L’autre jour, je suis passée devant des pompes funèbres. Et face aux plaques commémoratives de mauvais goût et aux cercueils clinquants bien exhibés, j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune chance que mon gros corps rentre dans l’un d’entre eux. À moins de le couper en morceaux – ce qui, je crois, pourrait faire mauvais genre.

Des histoires sordides sur des surcoûts liés au poids et des défunt·es qu’on n’aurait pas pu incinérer parce qu’iels étaient trop gros·ses, j’en ai entendues. Mais comme il y a déjà un paquet de raisons de s’indigner de nos conditions de vie, je n’avais pas encore pris le temps de le faire sur nos conditions de mort. Je vais réparer ça. En espérant réussir à me trouver un cercueil bien cosy dans la foulée. J’ai toujours aimé être prévoyante.

Le truc c’est que cette quête a plutôt mal commencé : sur les vingt-cinq entreprises de Pompes funèbres contactées (autant en France qu’en Belgique), aucune n’a accepté de répondre à mes questions. Je me confrontais d’entrée à la coquetterie du milieu : son opacité.

Ce sont les réseaux sociaux qui m’ont permis de contourner les services administratifs ou les hiérarchies des entreprises pour entrer en contact avec des salariées du métier. Elles ont accepté de me répondre à la condition qu’on ne puisse ni les reconnaître, ni reconnaître l’entreprise pour laquelle elles travaillent, les noms sont donc des noms d’emprunt. Vous êtes impressionné·es par mon grand sens de l’investigation alors que j’écris le cinquième papier de ma vie, bien avachie en slip sur mon lit ? Je comprends. J’ai aussi l’impression d’être Jerry dans les Totally Spies.

C’est donc comme ça, via les réseaux, que j’ai obtenu des tarifs de cercueils et leurs grilles de tailles, et découvert, sans aucune surprise que là aussi il existait des normes. Même si, pour compliquer un peu le truc, elles ne sont pas exactement les mêmes dans toutes les entreprises. En effet, certaines grosses boîtes produisent leurs cercueils et développent des gammes avec un système de tailles qui leur est propre, quand d’autres font appel à des fournisseurs.

« En fait, comme pour les fringues, si vous êtes gros·se vous allez avoir droit au rayon où tout est moins bien et moins beau, mais où tout coûte plus cher. »

Par exemple : Eli*, thanatopractrice travaillant pour un sous-traitant de pompes funèbres, m’explique que dans son entreprise il existe 4 tailles standards : 175cm/55cm, 185cm/55cm, 190cm/60cm, 195cm/65cm. On parle ici de longueur et de largeur d’épaulement.

Camille*, conseillère funéraire française, m’explique elle que dans sa structure les standards sont : 170cm/51cm, 190cm/57cm, 200cm/65cm, 210cm/68cm. Des chiffres indigestes qui restent cependant une bonne manière d’illustrer qu’il est difficile de donner des infos de référence.

Mais la chose à retenir c’est que je ne rentre dans aucun de ces cercueils. Je me suis mesurée – chacun ses passe-temps -, et il me faudrait un habitacle d’au moins 75 cm d’épaulement. Et quand on ne rentre pas dans ces quelques tailles dites standards, je découvre qu’il faut commander des cercueils sur mesure appelés « hors-cotes ». Et devinez quoi ? Sans aucune surprise – là encore – ça a un réel impact sur le coût. En fait, comme pour les fringues, si vous êtes gros·se vous allez avoir droit au rayon où tout est moins bien et moins beau, mais où tout coûte plus cher

Et s’il vous prenait l’envie de dire qu’il est normal qu’un tee-shirt H&M ou un cercueil coûte plus cher pour les plus grandes tailles parce qu’il nécessite plus de tissus ou de bois, c’est déjà ne pas prendre en compte qu’aujourd’hui, on ne paye presque jamais le prix réel de ce qu’on achète – trop habitué·es à consommer des choses produites à l’autre bout du monde dans des conditions humaines et écologique désastreuses. Mais surtout, si on suit cette logique, chaque taille devrait être plus chère que la précédente – ce qui n’est pas le cas. Alors qui décide arbitrairement qu’à partir de ce moment, il faut payer plus ? Et s’il est vraiment question de coût pour une petite entreprise artisanale et locale, ne serait-ce pas plus éthique de s’aligner sur le prix le plus haut ?

