Malgré le fait que l’événement se soit déroulé dans le calme – et qu’il ait rassemblé beaucoup moins de monde que prévu –, le dispositif policier était particulièrement impressionnant. Une grande démonstration de force policière a suivi la fin du rassemblement, d’abord autour du square de la Putterie, où les premières arrestations ont eu lieu. Quelques minutes plus tard, un dispositif encore plus important a été déployé sur le Carrefour de l’Europe, à la sortie de la Gare Centrale, et un groupe de plusieurs dizaines de personnes – manifestant·es ou non – s’est fait nasser par la police anti-émeute. Autour, un deuxième rideau de policier·es empêchaient les gens de s’approcher.
C’est dans cette nasse que se trouvait une partie importante des personnes qui se sont fait embarquer à la caserne d’Etterbeek, alors que quelques autres arrestations avaient encore lieu autour du square.
Au-delà du fait que ce dispositif ait visiblement été mis en place pour dissuader toute forme de mobilisation au sujet des injustices et des oppressions, le plus navrant reste de constater que, même si les arrestations post-manif sont monnaie courante, la plupart de celles d’hier ont été effectuées de façon aléatoire.
On a parlé à quelques-unes des personnes qui ont fini la soirée en cellule.
Sean (22 ans), artiste et étudiant à l’ERG
« J’étais là suite au décès d’Ibrahima, pour protester contre les violences policières et le système en lui-même. De base, la police a dit que la manif était tolérée 45 minutes. Là, il y a eu quelques dérapages à la fin. Ça se coursait vers le bas du Mont des Arts, près de l’église, rue de la Putterie. Pendant ce temps-là, la police a commencé à nous encercler en soums. Les boucliers ont commencé à nous rabattre. En gros, de la petite chapelle, on s’est fait rabattre jusqu’à la place devant la Gare Centrale. C’était impressionnant, je me suis dit qu’iels étaient coordonné·es de fou. Là, iels ont sorti les chiens et arrêté des gens qui attendaient juste le bus. On était une bonne centaine, voire 200 et on s’est tou·tes fait rabattre contre la gare. Les policier·es ne communiquaient pas. Par petite section, iels arrivaient et séparaient le tas. Il fallait préparer les cartes d’identité. Je sais pas pour quel motif, mais soit tu sortais à gauche et t’étais libre, soit t’allais à droite dans le fourgon.
Un policier m’a arrêté. Je me suis senti baisé. Les gens avec qui j’étais et moi, on n’avait rien fait. On s’est juste approché·es pour voir. J’étais pas un fouteur de merde. Iels m’ont serré super fort les colsons et on s’est fait embarquer dans le bus pour aller à la caserne d’Etterbeek.
D’abord, on nous a mis dans une première cellule. Quand j’ai quitté cette cellule, mes potes qui y sont restés ont mangé des gifles alors qu’ils n’avaient rien fait. Les flics disaient : “Qui va parler maintenant ? Vous êtes tous des salopes.” Les flics, c’est des racailles en uniforme. Y’a des potes à moi qui ont ramassé seulement parce que d’autres foutaient la merde dans la cellule. Dans les cellules où ça foutait la merde, les flics rentraient et tabassaient des gens avec leur armure et leurs casques. On le voyait dans le couloir.
« Le petit s’est mangé des coups de coude, des coups de genoux, il s’est fait étrangler tout en se faisant tabasser. D’autres types m’ont dit avoir vu des flics lui cracher dessus. »
Je sentais mes mains qui commençaient à s’endormir et on me disait qu’elles commençaient à devenir blanches voir bleues. Ceux qui m’ont sorti de la première cellule, c’étaient des sucres. Perso, je suis du genre à dire qu’il y a des bons et des mauvais flics. Mais ces bons flics n’ont pas bougé quand leurs collègues tabassaient les petits.
