Cela paraît improbable, voire franchement terrifiant, mais c’est bien la réalité. Cicero est une intelligence artificielle née dans les locaux californiens de l’équipe de Meta dédiée à la recherche sur les IA. L’équipe a publié une étude dans la revue Science pour présenter son nouveau joujou. « Nous avons mis trois ans à construire Cicero, raconte Emily Dinan qui a travaillé sur le projet. C’est la première intelligence artificielle capable de battre un humain au jeu Diplomatie. »
Si vous n’avez jamais joué à ce jeu de société dont chaque partie peut durer une demi-journée, voici un bref résumé. Les joueurs ont des pions répartis sur une carte de l’Europe. Et à chaque tour, chacun peut décider d’avancer vers les régions dominées par les autres, ceci après avoir négocié une alliance, menacé les occupants, ou promis des échanges fructueux. Pour gagner il faut donc bluffer, négocier ou faire des compromis. Il est également important de savoir quand mentir et quand rompre ses alliances. Bref, un vrai jeu de politicien bien plus difficile à appréhender par une intelligence artificielle à première vue.
« Aux échecs, vous avez en moyenne 35 possibilités à chaque tour. Au jeu de go, autour des 361. Pour Diplomatie, il y a 10 puissance 20 coups différents possibles » – Emily Dinan
« Contrairement aux échecs, Diplomatie est un jeu sur les personnes et pas sur les pièces, précise Emily Dinan. L’intelligence artificielle doit comprendre les intentions des adversaires, mais aussi garder un certain scepticisme en conservant la possibilité que les autres joueurs mentent. » En effet, il ne s’agit pas pour l’IA de réagir au coup précédent comme aux échecs, car Diplomatie est un jeu à information incomplète : tous les joueurs annoncent leur action en même temps, sans connaître celle des autres, la psychologie est donc la clé pour gagner.
Malgré tout, Cicero a participé à une quarantaine de parties en ligne, en communiquant via un chat écrit, et a terminé parmi les 10% des meilleurs joueurs. Une performance impressionnante décrite par Emily Dinan : « Aux échecs, vous avez en moyenne 35 possibilités à chaque tour. Au jeu de go, autour des 361. Pour Diplomatie, il y a 10 puissance 20 coups différents possibles. C’est un gros défi pour les joueurs qui doivent déduire non seulement ce que les autres peuvent faire sur le plateau, mais aussi leurs conversations et comment cela peut influencer leurs prochains tours. »
Pour rester dans le monde des jeux de plateau, une autre étude parue dans Science le 1er décembre dernier évoque la même prouesse d’une IA sur le jeu Stratego. Les chercheurs de Deepmind, une branche de Google, ont conçu DeepNash, un agent artificiel capable de battre des humains sur ce jeu hautement stratégique où les participants ne connaissent pas les pièces de leur adversaire. « Nous avons appris à l’ordinateur à jouer, résume le principal auteur, Julien Perolat. C’est un mélange de théorie du jeu et d’un algorithme capable de s’améliorer au fur et à mesure. Cela signifie qu’au début de la partie, DeepNash n’essaie pas encore de prévoir les coups de son adversaire, il s’adapte quand le jeu est davantage avancé. »
« Le but est de comprendre les tensions entre coopération et compétition » – Julien Perolat
Cela dit, devant tant de prouesses, force est de constater que ces robots capables d’être de meilleurs stratèges que nous sont tout de même assez effrayants ! Ils prévoient nos actions, s’adaptent à notre comportement, voire même nous manipulent. Malgré tout, les auteurs se veulent rassurants. « Cicero est seulement capable de jouer à Diplomatie, assure Emily Dinan, rien d’autre. Certes, il est possible d’utiliser cette technologie dans d’autres domaines, mais c’est justement pour cela que nous devons ensemble proposer des pratiques responsables autour de ces recherches. »
« Je pense que les jeux de plateau sont un terrain de jeu idéal, ajoute Julien Perolat. C’est un bac à sable sans danger, dans lequel nous pouvons étudier et développer ces systèmes sans porter préjudice à qui que ce soit. Le but est de comprendre les tensions entre coopération et compétition. »
L’idée derrière ces études reste assez ludique, le but étant de développer de meilleures IA pour les jeux en ligne. Cela ne veut pas dire que ces robots ne pourraient pas être utilisés autrement dans de mauvaises mains, mais pour l’instant leur champ d’action est assez limité et il n’est pas possible de les transformer aussi radicalement. Donc, pas d’inquiétude, pas de Skynet pour le moment… Mais attendez-vous à vous faire battre encore et encore par des IA, même dans les jeux que vous maîtrisez le mieux.
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