En moyenne, un cercueil coûte entre 500 et 3 000 euros suivant le bois utilisé, son degré de finition et son niveau d’orfèvrerie, me raconte Jane*. Mais pour un cercueil « hors-cotes », le site français de ​​la compagnie d’assurance MeltLife estime qu’il faut ajouter 300 euros supplémentaires. C’est aussi ce que l’entreprise L’Autre Rive à Paris estimait en 2012 dans un entretien avec Challenges.

Sauf qu’en observant le catalogue des pompes funèbres où travaille Camille, j’ai pu constater une réalité bien différente. Sur leurs 20 références, seulement 8 peuvent être commandés en « hors-cote ». Leur cercueil le moins cher disponible en « hors-cote » est à 999 euros dans sa première taille mais à partir 1 499 euros si vous le voulez sur-mesure. Il faudra donc débourser 500 euros de plus qu’une personne mince, au minimum. Pour toutes les autres références, il faudra débourser en moyenne 874,20 euros de plus pour un cercueil sur mesure. On est donc loin des 300 euros supplémentaires – que je trouvais déjà zinzin.

« Il n’y a pas eu de porteurs le jour de la cérémonie, ils ont utilisé un chariot pour le pousser dans l’église… Le sol n’étant pas droit, mon inquiétude était qu’il tombe à n’importe quel moment… »

Et le fait que la boîte de Camille soit un des acteurs majeurs du marché possédant des agences partout en France, ajouté à la réticence des entreprises à me répondre ou l’impossibilité d’avoir accès à des catalogues de prix en ligne ou par téléphone, me donne envie de croire que ces tarifs sont bien plus pratiqués qu’on ne le pense.

Et puis ce n’est pas tout, il faut parfois deux porteurs supplémentaires, qui eux aussi engendrent un surcoût. 200 euros à ajouter au 365 initiaux, sur les documents que j’ai pu me procurer. Et quand les pompes funèbres refusent de porter un cercueil qu’elles estiment trop lourd, il faut trouver d’autres solutions.

Aurélie me raconte l’enterrement de son père : « Il n’y a pas eu de porteurs le jour de la cérémonie, ils ont utilisé un chariot pour le pousser dans l’église… Le sol n’étant pas droit, mon inquiétude était qu’il tombe à n’importe quel moment… ». C’est ce qui s’est passé à l’enterrement de la sœur de Delphine « Malheureusement, au moment de descendre les marches de l’église, le cercueil a glissé du chariot et il est tombé à terre, mes oncles ont dû les aider à le remettre dessus mais ça a été difficile à faire et à vivre ». Si je n’avais jamais eu vent d’une telle pratique, une jeune diplômée et conseillère funéraire m’a affirmé que ça arrivait même avec des cercueils standards. Ça s’appelle un porté au chariot. Elle ajoute : « Si c’est bien fait, ça peut être très beau. » Mais quand celui-ci est imposé, ça ne semble pas avoir la même saveur.

Après, il faut en faire un truc, du cercueil. Le garder dans son salon n’étant ni mignon ni autorisé. Deux options s’offrent donc à vous : l’incinération ou l’inhumation. Et là encore, ça n’a pas l’air toujours simple. Pour ce qui est de l’incinération, dans un entretien avec un employé du service technique du crématorium de Bruxelles, celui-ci m’explique que leur four a une gueule d’un mètre de large et que lui n’a jamais eu de situation où il était impossible d’incinérer. La seule différence serait le temps de crémation, plus long, pour les cercueils dits « hors-cote ». Mais tous les fours des crématoriums belges n’ont pas la gueule aussi grande. Celui de Mons, par exemple, mesure seulement 83 centimètres de large. C’était en tous cas comme ça en 2010, année à laquelle une famille racontait en avoir fait les frais sur RTL Info.

