Dans une pièce éclairée par des néons, il a l’œil fixé sur les quatre écrans de contrôle pour scruter le moindre détail. Robin et Kévin, les autres membres du staff, l’épaulent. Gestion des arrêts aux stands et des pneumatiques, optimisation des trajectoires, stratégies de course. Les trois compères n’ont rien à envier à Christian Horner ou Toto Wolff, les directeurs respectifs des écuries Red Bull et Mercedes. « La course est virtuelle mais les sensations sont réelles. Le casque peut même voler comme avec Toto. Ça arrive aussi que des pilotes pètent les plombs en se rentrant dedans volontairement en mode GTA ». Des coups du sort que la structure française aime mettre en images sur sa chaîne Youtube cumulant 900 000 vues et 11 000 abonnés. Entre deux reviews, la série « The Conquest » propose une immersion à la manière d’un « Drive to Survive » sur Netflix.
« Même s’il y a des limites physiques notamment au niveau de la vitesse qu’on peut encaisser. Je vais d’abord passer mon permis. Ça ne devrait pas être trop compliqué. » – Luke Smith, pilote Alpine Esports
Nul doute que la troisième manche des F1 Esports Series, disputée début novembre, leur a offert de la matière. Les pilotes ont pris, virtuellement, la direction de l’Italie, du Mexique et des États-Unis. Trois courses de 45 minutes en trois jours. « On fait la moitié d’un circuit réel. Le matin, c’est essais libres. Les qualifications l’après-midi et la course en début de soirée », détaille Robin, exilé de Picardie pour coacher le team. Et quand les deux joueurs (trois par écurie mais uniquement deux en course) sortent de piste dès les premiers virages, la soirée est terriblement longue. « Les écarts entre le premier et le dernier sont infimes. C’est l’affaire de quelques dixièmes car les voitures ont les mêmes performances. On ajuste uniquement les réglages. Donc, une erreur et c’est mort ! » Pour cette saison 2022, Alpine termine à la neuvième place d’un classement constructeurs dominé par McLaren. Une position qui laisse cette écurie rêveuse tant elle est différente du championnat réel.
Des Grands Prix à domicile
Rapidement largué, Luke Smith, jeune espoir de 16 ans, a vécu une course en retrait du groupe de tête mais aussi des locaux d’Alpine Esports. Les jours de compétition, l’ado est dans sa maison familiale, au nord de Londres. Même configuration pour ses coéquipiers Filip Presnajder et Patrik Sipos, délocalisés en Slovaquie pour l’un et en Hongrie pour l’autre. Chaque détail compte pour Richard Arnaud : « Nous avons le baquet le plus jeune de la grille avec des pilotes de 16 à 19 ans. Ils ont besoin de jouer dans un environnement qu’ils connaissent parfaitement avec des repères familiaux et la possibilité de décrocher plus facilement après les courses. Tout le reste se passe à Limoges comme les entraînements et les debriefs ».
« On a un coach sportif qui travaille avec de vrais pilotes et des sportifs de haut niveau comme le CSP Limoges. Ça passe par du gainage, du badminton et de la coordination œil-main. » – Richard Arnaud, manager
Les vestiges d’une période Covid avec des manches disputées à distance. Mais Luke aimerait prochainement vivre des « raceday » avec adversaires et public sur le format des championnats de League Of Legends. « C’est un peu la seule chose qui nous manque par rapport à la vraie F1. Ce serait plus que de la simulation. » Et un sacré achèvement pour celui qui a débuté à dix ans sur F1 2015 et son petit PC. Après avoir rousté amis et joueurs en ligne, le Britannique s’est rapidement rendu compte de son niveau. Jusqu’à vouloir en faire son métier en intégrant l’académie Race Clutch. Lui, le fan de Ferrari et de Carlos Sainz qui aimerait bien un jour monter dans un vrai baquet. « Même s’il y a des limites physiques notamment au niveau de la vitesse qu’on peut encaisser. Je vais d’abord passer mon permis. Ça ne devrait pas être trop compliqué. »
Le jeune pilote dispose déjà de sérieux repères. En entraînement, il est scotché pendant plus de six heures par jour dans ce simulateur d’une valeur de 7 000 euros. « Mais, à l’échelle de la F1, une telle somme reste dérisoire », justifie Richard Arnaud qui évoque tout de même un « cash prize » de près d’un million d’euros sur la compétition.
