Le HuffPost a pu visionner en avant-première les 4 épisodes d’une heure de cette série intitulée “Chambre 2806: l’affaire DSK”, fruit d’un travail de près de 2 ans et demi, qui sera disponible pour les quelque 195 millions d’abonnés de la plateforme de streaming le lundi 7 décembre prochain.
“L’affaire DSK, ou plutôt les affaires DSK ont eu un retentissement international et vont bien au-delà d’un fait divers. Elles touchent plusieurs sujets de société, des thématiques qui restent d’actualité. C’est une sorte de #MeToo avant l’heure, avec des témoignages de femmes, exceptionnels pour l’époque, qui font figure de précurseurs”, explique d’entrée le producteur Philippe Levasseur et directeur général de Capa Presse, rencontré par Le HuffPost à quelques jours de la sortie de la série.
Le déroulé des affaires DSK
Les quatre épisodes du documentaire, tournés entre avril 2019 et l’automne 2020, retracent en effet bien plus que l’affaire centrale du Sofitel, survenue en mai 2011. Ils reviennent en 2008, alors que Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI et parmi les hommes politiques les plus puissants du monde, est la cible d’une enquête pour népotisme dans le cadre de relations intimes avec une subordonnée, Piroska Nagy.
Puis ils déroulent l’affaire de la “suite 2806” pour laquelle DSK sera poursuivi pour sept chefs d’accusation, dont ceux d’acte sexuel criminel, de tentative de viol, d’abus sexuel et de séquestration. Celui qui a toujours plaidé non coupable verra finalement le juge abandonner les poursuites à la demande du procureur après trois mois d’enquête. Avant qu’un accord financier conclu avec Nafissatou Diallo ne mette fin à toutes les procédures engagées au civil.
Le documentaire revient aussi sur le témoignage de Tristane Banon, “l’autre affaire DSK” comme l’ont qualifié les médias à l’époque. Alors qu’éclatent les révélations du Sofitel, les accusations de la romancière et journaliste refont surface. Au début du mois de juillet 2011, Tristane Banon porte plainte pour tentative de viol contre Dominique Strauss-Kahn pour des faits remontant à février 2003. Une plainte classée sans suite, car les faits sont prescrits.
Le quatrième épisode évoque lui l’affaire du Carlton de Lille, dans laquelle des prostituées font état de relations sexuelles violentes avec Dominique Strauss-Kahn lors de soirées organisées par un chargé des relations publiques du Carlton et son ami Dominique Alderweireld dit “Dodo la Saumure”.
Bien conscients que toute cette suite d’affaires “aussi médiatique que sociétale” comporte encore “beaucoup de zones d’ombre, d’interrogations et suscite des fantasmes”, Jalil Lespert et le producteur de la série assurent avoir voulu analyser ce “cas fascinant” avec du recul et de la perspective. Mais aussi “apporter de nouveaux témoignages” pour “remettre des faits d’équerre”.
Nafissatou Diallo, un “moment improvisé”
S’il n’y a pas à proprement parler de révélations sur les affaires DSK dans cette série documentaire, la liste des intervenants est indéniablement riche. Parmi les témoignages les plus marquants, il y a évidemment celui de Nafissatou Diallo qui, neuf ans après les faits, revient sur le déroulé de l’agression dont elle dit avoir été victime avec des détails glaçants. “Ce n’était pourtant pas écrit que Nafissatou Diallo s’exprimerait”, assure au HuffPost Philippe Levasseur. “Évidemment qu’on a tenté par tous les moyens de la convaincre du bien fondé de notre demande, mais ça a mis du temps”.
Netflix
Si à plusieurs reprises, Nafissatou Diallo laisse couler des larmes ou s’interrompt d’un “je n’ai pas envie de parler”, elle reprend finalement le fil et confie face à la caméra: “Plus je parle, mieux je me sens. Je m’en défais, même si ça ne s’en va jamais vraiment.”
La Française Tristane Banon intervient aussi à l’écran. On la retrouve notamment avec une séquence d’archives stupéfiante, tirée de son passage dans l’émission “93 Faubourg Saint-Honoré” de Thierry Ardisson en 2007. Alors qu’elle raconte avoir été victime d’une agression sexuelle, les invités s’esclaffent – exemple criant de la médiocre prise en compte de la parole des femmes à l’époque. Le dernier épisode comprend également le témoignage fort de Mounia R., l’une des prostituées du Carlton.