« Même mort·e, le monde n’a pas l’air d’avoir envie de nous traiter avec respect. »

Et, toujours dans l’article de Challenges évoqué plus haut, Frank Dinneweth, PDG de la Société des crématoriums de France, affirmait en 2012 que seulement 10 et 20% des crématoriums étaient équipés pour accueillir des cercueils « hors-cote ». Il ajoutait que pour le reste, le système D était de rigueur. Et précisait, qu’en l’absence d’obligation légale, il serait nécessaire qu’au moins un crématorium par région soit équipé. Je ne suis pas sûre de ce que veut dire « système D ». Et si j’ai entendu des histoires terribles de cercueils coupés en deux, je n’ai pas trouvé de réponses ou de sources fiables malgré mes investigations. 

Pour ce qui est de l’inhumation, soit elle a lieu en fosse – c’est-à dire en pleine terre – et donc peu importe la taille du cercueil, il suffit de creuser un trou plus important. Soit elle a lieu dans un caveau et là s’il est trop petit, il faut le bûcher, ou scier les décors extérieurs du cercueil, ou en changer en exhumant et réinhumant les précédents défunt·es. Autant dire que ça devient un sacré bordel.

La personne derrière le compte Instagram @le_petit_croque_mort – compte de vulgarisation sur le métier de croque mort – m’explique aussi qu’une petite grue est parfois nécessaire pour descendre les très lourds cercueils. Dans mes recherches, j’ai pu lire que cette option serait préférable parce qu’il ne serait « naturellement pas digne » d’avoir huit porteuses ou porteurs « couverts de sueur ». Je suis assez dubitative quant au fait qu’une grue pour un enterrement serait plus digne que plusieurs humains. Mais après, moi, j’ai toujours préféré les humains aux grues, peut-être que vous pas.

 Et puis les trucs chiants ne s’arrêtent pas là : les chambres mortuaires ne sont pas toujours assez grandes, les délais de production des cercueils sont souvent plus longs, les brancards ne supportent pas forcément le poids des défunt·es et le transport avant mise en bière (sans cercueil) comme après mise en bière (cercueil fermé) nécessite parfois un véhicule spécifiquement adapté que les entreprises ne possèdent pas toujours et doivent louer. Là aussi, ça influe sur le coût.

 Et même si cet article souhaite surtout aborder l’aspect technique et financier des ces enterrements particuliers, il était difficile pour de ne pas aussi mentionner certaines des choses terribles entendues : des corps qu’on tasse dans des cercueils trop petits en rigolant, des railleries de dégoûts face à nos dépouilles, des complaintes parce que nos cadavres « sont une galère »… Même mort·e, le monde n’a pas l’air d’avoir envie de nous traiter avec respect.

Mais au final, s’il y a un truc à retenir, vous l’aurez compris, c’est que rien n’est gratuit dans la mort. Et pour ne rien gâcher, comme tout, son coût augmente. En Belgique, le prix des funérailles a quadruplé en 40 ans, alors que le coût de la vie a triplé.

Selon Legacio, une plateforme en ligne spécialisée dans la succession, le coût moyen des obsèques à Bruxelles est de 2 940 euros pour une crémation et 2 368 euros pour une inhumation. Ces montants comprennent les frais de services de l’entreprise de pompes funèbres, les options obligatoires (cercueil et corbillard) et en cas de crémation, le tarif du crématorium. Ils ont été récoltés auprès d’une vingtaine de pompes funèbres de la capitale belge.

Mais Le Soir affirme que ces coûts sont bien sous-estimés par rapport à leur enquête de terrain qui, elle, révèle une dépense moyenne totale de plus de 6 000 euros pour une inhumation, et près de 3 700 euros pour une incinération. Avec d’énormes disparités locales puisque, entre autres, les tarifs des concessions pratiqués par les communes, déjà très élevés (au-delà des 5 ans gratuits), peuvent passer du simple à bien plus du double. Pour 30 ans, vous payerez 130 euros à Ciney mais 2 100 euros à Molenbeek par exemple. L’inhumation, présentée comme l’option la plus favorable parce que la moins chère ne l’est donc pas vraiment sur le long terme. 

