La volonté du nouveau gouvernement d’instaurer un nouveau Haut-Commissariat au Plan est une bonne chose. Renouer avec l’État, “stratège des stratèges” est en effet une nécessité absolue en ces temps incertains[1]. L’idée de Plan a beaucoup évolué: on ne fixe plus aujourd’hui des objectifs opérationnels précis à appliquer à la lettre; pour autant une pensée prospective et stratégique n’est rien sans mise en œuvre ni esprit de suite. Ce qui implique d’échafauder un plan d’action. En outre avec l’idée de Commissariat au Plan coexiste celle de dialogue, de concertation, de co-construction avec l’ensemble des parties prenantes, y compris les partenaires sociaux et les universités et organismes de recherche.
Combiner des outils de prospective et de dialogue dans une vision de long terme et enchevêtrer cette indispensable réflexion prospective et cette concertation à des outils de programmation publique, de modélisation avec des outils financiers, sont des actions nécessaires mais insuffisantes. Il faudra aussi oser faire émerger de nouveaux sujets et sortir des dogmatismes pour voir autrement les sujets anciens, actuels et futurs. Le nouveau Haut-Commissariat au Plan devra favoriser la libre parole et sortir des sentiers battus.
Une colonne vertébrale qui organise sans imposer
L’État (status: tenir droit, tenir debout) est un point stable que se donne la société pour faire émerger le mouvement. L’ancien ministre de l’Éducation qui est annoncé pour prendre la tête de cette nouvelle entité sera sans doute sensible au rappel de cette stipulation de Gaston Bachelard: “il faut mettre la société au service de l’école et non pas l’école au service de la société”. Toutes choses égales par ailleurs, les administrations et l’ensemble des forces vives de notre pays ont un intérêt fondamental à servir cette nouvelle entité devant devenir leur point d’ancrage dans un univers de changement permanent et imprévisible.
La perspective enthousiasmante des nombreux chantiers à lancer dans le cadre des transitions écologique et énergétique, les leçons à tirer de l’épreuve pandémique, l’ardente obligation européenne, l’enjeu démocratique, constituent autant de défis que nous devons relever avec un professionnalisme renouvelé.
Les plus audacieux appellent de leurs vœux une entité indépendante du Gouvernement et du Parlement et rapportant aux deux, rattachée au président de la République. Pourquoi pas? Mais le courage exigé aujourd’hui est surtout intellectuel et politique, celui de penser et de dire les choses autrement et d’organiser une véritable controverse démocratique et de sortir enfin, comme le disait Edgar Pisani, des “petites habiletés”.
Nous ne partageons pas l’idée d’un amoindrissement de l’État. L’impuissance actuelle des États sur de nombreux sujets ne démontre en rien son inutilité: simplement l’État et en particulier son organe opérationnel l’Administration au sens large (autant de bureaucraties que de domaines et de niveaux d’action) doit travailler aujourd’hui avec de nouveaux concepts, référentiels, et modes de gouvernance. Les administrations dans leurs domaines respectifs doivent se positionner à l‘intersection de différentes disciplines et instaurer des modalités de co-élaboration avec la société qui soient approfondies et non factices.
Dans ces temps difficiles, il nous faut une colonne vertébrale qui organise sans imposer, qui distribue le bâton de parole sans le monopoliser, qui distribue la connaissance sans la filtrer. Un État démocratique le peut et c’est aux gouvernants et aux citoyens d’y veiller en particulier au travers de leurs représentants.
Le Haut-Commissariat au Plan peut y contribuer fortement à condition que parallèlement l’on déverrouille ce qui doit l’être. En clair si l’enfermement dans l’esprit procédurier demeure, cette nouvelle structure seule ne pourra rien. Patrons de leurs ministères, les ministres avec leurs directeurs de cabinet et leurs secrétaires généraux doivent être expressément mandatés pour coopérer. L’alignement stratégique est un impératif. L’intelligence collective, un autre. L’intelligence économique, un troisième. Il convient de faire émerger les compétences et les expériences qui existent dans les entreprises, les universités et les administrations et de faire en sorte de dynamiser leurs coopérations.
Un plan national à trois niveaux
À partir de ce que préconisait le professeur Pierre Bauchet [2] ne faut-il pas désormais concevoir un plan national à trois niveaux, supranational et extra- européen, européen [3]et national (et territorial[4]) et assigner au plan les trois fonctions suivantes:
Promoteur de projets à l’échelle mondiale et européenne
L’actualité montre parfaitement que ce rôle devra intégrer la question de la souveraineté économique sur la production ou la maîtrise de l’approvisionnement de certains biens et productions vitaux. Là encore il conviendra d’avoir une visée européenne et par ailleurs de co-construire ces politiques avec le secteur privé.
Instrument d’harmonisation de l’économie nationale et d’élaboration des priorités structurelles
Notre difficulté principale est certainement de nous fixer des priorités. Ne laissons aucun doute sur le fait que ce n’est pas l’institution à elle seule qui apportera la solution: la coopération entre les différents ministères et organismes sera essentielle. Raisonner en défense de territoires de pouvoirs au lieu de voir l’élargissement de leur propre horizon d’action respectif serait mortifère.
Lieu de la décision des équilibres macroéconomiques et financier de la nation
Alors qu’il nous faudra maîtriser le déficit public et la relance, le ministère de l’économie a toute légitimité pour coordonner l’ensemble avec les grands ministères techniques. Toutefois pris par le court terme il a tout intérêt à jouer la carte de la nouvelle institution. Le fera-t-il? La Chine, les États-Unis, le Japon ont notamment montré chacun à leur façon comment intégrer le long terme. Certaines grandes entreprises ont su également le faire. L’État est face à son plus grand défi pour construire l’avenir. Ce défi est plus culturel que technique. Il concerne la distribution du pouvoir au sein des administrations, et entre l’administration et la société.
Le futur Haut-Commissariat au Plan doit aider à rompre le silence politique.
[1] On exprime ici l’idée simple que l’État n’a pas le monopole de l’élaboration stratégique, les entreprises ayant avec d’autres organismes l’opportunité, même la nécessité de le faire. Par l’expression “stratège des stratèges” on souligne que l’État doit coordonner l’ensemble des stratégies visant ainsi l’impératif de cohérence.
[2] Pierre Bauchet (1924-2015) Ancien agrégé des sciences économiques, ancien directeur scientifique au CNRS, ancien membre de l’académie des Sciences morales et politiques. “Le plan dans l’économie française” Ed. Économica,1986
[3] Ajouté par l’auteur de cet article
[4] Ibidem
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