À 16 ans, lorsque Noémie quitte l’école pour se consacrer à Fortnite, elle se retrouve sans travail et sans argent. Pendant deux ans, elle vit en marge de la société et trouve refuge dans divers clubs plus ou moins recommandables dans le sud de la France. Un toit, un ordinateur et une bonne connexion lui suffisant pour s’estimer heureuse. Avec son visage enfantin, des pommettes rouges, cheveux roux, frisés et ses grands yeux riants et scrutateurs, on a du mal à imaginer comment les choses ont pu se passer pendant ces deux années d’errance. Derrière ses manières plutôt assurées et son rire chaleureux, on peut percevoir quelques maladresses et une grande pudeur vis-à-vis de son passé. Plutôt que ses douleurs anciennes, elle préfère parler de ses récents exploits.
« À l’époque, comme mon rêve c’était d’être joueuse pro, j’ai tout lâché pour faire ça. » – Noémie
Au sein de la mission locale d’Aix en Provence où elle travaille désormais, Noémie « Massilia » Féraud est une véritable star. On l’acclame, l’encourage et l’affuble d’autant de superlatifs qui montre l’attachement de ce petit groupe à la jeune femme. Même si elle n’est pas vraiment la meilleure joueuse du monde et encore moins championne du monde de Fortnite, celle qu’on surnomme « Massi » n’a pas à rougir de son palmarès. À 19 ans, elle vient de remporter le prestigieux titre de meilleure joueuse d’un tournoi féminin organisé aux Etats-Unis et qui opposait le gratin des joueuses américaines de Fortnite. Une immense réussite et fierté pour la jeune femme quand on sait qu’il y a trois ans, elle quittait tout pour cet avenir incertain.
« J’ai commencé à m’intéresser aux jeux vidéo quand j’étais toute petite en regardant mon père jouer à des jeux comme Wolfenstein, raconte-t-elle. Pas vraiment le genre de jeu qu’on montre à des enfants mais j’étais fascinée. Alors quand j’ai eu ma propre console à 9 ans, j’ai commencé à jouer et très vite à faire des compétitions sur Call of Duty. » Un jeu de guerre dont se délecte la petite fille qui commence à mentir sur son sexe et son âge pour ne pas être insultée ou discriminée pendant les tournois en ligne. Passionnée pendant un temps de tennis de table, elle participera aussi à des compétitions nationales avant d’être séparée de son club lors du divorce de ses parents. Quand les choses « se compliquent » à la maison autour de ses 14 ans, son seul souhait est alors de se concentrer uniquement sur son jeu de coeur et dernier arrivé dans sa vie de gameuse, Fortnite.
Pour elle, ce jeu est une évidence, une obsession. Tous les soirs après les cours, elle n’attend qu’une chose : pouvoir enchaîner les parties et profiter de l’ivresse de la compétition. Un refuge pour cette cadette d’une famille hongro-haitienne en plein déchirement. Devenir joueuse professionnelle de Fortnite devient alors son unique but et la seule voie envisageable à ses yeux. A 16 ans et n’écoutant personne, elle décide de quitter l’école pendant les vacances d’hiver de sa deuxième année de lycée pour vivre son rêve. « J’ai toujours été très impulsive, admet la jeune femme. Quand je voulais faire quelque chose, je le faisais. Maintenant j’ai compris que mes choix n’étaient peut-être pas tous les bons mais à l’époque, comme mon rêve c’était d’être joueuse pro, j’ai tout lâché pour faire ça. Pourtant, je n’avais pas du tout le niveau, ni aucune connaissance de la communauté de l’esport ni même une idée dans quoi je m’embarquais. Je me suis lancée dans le bain un peu trop naïvement. »
« Quand on doit survivre à tous prix, on n’a pas les mêmes codes ni les mêmes réflexes. » – Loïc « Packo » Morère
Poussée hors de la maison au bout de trois mois par son père qui ne soutient pas sa décision et trop mal à l’aise pour rester plus de quelques semaines chez sa mère, elle finit par trouver refuge au sein d’une équipe marseillaise souhaitant développer l’esport féminin. On lui offre un toit, à manger et un bon set-up pour jouer. Pendant deux ans, elle va ainsi enchaîner les structures pour se perfectionner. Peu importe les conditions, du moment qu’elle peut jouer à Fortnite. Le reste est anecdotique, du moins à ses yeux. Pour le co-fondateur de la structure marseillaise MCES et mentor de la jeune fille, Loïc « Packo » Morère sa situation était même plus que précaire, elle était dangereuse.