« Même si ça me paraît lunaire de devoir rappeler un tel truc : les humains ne sont pas faits pour s’adapter aux tailles des cercueils ni même aux tailles des chaises, des allées, des tables d’opération ou des vêtements. C’est l’inverse. Simplement. »

Alors à l’heure où le baromètre de la pauvreté en Belgique chiffre à 18,9% le nombre de personnes à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale** et que près d’une personne sur cinq en France est concernée par la pauvreté, enterrer dignement un proche est souvent difficile à assumer. 

Et si la grosseur est une question complexe et que vouloir l’expliquer c’est déjà bien souvent la stigmatiser, il y a des constats qu’on ne peut nier. Celui de la corrélation entre corps gros et précarité en fait partie. Selon une enquête de 2016 publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire du site Santé publique France, seulement 7% des femmes et 9% des hommes gagnant 4 200 euros (ou plus) par mois sont considérées comme « obèses » mais 30,7% des femmes et 18,7% des hommes gagnant moins de 450 euros sont considéré·es comme tel·les. 

Même si ça ressemble un peu à un article dans un article, je me permet de glisser qu’il y a mille pistes d’explications à ça. Parmi elles : les personnes grosses postulent plus rarement à des postes pour lesquelles elles sont qualifiées, elles sont moins embauchés et les jeunes diplômés gros sont payés 19% de moins que leurs homologues minces. Et puis cuisiner des produits frais demande du temps et de la disponibilité d’esprit que ne permet pas toujours la précarité économique (horaires décalés, fatigue, transports, préoccupations financières, famille monoparentale, etc.) – les plats tout faits (même si peu équilibrés) sont alors des alternatives bienvenues et pratiques ; l’anxiété que la précarité entraîne a des conséquences métaboliques qui favorisent la prise de poids ; les difficultés économiques et sociales (perte de l’emploi, inquiétudes, solitude, etc.) sont un terrain fertile pour les troubles du comportement alimentaire ; la peur du manque altère notre rapport à la nourriture ; l’éducation alimentaire n’est pas accessible à tou·tes ; et ces habitudes alimentaires, même mauvaises, se transmettent dans les familles. Surtout, se nourrir n’est pas qu’une nécessité vitale, c’est aussi un plaisir, un réconfort. Et de toute évidence, on ne se nourrit pas de la même façon avec une assiette de haricots verts vapeur qu’avec un steak frites. Mais dans ce contexte, c’est clairement la double peine.

Et comme je connais bien ce monde, je sais que vous êtes nombreux et nombreuses – bande de chien·nes – à vous dire « Oui mais bon, les gros·ses sont responsables de ce qu’iels sont. Iels n’avaient qu’à maigrir, on ne peut pas tou·tes s’adapter à ces gens. C’est normal qu’iels payent plus ». D’ailleurs, presque tout ce qu’on peut lire au sujet de la mort des gros·ses parle des contraintes de la grosseur et des problèmes qu’elle engendre – en ces termes précisément. Aucun papier ne semble se souvenir qu’il est question d’humains et que le poids est un sujet complexe. Aucun papier ne semble opter pour un autre prisme et s’interroger sur l’éthique de telles pratiques. Mais dans une société qui perçoit la grosseur comme absolument mauvaise par essence et qui a fait de la santé une valeur suprême, hiérarchisant au passage les existences, est-ce si étonnant ?

Pourtant, on devrait tou·tes avoir le droit à la dignité. Et même si ça me paraît lunaire de devoir rappeler un tel truc : les humains ne sont pas faits pour s’adapter aux tailles des cercueils ni même aux tailles des chaises, des allées, des tables d’opération ou des vêtements. C’est l’inverse. Simplement. Le problème, c’est un monde trop étroit, pensé pour une norme oppressante jusque dans la mort.

*Noms d’emprunt

**Le risque de pauvreté ou d’exclusion sociale est le pourcentage de personnes qui sont en risque de pauvreté et/ou vivent dans la privation matérielle sévère et/ou vivent dans un ménage à faible niveau d’intensité de travail

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