« Hiii Haaa ». Un cri de joie retentit depuis la plage de l’Huveaune, voisine de celle du Prado, à Marseille. L’eau est à 14 degrés, la température extérieure ne dépasse pas les 10 degrés et le Mistral, qui s’est décidé à souffler après quelques semaines d’une absence bien remarquée – bienvenue diraient certains -, saisit jusqu’à l’os.

Pourtant, ils sont déjà une trentaine à s’être jeté à l’eau, planche sous le bras et combinaison zippée jusqu’au cou. Il n’est pas neuf heures ce dimanche et le parking est déjà presque plein. En voiture, à pied, en bus, ou à vélo, surfeurs et surfeuses ne cessent d’affluer sur cette plage du centre de Marseille. Rapidement, ils sont plus d’une cinquantaine à se partager les modestes vagues de ce bout de plage de 200 mètres de long.

« Beaucoup d’adultes s’inscrivent au surf comme on s’abonne à la salle »

Le spectacle a de quoi étonner. « Ça a complètement explosé », constate Florian, 36 ans, qui a créé en 2010 l’école de surf la 13e vague et pour qui « ça marche vraiment bien depuis 4-5 ans ». Ce dimanche, il a réparti 80 stagiaires en 10 groupes de 8 qu’il encadre au fil de la journée avec deux autres moniteurs. Avec le covid, entre la fermeture des salles de sport et des stations de ski, cet hiver atteint des records. « On a surtout beaucoup d’adultes, majoritairement des femmes, qui ont entre 30 et 50 ans et s’inscrivent au surf comme on s’abonne à la salle », détaille Florian, natif d’Aix-en-Provence, ville située à une trentaine de kilomètres dans les terres.

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Florian et les stagiaires de son école de surf, la 13e vague, plage de l’Huveaune, Marseille, dimanche 15 décembre 2021. Alexandre Vella

Le spot de la plage de l’Huveaune est particulièrement populaire. Facile d’accès, il marche par Mistral, le vent dominant qui souffle en abondance entre novembre et avril. L’embouchure de la rivière Huveaune créé des bancs de sable qui génèrent de petites déferlantes, idéales et faciles à surfer. Il est également situé au bord de la route qui longe le littoral, ce qui rend les surfeurs très visibles et amène plus d’un néophyte. Rencontrées ce jour-là, Laïana et Alexia, s’essayent en autodidacte. Respectivement arrivées de Perpignan et Paris en septembre dernier pour étudier à l’École Nationale Supérieure Maritime, les deux amies voulaient « pratiquer une activité nautique » et se sont achetées une planche pour deux.

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Alexias (à gauche) et Laïana transporte leur planche à vélo.

L’attrait de la mer est un réel argument pour les nouveaux venus à Marseille. À l’image de Quentin, jeune agent de sécurité privé descendu du Nord – le vrai, le département – pour travailler. Lui aussi débute en surf, motivé par la volonté de « [s]’initier aux sports nautiques. Dans deux mois, je commence le wind surf, puis le kite », énumère-t-il. Il ne s’attendait toutefois pas à surfer. « Si on m’avait dit cela quand j’étais encore dans le Nord, j’aurais rigolé ».

« Parfois, c’est un peu l’arène. Chacun doit faire sa place et quand t’es une fille, c’est un plus compliqué »

Paul, lui, est un surfeur aguerri. Il a débarqué du Morbihan pour le boulot avec sa femme et ses quatre enfants il y a deux ans. Dans ses bagages, il avait emporté sa planche, sans trop y croire. Bien que « ses potes bretons se foutent de [s]a gueule et que [s]on cousin n’y croyait pas au début », ce fut pour lui une bonne « surprise de découvrir qu’il était possible de surfer à Marseille ». Paul a également été surpris du nombre de pratiquants à Marseille. « Aujourd’hui, ça passe encore ». Mais en septembre dernier, il se souvient d’une session horrible. « C’était noir de monde. Et les gens ici, je ne sais pas… En Bretagne, il y a une espèce de courtoisie, d’éthique, ici ce n’est pas trop ça… Normalement, c’est un seul par vague, chacun son tour. Il y a tous les niveaux, mais pas les bases éthiques… », regrette-t-il. « Ça dépend des spots, mais parfois, c’est un peu l’arène », ajoute Malika, une jeune trentenaire marseillaise. « Chacun doit faire sa place et quand t’es une fille, c’est un peu plus compliqué ». Ce matin, elle a eu la flemme d’aller sur d’autres spots de l’est et l’ouest marseillais, moins connus, moins accessibles.

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Quelque part à proximité de Marseille, fin décembre 2020. Crédit : Courtesy of Nicolas Mallaret.