Le manager de l’équipe est aux petits soins pour ses petits protégés qui le surnomment affectueusement grand-père. Il planifie une préparation physique pour prévenir toute blessure et optimiser les réflexes. « On a un coach sportif qui travaille avec de vrais pilotes et des sportifs de haut niveau comme le CSP Limoges. Ça passe par du gainage, du badminton et de la coordination œil-main. »
Bugs virtuels et réelle malchance
Les corps sont affutés et les machines à la pointe de la technologie. Ce qui n’empêche pas quelques bugs occasionnels avec des crashs de logiciel ou des problèmes de synchronisation de parties. Sans oublier d’autres désagréments bien rageants. « On reçoit le jeu plusieurs mois avant la sortie officielle donc on a le temps de bien le maîtriser mais il peut toujours y avoir une pédale qui se bloque ou un volant qui coince. Ce sont nos soucis mécaniques et notre malchance. » Comparable aux vraies galères de Ferrari ? « Eux, c’est de la mauvaise gestion plus que de la poisse. J’ai déjà visité leur paddock en 2019 et j’ai tout de suite vu qu’ils n’étaient pas près d’être champions du monde… »
Un tacle glissé du Limousin malgré son admiration éternelle pour la Scuderia. Comme bon nombre d’amateurs de F1, il a été bercé par les succès de Michael Schumacher et les courses du dimanche après-midi sur TF1 après le poulet-frites familial. « Puis, j’ai joué à un jeu F1 sur Gameboy Color et ensuite Gran Turismo sur Playstation. » De cet amour est née une envie : créer son entreprise de simracing. Ne lui restait plus qu’à définir ce terme pour les non-initiés : « Si j’avais à le mettre dans Le Petit Robert, je dirais que c’est un jeu de courses automobiles qui suit un règlement style FIA. Ce qui exclut des jeux comme Mario Kart et Need for Speed car on ne fait pas vraiment de stratégie pour envoyer des carapaces ». Richard Arnaud lance alors Race Clutch en 2020 et signe, un an plus tard, un partenariat avec Alpine pour devenir aujourd’hui la référence en France avec d’autres activités virtuelles comme sur le rallye WRC et les 24 heures du Mans. « Le simracing est en plein boom. Certains pilotes virtuels sont mêmes plus bankable que des pilotes de fond de grille comme Stroll ou Latifi. »
Les moteurs Netflix, Twitch et Youtube
S’il œuvre pour intégrer des pilotes français dans son équipe et ainsi imiter la future paire tricolore Gasly-Ocon, le visionnaire se plaît également à voir le réel se frotter au virtuel. « La mobilisation neuro-visuelle est sensiblement la même. Esteban Ocon a fait plusieurs entraînements avec nos pilotes virtuels. Fernando Alonso est aussi un grand passionné qui nous suit beaucoup. Max Verstappen est un féru de simulation. Entre le Japon et le Brésil, il a même participé aux 6 heures virtuelles de Spa-Francorchamps. »
« Il y a pas mal de streameurs et youtubeurs qui se sont spécialisés comme Depielo et Étienne Moustache. »
Mais comment expliquer ces nombreuses passerelles ? La réponse est assez simple : « La simulation automobile est celle qui est la plus proche du réel avec le volant et les pédales. Quand tu joues à Call Of, tu ne vas pas pouvoir partir au front juste après. De même que FIFA qui se joue avec les mains… ». Le jeu d’EA Sports, justement, reste une comparaison crédible en termes d’écosystème. Du moins, pour le moment. « Ça va encore être difficile d’aller chercher LOL et Counter Strike mais on va rapidement dépasser FIFA. »
La conséquence d’un retour en grâce de la F1. Sport à la plus grande progression sur les réseaux sociaux depuis cinq ans selon le Limougeaud. Sans oublier un rajeunissement du public via la série de Netflix. Et comment ne pas mentionner Twitch et Youtube où les contenus deviennent récurrents. « Il y a pas mal de streameurs et youtubeurs qui se sont spécialisés comme Depielo et Étienne Moustache. Sans oublier Squeezie qui a tout cassé avec son GP Explorer… » La structure Race Clutch était naturellement présente à cet événement qui a rassemblé plus d’un million de viewers. Richard Arnaud a même eu la mission de coacher Domingo, l’un des participants. « C’était un sacré défi. La communauté ne cesse de grandir. Ce qui fait qu’on ne touche plus trop terre depuis quelques mois. »
En effet, entre deux manches de championnat du monde, l’équipe Alpine Esports a jonglé avec le GP Explorer et le Salon de l’automobile où elle disposait d’un stand dédié à la simulation. Et pour la dernière session de courses, disputée mi-décembre, c’était Japon, Brésil et Émirats arabes unis au menu. Avec des escales à Limoges, toujours.
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