Dans la deuxième cellule où on m’a foutu, il y avait des petits en face de nous. À un moment, une dame est rentrée et je pense qu’un petit lui a dit quelque chose. Elle lui a mis une gifle et ses deux collègues lui ont mis des tartes et des coups de poing. Le petit s’est mangé des coups de coude, des coups de genoux, il s’est fait étrangler tout en se faisant tabasser. D’autres types m’ont dit avoir vu des flics lui cracher dessus. Iels avaient une vue directe sur la scène. Ça m’a choqué. Ils ont tapé deux ou trois autres mecs dans cette cellule mais lui, iels l’ont rentré à plusieurs.
Il y avait des gars qui avaient des briquets pour casser les colsons. Moi, je les ai pas enlevés même si j’avais super mal. Je voulais pas me faire taper.
Vers minuit, on s’est fait mettre dans un bus et iels nous ont emmenés à la Gare Centrale. Iels nous ont déposé·es un peu partout pour pas qu’il y ait des attroupements je pense. Je sais même pas ce que j’encours. Je ne sais pas si j’ai une amende, et si oui de combien… Les flics ne voulaient pas vraiment parler. »
Steph* (22 ans), photographe
« On est arrivé·es en retard à la manif avec mes colocs. Honnêtement c’était pas dingue. Y’avait déjà plein de flics sur la place et tu sentais que les gens avaient peur de se prendre des amendes. Du moins c’était notre cas, donc on faisait attention à garder nos distances.
La police a commencé à nous bloquer et nous rediriger vers la Gare Centrale. Des gens ont voulu s’échapper par le tunnel du métro et la police a lâché des chiens à leur poursuite. On était encerclé·es de partout. À la sortie du tunnel de métro, j’ai vu un mec se faire heurter par une voiture de police, tomber et puis se faire taper dessus. À partir de ce moment-là, c’était l’enfer.
Tout le périmètre était quadrillé. Peu importe dans quelle direction tu essayais de fuir ; tu te retrouvais à la gare. C’était évident que c’était prévu depuis le début. Sauf qu’un dimanche aprèm’ devant la gare, y’a juste plein de gens, et pas que des manifestant·es. Donc beaucoup de gens se sont retrouvés dans la nasse de la police, y compris des mineur·es qui ne faisaient que passer.
On était encerclé·es et iels avaient tout bloqué pour que personne ne puisse nous voir. Iels nous ont fait s’asseoir en file, mains attachées dans le dos par des colsons trop serrés. Il y avait des flics qui venaient parfois mettre leur genou dans le dos des dernier·es des file, comme si c’était pas assez pénible comme ça. Mon groupe est resté 45 minutes comme ça, car il n’y avait plus de bus pour nous. On était les dernier·es sur l’esplanade. J’ai entendu des policier·es dire des trucs du genre “Bah ça nous fera des heures supp’ !” Iels ont confisqué nos papiers et nous ont pris·es en photo, or c’est illégal pour une amende administrative.
« J’ai vu plusieurs mecs se faire violenter et un gamin se faire traîner par des flics, il devait avoir 15 ans, grand max. En voyant ça, la policière qui m’accompagnait a dit à son collègue : “Ça donne envie de donner des coups !” »
Quand le van est arrivé, iels nous ont entassé·es dedans – y’a eu zéro respect des mesures tout le long de l’arrestation. Il était déjà 18 heures et on était toujours dans la camionnette. À la caserne, iels étaient en sous-effectif. Quand on est entré·es dans la caserne, j’ai entendu une policière s’énerver sur son collègue : “Pourquoi vous en ramenez encore ?”, pendant que sa collègue s’inquiétait de louper son dîner raclette.
On est arrivé·es dans une cellule bondée. On devait être une cinquantaine. Tout le monde fumait, y’avait zéro respect des consignes, et on entendait blindé de mecs crier. Au fur et à mesure, on a dû changer de cellule et nos affaires ont été confisquées entre-temps. Sur le chemin d’une cellule à l’autre, j’ai vu plusieurs mecs se faire violenter et un gamin se faire traîner par des flics, il devait avoir 15 ans, grand max. En voyant ça, la policière qui m’accompagnait a dit à son collègue : “Ça donne envie de donner des coups !”