Nicolas Mallaret ne donne pas « les bons spots comme ça. C’est un peu comme les coins à champignon », indique ce surfeur, professeur d’EPS et photographe amateur. Sur son Instagram, il omet volontairement d’indiquer les lieux de ses prises de vues, souhaitant garder à distance les nouveaux venus. Car il existe autour de Marseille de vraies belles vagues à fond rocheux qui ressemblent un peu à celle de récifs des pays tropicaux. « Mais même dans ces endroits-là, parfois ça sature », reconnaît Yann, 25 ans de surf à Marseille et pur marseillais, malgré son prénom breton, souvenir d’une lointaine origine familiale. Il a également pu constater l’engouement autour de ce sport. Cet agent de la sécurité sociale estime que le phénomène « est sociétal. Beaucoup plus de gens font du jogging aussi par exemple. Nous sommes dans une société de loisir. Puis, il y a l’image du surf, le surfwear… Beaucoup ont été attirés par l’image ».

Une image cool, fun et désirable que les publicitaires ne manquent pas d’user, contribuant à sa popularisation. D’une lotion d’après-rasage de la fin des années 70 aux bagnoles les plus récentes, les réclames mettant en scènes des surfeurs connaissent un succès continue. Eau minérale, parfum, bière, le surf sert à vendre à peu près tout et n’importe quoi.

« L’euphorie du surf est devenue n’importe quoi. Je pense que les gens ont besoin de contact avec la nature et que la base du surf c’est d’être dans un environnement puissant et naturel »

« Il y a aussi la naissance d’icône comme Kelly Slater et l’avènement de la compétition », poursuit Nicolas Mallaret alors que le surf connaîtra ses premiers Jeux olympiques à Tokyo cet été. Parmi les stars de la discipline, Marseille a fourni à la France une fratrie de champions. Antoine et Edouard Delpero, respectivement champion d’Europe et du monde y sont nés et y ont débuté le surf. Ils vivent aujourd’hui sur la côte basque, après avoir intégré le pôle France sport étude et où ils sont restés pour ouvrir à Biarritz leur école de surf. Toute leur famille vit encore à Marseille et ils y retournent régulièrement. « Cet hiver, c’était à la limite du surfable », se souvient Edouard qui observe « l’euphorie du surf, devenue n’importe quoi. Il y a des spots où il faut un minimum de savoir-faire et le niveau n’est pas toujours au rendez-vous », souffle-t-il. « Enfin, c’est une mode, tout simplement. Je pense que les gens ont besoin de contact avec la nature et que la base du surf, c’est d’être dans un environnement puissant et naturel, c’est assez unique ».

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Quentin, un agent de sécurité de privé venu du Nord pour vivre et travailler à Marseille, découvre le surf. Alexandre Vella

Cette mode, Hervé Amouyal peut témoigner de sa création. À Marseille, il est un des pionniers du surf. Comme l’essentiel des surfeurs de sa génération, il a commencé par la planche à voile. Il achète sa première planche en 1983 dans un dépôt-vente après avoir lu quelques maigres reportages sur le surf dans des magazines de planche à voile.

« Ceux qui se sont rendus compte du potentiel de la région, ont défriché les spots et ont vraiment ramené le surf ici, ce sont des étudiants tahitiens de l’école d’architecture de Lumini »

Il y a alors tout un terrain de jeu à défricher. Internet n’existe pas, les applis et sites de prévision de vagues encore moins. « En 83-84, on était une poignée. Ceux qui se sont rendus compte du potentiel de la région, ont défriché les spots et ont vraiment ramené le surf ici, ce sont des étudiants tahitiens de l’école d’architecture de Lumini », raconte Hervé. Lors de ses premiers trip surf sur la côte ouest avec ses amis marseillais, ils apparaissent pour les surfeurs locaux comme « des bêtes curieuses. Quand on disait « on vient de Marseille et on sait surfer », ça les faisait rire. Du moins, jusqu’à ce qu’on se mette à l’eau. Aujourd’hui, tous les surfeurs de la côte ouest savent qu’il y a des vagues à Marseille… ».

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Surfeurs à la Plage de l’Huveaune, Marseille, dimanche 15 décembre 2021. Alexandre Vella

Avec ses potes, il créé un répondeur téléphonique qui donne la météo. Une sorte d’infoline comme l’utilisent aujourd’hui encore les teufeurs. En 1992, il cofonde le Sardine surf club et ouvre deux ans plus tard le Massilia surf shop, le premier de la région. Le surfwear est alors immensément populaire, mais le nombre de pratiquants explose vraiment autour de 2010, lorsque cette mode vestimentaire amorce déjà son déclin. C’est à cette époque qu’éclosent un grand nombre d’écoles de surf et se répand un matériel qui facilite l’apprentissage, comme les planches en mousse. À Marseille, les vagues dépassent exceptionnellement les 2 mètres, ce qui rend la pratique du surf encore plus accessible et fait que Marseille reste dans l’angle mort de ce sport, dont la légende repose en partie sur les vagues géantes, telles Nazaré au Portugal ou Belharra sur la côte basque.

Reste que sa popularisation agace les puristes, à Marseille comme ailleurs. « Tous les surfeurs veulent être seuls sur leur vague. Le surf est un sport individualiste par essence », explique Hervé qui, lorsqu’on lui demande s’il va à la plage de l’Huveaune pour surfer, sourit puis rigole. « Les vrais surfeurs travaillent peu », et ont tout le loisir de surfer en semaine, sur les meilleurs spots.

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