Des enquêteurs jusque là “tenus au secret”
“Il y a évidemment des versions très contradictoires dans cette affaire, donc notre règle dès le début a été d’avoir le panel le plus large possible dans une volonté d’équité”, précise le producteur de la série documentaire. Suivent alors les témoignages des enquêteurs américains qui étaient en charge de l’affaire. “Eux n’avaient jamais parlé, parce qu’ils étaient tenus au secret. Mais on est arrivés au moment où ils avaient retrouvé une liberté de parole parce que l’un est à la retraite, l’autre devenu détective privé”.
L’ancien chef adjoint de la police de New York, Michael Osgood, se souvient d’une Nafissatou Diallo “convaincante et cohérente” dans ses interrogatoires, et assure que “la thèse du rapport consenti ne fait pas le poids”. L’enquêteur au bureau du procureur de l’époque, Robert Mooney, qualifie à l’inverse la femme de chambre “d’arnaqueuse” qui aurait voulu “soutirer de l’argent à DSK”.
Sans oublier des journalistes: l’Américain Edward Jay Epstein, auteur d’une longue enquête qui avait relancé l’hypothèse d’un complot politique contre l’ex-patron du FMI ou la Française Raphaëlle Bacqué, grand-reporter au journal Le Monde et co-autrice du livre à charge “Les Strauss-Kahn” avec Ariane Chemin.
Anne Sinclair, qui partageait la vie de Dominique Strauss-Khan jusqu’à août 2012, apparaît dans plusieurs épisodes. Celle qui a été la directrice éditoriale du HuffPost à son lancement, n’a pas donné suite aux sollicitations de la production.
Et Dominique Strauss-Kahn dans tout ça? Un simple panneau de texte à la toute fin du dernier épisode précise que “DSK a refusé [leur] demande d’interview”. Pourtant, les producteurs et le réalisateur ont été à plusieurs reprises en contact avec le principal intéressé et son entourage: “On a notamment parlé au téléphone avec lui. Jusqu’au bout, on lui a proposé de s’exprimer. Il a hésité, puis refusé”. “Mais on a très vite compris que sa version sur cette affaire n’avait pas changé et que sa parole avait déjà été entendue”, soutiennent-ils.
Les avocats américains de DSK, Ben Brafman et William Taylor, puis son avocat français Richard Malka à l’époque de l’affaire du Carlton, sont eux interviewés.
Une perspective nouvelle
Pour Jalil Lespert, une bonne majorité des témoins rencontrés au cours des 18 mois passés sur le tournage en France ou aux États-Unis “ressentaient le besoin de clore le débat” avec ce documentaire. Pour le spectateur, pas sûr que le résultat soit le même tant ces 4 heures de visionnage mêlent une diversité de points de vue sur une affaire toujours aussi complexe.
“Pourquoi un homme aussi intelligent, brillant, ambitieux, avec une carrière politique parfaite, s’effondre et se jette presque dans le vide? Parce que, quelle que soit sa qualification judiciaire, un acte est commis et précipite sa chute. C’est un mystère psychologique”, se questionne encore le producteur Philippe Levasseur.
Mais neuf ans plus tard, “Chambre 2806: l’affaire DSK” a le mérite d’apporter un éclairage nouveau sur cette affaire et surtout sur sa place dans notre société contemporaine. “C’était d’autant plus intéressant de s’intéresser au cas DSK dans notre ère post-#MeToo, parce que le monde a changé depuis”, assure le réalisateur qu’on ne peut contredire tant certains propos ou scènes (re)découverts dans ce documentaire semblent d’une autre époque.
“D’ailleurs en démarrant cette série, on avait nous-même sous-estimé cela”, poursuit-il. “Les manifestations des femmes de chambre et de mouvements féministes à New York, l’intervention des Femen lors du procès du Carlton de Lille… Cette affaire est bien plus qu’un fait divers, c’est aussi une histoire de la libération de la parole des femmes”.
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