À 20h30, on était dans la seconde cellule. Y’avait pas de chauffage et je me suis fait insulter de pouffiasse quand j’ai demandé pour aller aux toilettes. Y’en avait qui jouaient les gentils : “On vous protège, tu vas voir les mecs de la cellule, ils vont t’insulter quand tu vas passer.” Ou encore : “Tu sais, Ibrahima, mes collègues ne l’ont pas touché.” Mais quand on posait des questions, la plupart nous ignorait.
À la sortie, j’ai signé leur formulaire. Iels s’étaient trompé·es dans mon identité… Tant mieux. Au début, on nous avait dit qu’on était arrêté·es pour rassemblement, mais le document à signer stipulait “trouble à l’ordre public”. Iels avaient également coché la mention “A refusé le contact”, comme si on avait refusé d’appeler quelqu’un, alors qu’on n’avait juste pas eu l’option. Y’a eu plein de bavures, même la capacité maximale des cellules n’a pas été respectée.
La plupart des filles sont sorties avant le couvre-feu à 22 heures, ça “jouait en notre faveur” selon la police. Mais les mecs se sont fait taper dessus et ont seulement été relâchés pendant la nuit. Il y avait une mineure de 12 ans avec nous. La police n’avait pas contacté ses parents donc personne n’était là pour elle à la sortie. »
Siham (33 ans), prof d’éducation à la citoyenneté
« Après la manif, je suis allée vers la gare pour reprendre mon train. On a vu des jeunes rassemblé·es sur la place et il y avait énormément de flics. La nasse de flics autour de nous a commencé à se restreindre. C’est là qu’iels ont commencé à embarquer des gens de manière aléatoire. Le groupe était relativement calme, donc j’ai pas compris pourquoi iels ont déployé cette nasse. On venait de se faire interviewer par une journaliste du Soir qui nous avait demandé pourquoi on était là. Après avoir évacué les journalistes, iels ont sorti les colsons et j’ai compris qu’iels allaient nous arrêter. On a dû sortir du groupe un·e à un·e pour présenter notre carte d’identité et nous faire photographier. On m’a plaquée contre un fourgon pour me mettre les colsons et m’a dit de m’asseoir. J’ai refusé et on m’a forcée à me mettre au sol. On nous a transportées dans un fourgon avec d’autres filles.
À Etterbeek, on nous a mises dans une cellule, à 40. C’est là que je me suis rendu compte qu’il y avait énormément de mineures, dont une fille de 12 ans ; sa sœur était dans une autre cellule. Beaucoup de mineures n’étaient même pas à la manif. La police n’a donné aucun coup de fil aux parents, du moins durant les quatre heures où j’étais enfermée. C’était plutôt bon enfant pour nous, les filles, mais dans les cellules des mecs, c’était pas du tout le cas. J’étais assez étonnée qu’on ait pu garder nos affaires aussi longtemps. Je pense que les flics étaient débordé·es parce qu’on était beaucoup. Certaines filles ont filmé des scènes mais les flics ont tout supprimé. Je sais pas comment iels ont fait.
« Quand je lui ai demandé pourquoi il n’intervenait pas, il m’a répondu qu’on “ne dénonçait pas les collègues”. »
Au moment où j’allais déposer mes affaires pour qu’iels les scellent, j’ai vu un mec au sol avec quatre flics autour de lui qui lui shootaient dedans. J’ai demandé au flic qui m’accompagnait s’il cautionnait ça. Il m’a dit : “non”. Quand je lui ai demandé pourquoi il n’intervenait pas, il m’a répondu qu’on “ne dénonçait pas les collègues”.
On a eu droit à autant de discours qu’il y avait de flics : on nous a dit qu’on allait passer la nuit au poste, qu’on devait attendre l’avis du bourgmestre, qu’on aurait une amende, puis qu’on n’en aurait pas… Je suis sortie vers 21h20 mais je sais que d’autres personnes sont restées plus longtemps.
