MÉTÉO – C’est une des conséquences les plus visibles du réchauffement climatique: dans les Alpes, la hausse des températures fragilise les pentes et “déstabilise” les glaciers en accélérant leur fonte. Un phénomène qui s’aggrave au cours d’épisodes de canicule.
Sur le versant italien du Mont Blanc, près de la station de Courmayeur, 500.000 mètres cubes de glace, fragments du glacier des Grandes Jorasses, menacent une nouvelle fois de rompre, comme en septembre et octobre 2019.
Nous sommes dans une phase de légère amélioration, la situation est un peu meilleure”, a toutefois assuré à l’AFP Stefano Miserocchi, le maire de Courmayeur. “Nous ne sommes cependant pas encore de retour à la situation d’avant la fermeture. C’est un peu positif, mais ce n’est pas un retour à la normale”. “Les mesures d’urgence restent les mêmes: évacuation des habitants menacés, et fermeture de la route du Val Ferret”, a souligné l’édile.
Un volume de glace équivalent à la cathédrale de Milan
Comme un immense sérac, un volume de glace estimé à 500.000 mètres cubes -soit la “taille de la cathédrale de Milan”- menacerait de s’ébouler, selon les autorités locales, qui ont ordonné mercredi soir l’évacuation durant 72 heures d’une “zone rouge” en contrebas.
Au total, seules 75 personnes ont été évacuées, une vingtaine de résidents et le reste des vacanciers, avec juste une poignée d’habitations concernées. L’évacuation était “urgente et impérative”, a justifié le maire de Courmayeur, mettant en avant la hausse des températures, après un coup de froid fin juillet.
“La circulation de l’eau en dessous du glacier est repartie, on a une reprise de l’eau sous le glacier, qui s’écoule. C’était ce point qui nous inquiétait beaucoup”, a-t-il expliqué. Selon des scientifiques de la région, l’eau coincée sous la roche menaçait d’agir comme une bulle, soulevant la masse de glace et risquant de précipiter la chute de sa partie la plus fragilisée.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais gagne en intensité. Déjà, au cours de l’été 1949, le front du glacier du Tour, qui surplombe la vallée de Chamonix à 2.200 mètres d’altitude, s’était détaché suite à des années de fortes chaleurs. L’effondrement avait fait six victimes.
-25% en trente ans
Plus récemment, en 2014, c’est le front du glacier de la Charpoua, situé à 2.600 mètres d’altitude, qui avait glissé et traversé un sentier, tuant deux randonneurs. “Les glaciers ont perdu 25% de leur surface en moyenne depuis trente ans”, note Ludovic Ravanel, géomorphologue et chercheur au laboratoire Edytem de l’Université Savoie Mont Blanc.
Certains glaciers, comme celui de Taconnaz, sont dits “froids” car leur température reste constamment négative. Ils risquent aujourd’hui de se “tempérer” avec le réchauffement climatique et d’être désormais assujettis à des phénomènes de glissements.
Taconnaz est surveillé depuis plusieurs années par les glaciologues de l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE) de Grenoble. “Il y a peu d’autres cas de suivi comme celui-ci en France”, précise Ludovic Ravanel. Le scientifique souligne qu’il “faut bien dissocier la fonte glaciaire, qui survient de manière accentuée en période chaude, du dégel du permafrost, dont la lente dégradation” entraîne des chutes de roches jusqu’à l’automne, voire même en hiver.
Le permafrost fragilisé par la hausse des températures
En haute montagne, la fonte glaciaire est pratiquement inexistante jusqu’au printemps. Mais le dégel du permafrost (un sol normalement gelé en permanence, ndlr) est à l’origine de nombreux écroulements rocheux au cours de l’été.
“Leur fréquence baisse ensuite mais, même à l’approche de l’hiver, la dégradation du permafrost peut encore déclencher la déstabilisation de volumes rocheux parfois très importants”, ajoute-t-il.
Stéphane Bozon, commandant du Peloton de gendarmerie de haute-montagne (PGHM) de Chamonix, constate que certains glaciers suspendus du massif du Mont Blanc situés au dessus de 3.800 mètres d’altitude “commencent à souffrir” en raison de l’écoulement d’eau de fonte, qui s’infiltre entre la glace et la roche.
“Mais on ne risque pas de décrochement glaciaire similaire à celui de Courmayeur. Ce que nous craignons davantage, c’est la reprise d’une activité de chutes de pierres”, soudainement libérées de leur gangue de glace, souligne le gendarme, en rappelant l’été 2019 compliqué vécu par les alpinistes dans le couloir du Goûter, l’itinéraire phare de la voie normale menant au sommet du mont Blanc.
Le pire? Dix à douze jours de canicule
Avec la dégradation du permafrost et la limite des températures négatives qui se fixe désormais l’été “autour de 4.200 mètres d’altitude”, certains secteurs du célèbre massif haut-savoyard “se sont bien dégradés”, poursuit Stéphane Bozon.
Les bouleversements occasionnés par le réchauffement climatique obligent les alpinistes à redoubler de vigilance lors de leurs courses en été… quand elles ne sont pas reportées à des périodes plus propices en termes de sécurité. “Sauf dans le Mont-Blanc, aucune course de neige ou glaciaire ne peut plus se tenir au mois d’août. Ce qui n’était pas le cas il y a trente ans”, ajoute le gendarme.
“On a accru notre vigilance, mais aussi adapté les itinéraires d’accès, y compris aux refuges, les types de courses et les périodes pendant lesquelles on les programme. Certaines se font aujourd’hui davantage en mai ou en juin, quand la roche est encore stable”, abonde Pascal Chapelland, guide de haute montagne et ancien président de la Compagnie des guides de Saint-Gervais.
“Le plus délicat, c’est au bout de dix à douze jours de canicule, car c’est là que l’incidence sur le permafrost, et donc sur la stabilité de la roche, est la plus importante et rend les courses dangereuses”, conclut-il.
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