Cela ne fait guère de doute si l’on regarde les intentions de vote mesurées à l’heure actuelle, comme vous pouvez le voir dansnotre compilateur ci-dessous. Le chef de file LFI est donné à 10% environ, quand ses concurrents -écolos, socialistes ou communistes- plafonnent autour des 5, ou en dessous, soit deux fois moins.
L’idée est donc la suivante: que tous les électeurs de gauche tentés par les candidatures Jadot, Taubira, Roussel et Hidalgo délaissent leur choix du cœur et glissent un bulletin Mélenchon dans l’urne par raison.
Petite nouveauté: les partisans de l’Avenir en commun, le programme mélenchoniste, ne sont plus les seuls à prêcher cet argument. Ségolène Royal, l’ex-ministre PS a surpris son monde, mercredi 16 février au soir, en enjoignant les différents prétendants à se ranger derrière la bannière insoumise. “Le vote utile, c’est Jean-Luc Mélenchon”, a-t-elle ainsi estimé sur BFMTV en louant “la solidité”, la “culture” ou encore “l’expérience” du tribun de 70 ans.
De quoi faire rougir le principal intéressé, lequel s’est fendu d’un message de remerciement immédiat sur les réseaux sociaux pour saluer “ses mots de rassemblement” mais qui a tenu a préciser sur BFMTV ce jeudi soir que même si ce “soutien est le bienvenu (…) je n’aime pas le terme ‘vote utile’, le vote inutile n’existe pas, chacun déploie une conviction et met un bulletin de vote en pensant à l’intérêt du pays”.
Car il faut essayer de rester constant: Aujourd’hui promoteur du “vote efficace”, Jean-Luc Mélenchon ne s’est pas toujours montré aussi laudatif à l’égard de qu’il considérait, jadis, comme un choix par défaut.
Mélenchon, le vote utile et la camisole
Retour en 2012. Le candidat du Front de gauche qui a claqué la porte du PS quelques années plus tôt est donné loin derrière le président sortant Nicolas Sarkozy et son principal concurrent François Hollande. Il doit alors faire face à la pression du vote “utile” agité par les socialistes pour contrer la montée de l’extrême droite et assurer la présence de la gauche au second tour. A cette époque, on appelle cela “le vote de victoire.”
Impossible pour Jean-Luc Mélenchon. Le chantre de la VIe République -déjà- refuse invariablement les appels du pied pour ne pas laisser le PS en position hégémonique à gauche. Le tout, en multipliant les critiques à l’égard de ceux qui voudraient siphonner son électorat à travers cette stratégie. “Le vote utile est une camisole de force. Il culpabilise les électeurs: s’ils ne votent pas bien, c’est-à-dire pour les deux principaux partis, c’est Marine le Pen qui va passer”, avance-t-il, fin mars 2012, dans Sud Ouest, pour fustiger “un raisonnement” qui conduit ”à la catastrophe.”
Le vote utile est une camisole de force. Il culpabilise les électeurs.Jean-Luc Mélenchon en 2012
“Leur idée”, ajoute-t-il, en parlant des socialistes, “est de ne pas bouger et de récupérer tous les votes, ceux des centristes et de la gauche. (…) On élirait donc un président par défaut. Alors que le pays veut des solutions tranchées.” Une opposition idéologique frontale, donc, qui ne se démentira pas tout au long de la campagne. “Le vote utile c’est le vote Front de gauche”, ira-t-il jusqu’à lancer, lors de son dernier meeting le 19 avril, deux jours avant le premier tour, jugeant que “le niveau du vote FG est l’indicateur du trouillomètre de la droite”.
Alors, pourquoi est-ce différent aujourd’hui? Les rapports de force ont changé. Jean-Luc Mélenchon et les insoumis se retrouvent (toute proportion gardée) dans la position qu’occupaient les socialistes auparavant, en tête des différentes forces de gauche. A une différence -majeure- près: le député des Bouches-du-Rhône est encore loin du second tour (à 5 ou 6 points) si l’on en croît les sondages, quand François Hollande, en 2012, était quasi assuré de se qualifier.
Coco convoités
De quoi expliquer ce changement de pied? Dix ans plus tard, force est de constater que “le vote efficace” s’affiche désormais en grand -et en lettres capitales- sur les tracts insoumis. “Sans (Jean-Luc Mélenchon) le second tour sera un duo, et non pas un duel, entre la droite et l’extrême droite”, est-il ainsi écrit sur un visuel mis à disposition des militants le 11 février dernier. Culpabilisation, vous disiez?
Dans le même temps, le numéro deux de la formation, Adrien Quatennens ne manque pas une occasion médiatique pour populariser l’expression et vanter les mérites d’un tel report de voix.
“Vous êtes un électeur ou une électrice de gauche, vous voulez véritablement en finir avec le quinquennat d’Emmanuel Macron, vous êtes intéressé par tout ce que l’on propose (…) vous vous dites ‘en effet, il y a clairement un vote efficace qui apparaît dans le tableau’”, explique-t-il à Public Sénat dans une émission diffusée mercredi 16 février. Et d’ajouter: “Si on additionne le score de Jean-Luc Mélenchon et les 3,4% de Fabien Roussel, on est à la porte du second tour.” Ce qui n’est pas foncièrement faux, à condition que le report soit total (une hypothèse d’école qui se vérifie rarement), le ticket d’entrée étant aujourd’hui autour des 16%.
Oui moi voilà: ironie de cette campagne, les communistes -pourtant alliés à Jean-Luc Mélenchon en 2012 et 2017- se retrouvent désormais dans le rôle du poil à gratter. Ou de caillou -rouge- dans la chaussure insoumise.
Plaider pour le vote utile c’est se priver de voter pour les idées dont on se sent le plus proche.”Fabien Roussel, candidat communiste à la présidentielle.
Ce n’est pas un hasard si Fabien Roussel répond à la demande de “vote efficace” en puisant dans le registre utilisé dix ans plus tôt par son ancien camarade. Invité à réagir, ce jeudi, à la sortie de Ségolène Royal sur BFMTV, le chef de file des communistes -l’une des surprises de ce début de campagne- dit refuser la “camisole de force” critiquée, à l’époque, par le camp “populaire”.
“Je crois que c’est Jean-Luc Mélenchon qui a déjà dit ça”, ajoute-t-il, dans un sourire, “plaider pour le vote utile c’est se priver de voter pour les idées dont on se sent le plus proche.”
“A chaque fois on nous a expliqué qu’il fallait voter comme au PMU, pour le mieux placé et à chaque fois on s’est fait avoir”, martèle encore son directeur de campagne Ian Brossat sur LCI. Et voilà comment Jean-Luc Mélenchon se retrouve, à gauche, dans la même situation que François Hollande en 2012. En tête, mais relativement seul. Avec le même résultat final? Il veut le croire mais rien n’est moins sûr.
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