La semaine dernière, j’étais à la manif pour la culture. Il y avait 500 personnes tolérées, et je n’ai vu quasi aucun dispositif policier. Mais là, comme c’était une manif contre l’État, la justice et les violences policières, le dispositif était là pour décourager. Quand on est arrivé·es, il y avait déjà plein de contrôles et de l’intimidation pour nous empêcher de nous rendre à la manif. Hélico, chiens, autopompes, renforts… le dispositif était disproportionné. »
Bali (23 ans), danseur professionnel
« J’étais à la manifestation parce que j’ai pas pu être présent à celle qui a eu lieu mercredi dernier. À un moment, les policier·es ont commencé à nous encercler et, petit à petit, les arrestations ont commencé.
Dans ma cellule, il y avait des gens qui n’avaient rien à voir avec la manif. J’ai entendu des choses hallucinantes, du style : “Ah, on fait 150, c’est moins que la semaine dernière… 500 c’était bien.” Iels se croient dans un jeu vidéo. Iels s’en foutent des conséquences physiques ou psychologiques que l’enfermement peut avoir sur des personnes.
Moi, je suis claustrophobe et depuis presque deux ans, j’ai facilement des crises d’angoisse. Quand on nous a embarqués dans le camion, on nous a fait attendre une demi-heure. Donc plus de chauffage et l’oxygène se raréfie aussi. Je suis enfermé, j’ai les mains colsonnées et je commence à avoir du mal à respirer. J’ai la tête qui tourne. C’est un fourgon blindé donc on ne nous entend pas. Quand quelqu’un est passé par la cabine du conducteur, tout le monde a demandé qu’on me fasse sortir. C’est à ce moment-là qu’iels allaient nous mettre en cellule donc ça tombait à pic. Iels m’ont fait sortir genre une minute et demie avant que le reste ne sorte.
« C’est révoltant parce que t’entends plein de trucs racistes mais tu sais que si tu te révoltes, tu vas te prendre des coups. On est face à des gens qui n’ont pas assez de capacité cognitives pour regarder en dehors de leur schéma. »
Je suis resté enfermé en cellule jusqu’à environ minuit. Mes crises ont continué, surtout pendant la première demi-heure. À un moment, on a quand même réussi à aller aux toilettes donc j’en ai profité pour respirer un peu. On n’avait pas droit à de l’eau. J’en demandais parce que je sais que ça m’aide quand j’ai des crises d’angoisse. Iels s’en foutaient et me disaient : “Ouais plus tard”, ou “Ta gueule”.
On en parle des mesures COVID que la police est censée faire respecter mais qu’elle-même ne respecte pas ? J’ai des potes qui étaient à 35 dans une cellule. Les mecs n’ont même pas pu aller aux toilettes et ont dû pisser par terre.
Y’ a des mecs dans la cellule qui ont commencé à s’énerver parce qu’ils n’avaient pas le droit d’aller aux toilettes ni de boire de l’eau. Du coup, cinq colosses sont arrivés, ont ouvert la porte et ont commencé à insulter tout le monde. J’étais juste devant la porte parce que j’essayais d’être le plus proche possible d’une sortie d’air et de la petite chaufferette à l’entrée de la cellule. Quand un des policiers a ouvert, je n’ai pas eu le temps de reculer et j’ai été éjecté. Il m’a demandé : “Qui a crié ?” Je lui ai répondu que je ne savais pas et que c’était pas moi. Il m’a mis une grosse gifle. Un de ses collègues a écrasé mon masque sur mon visage et l’a jeté, m’a mis une tarte, et a cogné ma tête sur le mur en béton. Je n’ai pas réagi parce que je savais que si j’ouvrais ma gueule j’allais passer un sale quart d’heure. Les flics sont restés cinq minutes dans la cellule. Ils étaient debout, nous assis. Ils disaient : “S’il y en a un qui se lève, on le démonte.” Ils ont mis des claques à d’autres gens dans la cellule.
