous opposer au progrès. »
Autre élément que White a remarqué : la communauté des fans de crypto s’identifie comme « anti-woke ». « Ils pensent que tout effort en faveur de la diversité raciale ou des genres est mauvais et doit être évité à tout prix, et c’est ce qui va mener les grandes entreprises tech à leur perte », affirme White. Elle raconte qu’il a été conseillé à ses abonnées de profiter de l’anonymat qu’offrent les crypto-monnaies pour cacher qu’elles sont des femmes. « Il faut prétendre être un mec blanc pour réussir », se souvient White. « C’est une idée qui persiste dans l’industrie. »
Vilma Mattila, avocate et fondatrice de 5irechain, qu’elle décrit comme les premières blockchains durables au monde, partage cette expérience. Elle raconte que des personnes de l’industrie, qu’elle ne souhaite pas nommer, lui ont conseillé de rester neutre sur la question du genre. On lui aurait même expressément conseillé de ne pas se présenter comme féministe « parce que ça affecterait son business », tout comme on lui a dit de « ne pas faire de politique ».
Elle estime qu’elle n’aurait pas pu cofonder 5ire sans ses deux autres fondateurs, qui sont des hommes. « Au début, c’est plus difficile pour les femmes. Les gens ne sont pas prêts à investir en elles. Je demande souvent à mes collègues masculins d’investir avec moi – le plus drôle, c’est que si je leur présente des produits fondés par des hommes, ils investissent souvent, sans problème. S’il s’agit d’un produit fondé par une femme, ils qualifient ça de « décision à haut risque ».
Paradoxalement, Mattila n’a plus le droit de parler crypto sur ses plateformes sociales parce qu’elle a rejoint des fonds et des conseils non crypto qui lui interdisent de promouvoir les crypto-monnaies – elle ne peut donc plus se servir de ses plateformes pour promouvoir la parité. « Il y a 200 millions de personnes dans la crypto, beaucoup vont et viennent », a-t-elle déclaré. « Les gens apprécient si vous vous investissez et que vous apportez une communauté et un écosystème ; formez des talents, éduquez les autres. »
Ailleurs au Web Summit, ce ne sont pas simplement les politiques ou les attitudes qui affectent l’inclusion ; c’est la technologie elle-même. Lors d’un panel sur la façon dont les blockchains peuvent créer une société inclusive, Marieke Flamant, PDG de Near Foundation, et Lacey Hunter, cofondatrice de TechAid, n’ont pas fait mention de la culture des « crypto bros » – elles ont parlé de simplicité, de déjargonisation et de l’apport non seulement de constructeurs mais aussi de concepteurs UX qui peuvent rendre les blockchains accessibles pour les personnes qui ne sont pas familières avec le système.
« Y a-t-il des femmes dans votre équipe qui travaille sur ces protocoles ? Non ? Dans ce cas, ça devient de l’exclusion » – Lacey Hunter, fondatrice de TechAid.
« Avant de devenir entrepreneur, je travaillais chez Amazon et on remarquait très vite quand les produits étaient conçus sans prendre la diversité en considération », dit Hunter. « Par exemple, lorsque vous recherchiez “sous-vêtements chair”, quelle couleur pensez-vous obtenir ? Ça me pousse à me demander : Y a-t-il des femmes dans votre équipe qui travaille sur ces protocoles ? Non ? Dans ce cas, ça devient de l’exclusion.»
Dans le domaine des blockchains, le même processus de recrutement à 360 degrés doit être mis en place pour une « adoption massive », le mot fétiche du panel, afin que des équipes diverses fabriquent des produits pour des personnes diverses qui n’ont pas vraiment besoin de comprendre ce que sont les blockchains. Mattila a également évoqué l’accessibilité, en affirmant que « 99 % de la population ne sait pas coder. C’est pourquoi nous proposons le paiement à partir d’un numéro de téléphone – parce que nous avons identifié 1 milliard de personnes qui n’ont pas accès à des papiers d’identité ou à une banque, mais qui ont un numéro de téléphone. »
Toutes les femmes auxquelles VICE a parlé ont dit qu’elles avaient remarqué une augmentation de la représentation des femmes dans l’industrie au fil des années, mais pas à la vitesse souhaitée ; pour beaucoup d’entre elles, le manque de parité n’a jamais été un obstacle.