« Je ne veux pas déclencher de guerre mais elle est malheureusement tombée dans des situations qui me mettent hors de moi, explique-t-il. Elle était mineure, extrêmement manipulable, et il s’est passé certaines choses qui sont très graves. Des choses qu’une petite de quinze ans ne devrait pas vivre. Elle était dans une situation très dangereuse et entourée de personnes… disons que c’était compliqué. On s’est dit qu’il fallait lui tendre la main avec un groupe d’ami qui la connaissait. Elle avait conscience de la situation donc on a décidé de la prendre avec nous en colocation. On lui a dit qu’il fallait qu’elle se remette en mouvement, qu’elle commence à se méfier un peu plus des autres et qu’elle prenne sa vie en main plutôt que de rester accroché à de mauvaises personnes. »
A ses côtés, le sourire de la jeune femme en dit long. Presque surprise que son mentor se laisse aller à dévoiler une partie plus sombre de son histoire, elle se contente de confirmer dans un rire nerveux les dires de son ami. « C’était une enfant qui avait appris à survivre depuis sa plus tendre enfance, poursuit-il. Quand on doit survivre à tous prix, on n’a pas les mêmes codes ni les mêmes réflexes. Quand elle arrivée chez nous, elle parlait peu, nous mentait souvent, nous cachait des choses. Ce sont des stratégies d’évitement bien connues. Elle avait toujours été habituée à se conformer à l’image qu’on attendait d’elle, ne pas décevoir. Alors elle faisait semblant de suivre nos recommandations et en cachette, elle sortait fumer ou disait qu’elle s’était foulé la cheville pour ne pas faire du sport. Aujourd’hui, elle ne fait plus du tout ça. Elle a compris qu’on ne se devait rien. Nous on peut l’aider à atteindre son objectif mais uniquement si ça vient d’elle et qu’elle joue le jeu. »
En quelques mois, la jeune femme s’est transformée. Bien plus ouverte, enthousiaste et bavarde qu’avant, elle suit avec beaucoup de volonté son nouveau rythme de travail. En plus de son entraînement quotidien sur le jeu et les compétitions régulières, Noémie fait tout pour garder un mode de vie de joueuse professionnelle. Alimentation saine, analyse de parties et sessions de sport quotidienne… Rien n’est laissé au hasard pour la joueuse aux grandes ambitions. Depuis cinq mois, elle se rend aussi tous les jours dans les bureaux de la mission locale d’Aix-en-Provence où elle fait son service civique. Dans ce lieu bien connu pour aider les jeunes en besoin de réinsertion professionnelle, elle adapte son programme pour enseigner sa passion à d’autres jeunes et organise toutes les semaines des émissions en direct sur Twitch. Une expérience de liberté encadrée qui semble donner beaucoup de plaisir à la jeune femme qui goûte de plus en plus aux joies de la responsabilité. Toujours sous l’oeil attentif de ses nouveaux gardiens.
Grace à son salaire et les récompenses des compétitions féminines, ses rêves d’autonomie commencent petit à petit à prendre forme. Même si elle est toujours hébergée à titre gracieux par ses bienfaiteurs, elle se réjouit de pouvoir désormais payer les courses et participer aux frais de la colocation.
Il reste cependant un enjeu de taille pour la jeune femme. Même si ses résultats commencent à être remarqués en France et aux Etats-Unis, on ne peut pas réellement dire que la scène compétitive de Fortnite soit particulièrement développée depuis quelques années. Avec des tournois en ligne annoncés à quelques semaines seulement du début de la compétition, des cash prize qui tombent plus de six mois après les résultats et des organisateurs toujours plus désorganisés et peu contrôlés par l’éditeur du jeu, l’esport sur Fortnite n’est pas réellement au beau fixe. Certaines équipes comme la plus grosse structure française, Vitality, ont même arrêté d’investir dans la discipline. Même si Epic Games tente cette année un retour timide avec l’annonce de nouveaux championnats visant à couronner les meilleurs joueurs du monde entier, l’avenir de l’esport sur ce jeu reste incertain.
Toutefois, même sans diplôme ou perspectives, Noémie voit les choses avec optimisme. Fière de ses récents succès aux États-Unis et motivée par les dernières annonce de l’éditeur aux côtés de son coéquipier appelé Grimoire, elle estime avoir toutes ses chances pour se qualifier aux plus hauts tournois internationaux. À ses côtés, son ami et manager Packo le confirme dans un clin d’oeil, il y a de belles choses qui se profilent pour la jeune femme.
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