J’ai entendu des gens crier de douleur dans les cellules d’à côté, j’ai entendu la police insulter : “Alors, ici y’a plein de macaques c’est ça ? Y’a plein de Marocains.” Pendant toute la garde à vue, j’étais dans une ambiance hyper anxiogène et violente. Il n’y avait pas moyen de dialoguer avec les policier·es. C’est long parce qu’on n’a aucune notion du temps et que c’est super violent. C’est révoltant parce que t’entends plein de trucs racistes mais tu sais que si tu te révoltes, tu vas te prendre des coups. On est face à des gens qui n’ont pas assez de capacité cognitives pour regarder en dehors de leur schéma.
Le danger à ce moment-là, c’est pas toi qui est enfermé, c’est ceux qui sont libres et armés.
OK, je n’aime pas la police parce qu’elle représente un système avec lequel je ne suis pas en accord, mais hier, je n’ai pas tapé sur un·e flic, je n’ai pas crié sur un·e flic, je n’ai insulté personne. Pendant mes 7 heures de garde à vue, alors que je me suis fait frapper, insulté et humilié je n’ai pas répondu une seule fois.
Le soir, j’avais encore les poignets complètement gonflés, des morceaux de peau arrachés, super mal au dos et j’ai commencé à avoir mal à la tête des heures après que le policier m’a frappé contre le mur. Je suis rentré à une heure du matin mais je n’ai pas réussi à dormir avant trois heures du matin parce que j’avais mal au crâne. »
Maryan (26 ans), photographe
« J’étais même pas là pour la manif. On allait se balader en ville avec trois copines vers 15h30 et on savait que c’était un jour de manif, donc on est allées voir au Mont des Arts, mais c’était déjà fini. Y’avait juste des flics, des chevaux et des camionnettes partout. On a vu une masse de policiers vers la Gare Centrale devenir de plus en plus impressionnante. Iels encerclaient des gens, mais on ne les voyait même pas tellement iels étaient en surnombre. On regardait de loin en gardant nos distances.
J’avais filmé la scène et quand iels ont fermé le cercle, un policier est venu vers nous et nous a dit de partir, alors qu’en soi, on était déjà loin. On a reculé encore un peu, au même niveau que les autres personnes qui regardaient, car on voulait être témoin du reste de la scène. Au bout d’un moment, il est revenu vers nous avec une dizaine de collègues pour nous encercler. On s’est retrouvées face au mur, jambes écartées, les bras tenus. À chaque fois que je demandais pourquoi iels nous arrêtaient, iels ne répondaient pas et devenaient plus agressif·ves, donc à un moment, j’ai laissé tomber. En plus, iels étaient néerlandophones et on ne se comprenait pas.
« J’ai vu un mec tomber et convulser juste devant une cellule et cinq flics l’ont fait entrer dedans. »
Iels ont confisqué nos papiers et nous ont fait monter dans un grand bus. La raison ? “Vous verrez au commissariat, peut-être trouble de l’ordre public.” Une vingtaine de personnes nous ont rejoint dans le bus. On a roulé jusqu’à la caserne d’Etterbeek et on a poireauté environ une heure dans la camionnette. Il faisait super froid, et mes mains étaient gelées et serrées par les colsons. Un mec a fait une crise d’angoisse et les flics l’ont laissé comme ça, à le regarder par la fenêtre.
Quand on est sorti·es du bus, iels ont séparé les filles des garçons. Je me suis retrouvée dans une cellule avec toutes les autres filles, et comme les bus continuaient d’arriver, on était de plus en plus nombreuses et il faisait toujours aussi froid dans la cellule. Il y avait au moins cinq ou six mineures avec nous, dont une qui n’avait que 12 ans.
Après une heure d’attente, on m’a ramenée au poste de vérification d’identité et j’ai demandé pour aller aux toilettes. J’entendais des cris et des coups résonner dans la caserne. Quand j’ai voulu regarder ce qui se passait, la policière qui m’accompagnait m’a dit de regarder devant moi. En passant, j’ai vu un mec tomber et convulser juste devant une cellule et cinq flics l’ont fait entrer dedans. À ce moment-là, les filles de la cellule d’en face se sont mises à crier, sûrement choquées de ce qu’elles ont vu. La policière m’a demandé de patienter pour ne pas passer devant la cellule car il y avait “une procédure en cours.”