Amélie Arras, connue comme la première femme à avoir voyagé dans le monde en payant exclusivement en Bitcoin, dit que même si les groupes crypto qu’elle a rencontrés à travers les 16 pays qu’elle a visités comportaient rarement des femmes, ils étaient toujours très accueillants.
Beenish Saaeed, directrice des opérations de la startup NFT Boss Beauties, raconte qu’elle a pu rencontrer des femmes sur Twitter et Discord qui étaient toutes motivées par l’opportunité que représente la crypto de « créer une richesse générationnelle » pour réaliser des projets ensemble, malgré un climat dans lequel « lorsque les femmes font quelque chose, c’est célébré, mais très temporairement. Ça ne fait jamais la une des journaux ».
Aujourd’hui directrice du marketing chez Zumo, un portefeuille de crypto et une plateforme de paiement, Arras affirme à VICE que si elle voit plus de femmes assister à des conférences sur la crypto depuis 2017, son plus gros problème est de trouver des femmes pour parler aux dites conférences.
« Il faut que les femmes se montrent et n’aient pas peur de prendre la parole » – CryptoWendyO
« On a du mal à trouver des femmes pour intervenir dans les panels et se présenter sur scène. On dirait que ce sont toujours les mêmes qui répondent », a-t-elle déclaré. « Il faut que les femmes se montrent et n’aient pas peur de prendre la parole. Chez Zumo, nous avons lancé crypto confidence, un meetup mensuel où je ne voulais que des femmes. On m’a dit que c’était excluant pour les hommes, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Les hommes peuvent être inspirés par des femmes. C’est beaucoup plus facile pour une femme d’être inspirée par une autre femme. »
Les femmes qui sont inspirées par d’autres femmes n’ont pas toutes les moyens d’acheter un billet pour le Web Summit. C’est un sentiment que connaît bien Wendy, qui ne divulgue pas son nom de famille et se fait appeler CryptoWendyO en ligne pour se protéger, elle et sa famille, des menaces.
Sans formation technique, Wendy a commencé à créer du contenu parce qu’elle avait appris à trader des bitcoins et d’autres crypto-monnaies et qu’elle voulait créer un réseau avec d’autres personnes. Il fut un temps où elle n’aurait jamais pu se payer un billet pour le Web Summit. « J’étais pauvre, je n’avais pas de quoi débourser des milliers de dollars pour voir quelqu’un présenter sa devise ou son projet », a-t-elle déclaré à VICE lors d’un appel vidéo.
« Sur trois pages de créateurs de contenu, il n’y a que des hommes. Je suis la seule femme » – CryptoWendyO
Les rencontres en personne se sont converties en création de contenu, et elle est aujourd’hui détentrice de la plus grande plateforme YouTube pour une créatrice de contenu dans l’espace Web3. Ses analyses montrent également que 95 % de ses spectateurs sont des hommes, ce qui est identique à ce que White, la critique de Web3, a constaté sur sa chaîne YouTube.
« Quand vous regardez mes analyses, il est indiqué “autres créateurs de contenu qui sont similaires à vous”, et sur ces trois pages de créateurs, il n’y a que des hommes. Je suis la seule femme », raconte Wendy. Il y a une semaine, en cherchant « crypto » sur YouTube, elle était la seule créatrice à apparaître dans la première page de résultats ; en faisant la recherche aujourd’hui, pas une seule femme n’est apparue dans les 20 premières vidéos qui me sont recommandées.
Mais d’autres plateformes présentent peut-être une opportunité de diversification plus large. Les femmes représentent 28 % des utilisateurs de TikTok de Wendy. « C’est pour cela que j’aime faire du contenu sur cette plateforme, ça me permet d’atteindre un public complètement différent. »
Le conseil de Wendy à toutes les femmes accablées par le manque de parité dans ce domaine est le suivant : « Prenez 10 minutes chaque jour et investissez en vous-même. Si vous ne connaissez pas la signification d’un terme, éduquez-vous. »
Et dans son panel du Web Summit, Hunter, cofondatrice de TechAid, a ajouté : « Si vous êtes une femme et que vous cherchez un modèle à suivre, trouvez quelqu’un avec qui vous vous sentez en accord, dont les valeurs s’alignent avec les vôtres, et demandez-lui : « Est-ce que je peux me joindre à vous et amener une amie ? ».
« C’est à nous qu’il incombe de nous élever. »
Cet article a été écrit avec le soutien du réseau Omidyar en toute autonomie éditoriale.
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