Les dernières élections présidentielles ont, une nouvelle fois, dé”montré à quel point le monde politique pouvait s’écharper sur le sujet. Les quelques lignes consacrées aux migrants dans les programmes étaient parfaitement manichéens : des référundums pour limiter l’immigration pour les candidats de droite et une politique migratoire humaniste pour ceux de gauche. En attendant une prise de position de la part des politiques publiques, les associations s’impatience et espère un jour être soutenues par les autorités et l’exécutif dans leur travail quotidien.
VICE France a interrogé Pierre Maturin, coordinateur de l’antenne à Paris d’Utopia 56 pour nous raconter ce que ça fait d’avoir la douloureuse impression de travailler dans le vide. Son association, présente dans 9 villes, de Calais à Toulouse, organise des maraudes et propose des hébergements aux migrants. Avec d’autres collectifs, Pierre Maturin demande aux candidats aux législatives d’incorporer dans leurs propositions la protection des demandeurs d’asile, notamment ceux dans les rues.
La guerre en Ukraine a réveillé la générosité de nombreux gouvernements et mis sur le devant de la scène l’accueil des migrants. Et pourtant, une distinction entre les différents réfugiés, y compris ceux venant de pays en guerre, s’est instaurée. Dernièrement un bénévole d’Utopia 56, à Grande-Synthe, a contacté le 115 pour trouver un hébergement d’urgence pour une famille de six personnes dont un bébé à la rue. Demande refusée pour faute de place. Mais quelques minutes plus tard, le 115 a rappelé le bénévole pour lui plus d’informations :« pardon, j’ai oublié de vous demander, est-ce qu’ils sont ukrainiens ? ».
VICE France : Beaucoup d’associations luttent contre la théorie de l’appel d’air, qu’est-ce que c’est ?
Pierre Maturin : Ça repose sur l’idée que plus on accueille de personne et mieux on les accueille, plus il y aura de personnes qui souhaiteront venir en France, en se disant qu’ils seront bien accueillis. Elle revient très souvent dans le discours politique pour justifier le fait de ne pas accueillir un grand nombre de personnes qui cherchent l’exil. Nous, au contraire, on remarque à quel point, à leur arrivée en France, les demandeurs d’asile sont surpris du mauvais accueil en France et de voir que le passage à la rue est quasi inévitable et qu’il peut durer très longtemps.
Mais est-ce qu’il y a eu des études pour démontrer cet appel d’air ?
Pas du tout, ça ne repose sur aucune recherche et ça n’a jamais été prouvé. Et même si elle se vérifiait, il y aurait toujours des personnes qui viendraient en France car elles n’ont pas d’autre choix. Nous devrions être fier de pouvoir bien accueillir ceux qui cherchent refuge en France. Dans la notion d’appel d’air, il y a l’idée que les migrants choisissent le pays de destination en comparant les politiques migratoires et ça c’est complètement con. Vous imaginez des gens en Afghanistan ou au Soudan, faire une recherche sur internet pour savoir dans quel pays aller avant de partir ? Ce sont vraiment des argumentaires déconnectés de la réalité.
Est-ce que vous considérez que les conditions d’accueil se sont dégradés ces derniers temps ?
Depuis le début de la crise de 2015, il n’y a pas eu de moments où l’accueil était de bonne qualité en France. Il n’y a pas eu de dégradation, mais pas d’amélioration non plus. Les personnes passent toujours autant de temps dans la rue et il est difficile d’avoir accès aux services d’hébergement. De bonnes initiatives ont vu le jour, comme le centre de premier accueil à La Chapelle en 2016, mais ça n’a duré que quelques mois malheureusement.
Pourtant, la France accepte parfois d’accueillir des migrants comme pour l’Ukraine, comment expliquez-vous cette différence de traitement ?
On voit bien que tout est une question de volonté politique, on nous répète que c’est une question de moyen, qu’il n’y a pas de budget, pas de place mais pour l’accueil des Ukrainiens on a remarqué avec étonnement mais aussi satisfaction et joie que c’était possible. En quelques jours, on a annoncé la création de 100 000 places d’hébergement alors qu’on peut attendre des mois, voire des années, pour des campements de 300 exilés Afghans ou Soudanais, donc forcément ça nous alarme. Si la crise en Ukraine pouvait au moins ouvrir les esprits. Il faut que les politiques se rendent compte que c’est le même type d’exilés que ceux qui viennent d’Afghanistan ou du Soudan. Pour l’instant, il n’y a pas du tout de remise en question à ce niveau-là.
La solution pour vous ce serait d’avoir une forme de lobbying pro-migrants c’est ça ?
95% des fois où on parle des demandeurs d’asile dans le débat public c’est pour alimenter des thèses racistes ou d’extrême droite. C’est très compliqué pour nous d’infuser nos idées aux élus politiques qui sont généralement sourds à nos demande même pour ceux de gauche parce que c’est un sujet qui n’est pas sexy à porter en ce moment. On espère que la prochaine législature bougera un peu les choses mais on reste assez pessimistes.
Des collectifs n’hésitent pas à aider les demandeurs d’asile à recourir au squat pour les loger, pensez-vous que c’est une bonne solution ?
Malheureusement oui. Dans les prochaines années, le nombre de squats va exploser. On demande tous les jours aux acteurs publics de réquisitionner des bâtiments vides pour les utiliser mais on ne nous répond jamais et lorsqu’on le fait c’est pour nous dire “non”. C’est malgré tout une sorte de défaite pour nous d’en venir au squat. Mais ça reste une meilleure solution pour les gens que de survivre à la rue. Et vu que cela risque de ne pas bouger pas dans les mois et les prochaines années à venir, c’est une solution qui leur permet de s’auto-gérer.
Comment expliquez-vous le fait qu’on préfère aujourd’hui laisser des bâtiments vides plutôt que d’accueillir des gens ?
Les mairies ou les préfectures ont peur d’ouvrir une brèche. Ils se disent que s’ils ouvrent exceptionnellement deux bâtiments, il y aura d’autres demandes et que tout le monde se retournera contre eux. C’est aussi à nous, citoyens, de porter ce message fort et de se faire entendre auprès des élus politiques pour que ça s’impose dans le début public. En Ile-de-France, il y a 400 000 logements vides et des milliers de personnes à la rue. C’est un paradoxe qu’on ne comprend pas et on aimerait que la plupart des gens ne comprennent pas non plus.
Cet hiver, alors que les températures nocturnes étaient au plus bas on a suivi plusieurs collectifs et associations se démenant pour proposer aux émigrés des solutions d’hébergement d’urgence.
Réalisation, Images et Montage : Clément Jandard.
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