« J’étais épuisée et dégoûtée de voir à quel point peu importe tes droits, iels peuvent faire ce qu’iels veulent. »
Quand iels ont voulu vérifier mon identité, je leur ai expliqué que mes papiers avaient été confisqués et iels ont trouvé ça bizarre. Apparemment, c’est pas la procédure. Iels m’ont prise en photo. J’ai donné toutes mes affaires et signé un document pour pouvoir les récupérer après, et j’ai ensuite été transférée dans une autre cellule où je suis restée au moins quatre heures.
Au total, ça a duré environ sept heures. Sept heures sans recevoir aucune information sur les motifs de l’arrestation ni les conséquences. Iels ont laissé sortir les gens un à un, cellule par cellule. Je ne sentais plus mes mains et j’étais épuisée et dégoûtée de voir à quel point peu importe tes droits, iels peuvent faire ce qu’iels veulent. Mais j’ai eu de la chance : j’ai pu aller aux toilettes, j’ai même reçu une gaufre et de l’eau et je n’ai pas été violentée. Par contre, j’ai vu des mecs mineurs sortir de là en boitant. »
Sylvain (31 ans), prof de math
« Je suis parti à la fin de la manifestation, et je suis remonté vers la gare. À ce moment-là, la police avait déjà encerclé toute la place (Le Carrefour de l’Europe, NDLR). Elle a commencé à avancer progressivement, selon les ordres, pour réduire notre périmètre, donc on s’est retrouvé·es enfermé·es à environ 30 ou 40 personnes. J’étais loin de me douter qu’on allait finir au cachot. Je pensais qu’on allait nous libérer les un·es après les autres pour qu’on se disperse. Iels ont pris notre identité, nous ont fouillé·es, nous ont colsonné·es et on a dû s’asseoir les un·es derrière les autres les mains dans le dos derrière les combis. Un type est tombé dans les pommes. Iels nous ont mis dans le bus. Je les ai entendus nous insulter d’animaux.
Iels nous ont emmené·es à la caserne d’Etterbeek, toujours sans informations. On ne savait rien. On ne savait pas où on nous emmenait, ni pour quel motif on avait été arrêté·es. Il y avait des gens qui n’avaient rien à voir avec la manif : un mendiant, des jeunes filles qui attendaient leur bus…
« Quand je suis arrivé, la cellule était déjà pleine de pisse. On était une trentaine, dans une cellule pour laquelle c’était écrit : “Max 20 personnes”. Iels nous gueulaient dessus. »
On a attendu quelque temps dans le bus, puis on a été escortés jusqu’à la cellule. Quand je suis arrivé, la cellule était déjà pleine de pisse. On était une trentaine, dans une cellule pour laquelle c’était écrit : “Max 20 personnes”. Iels nous gueulaient dessus : “Fermez vos gueules”, “Asseyez-vous”. On s’est tous enlevé les colsons. J’ai fumé une cigarette. Il y avait beaucoup de cris, les gens étaient hors d’eux. Les jeunes de 16, 17, 18 voire 20 étaient nerveux. J’étais aussi stressé mais j’ai 31 ans donc je peux peut-être plus garder mon calme. Un groupe de policiers est arrivé, attiré par le bruit, et nous a provoqué. Le seul qui a osé répondre s’est fait descendre comme une merde. On nous a aussi fait comprendre que plus on voulait boire et aller pisser, plus on allait devoir attendre pour être libérés.
Vu qu’iels m’avaient fait comprendre que j’allais subir un autre traitement si j’étais à la manif, j’ai dit que je n’y étais pas et que j’accompagnais juste quelqu’un à la gare. Sans doute par rapport à mon âge et mon boulot – les jeunes avec qui j’étais enfermé ont dit aux flics que j’étais prof de math –, iels m’ont bien considéré. J’ai signé un papier, que j’ai pas lu, et je suis parti. »
*Noms d’emprunt.
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