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Photo : mapodile via Getty Images 

Je n’ai vu le visage de l’homme que pendant une seconde. C’était de ma faute ; j’étais assez bête et je m’ennuyais assez pour parcourir un compte Instagram sur les animaux exotiques quand je suis tombée sur la légende suivante : « ATTENTION : ce chasseur de gros gibier vient de survivre à une attaque d’ours ! » J’y pense encore, à ces bouts de chair qui pendent, à cet improbable pouce en l’air devant l’objectif… Ugh. J’aurais aimé ne jamais avoir regardé.

Internet regorge de contenus violents. Que vous le vouliez ou non, il y a de fortes chances que vous y soyez exposé un jour ou l’autre, surtout à une époque où des vidéos d’attaques brutales contre des Asiatiques ou des raids de police dans des camps de sans-abri deviennent régulièrement virales. Ces scènes sont terribles à voir, et la peur et le dégoût qu’elles déclenchent peuvent être difficiles à oublier.

Lorsqu’elle est associée au racisme, au sexisme, à l’homophobie ou à la transphobie, cette violence peut être encore plus nocive pour les membres de ces groupes marginalisés. Une étude publiée en 2018 dans The Lancet a révélé que des adultes noirs aux États-Unis avaient subi des effets négatifs importants sur leur santé mentale après avoir vu des vidéos de personnes noires non armées tuées par la police, même sans avoir de lien « direct » avec ces personnes. 

Selon Sheryl Ankrom, directrice des services cliniques de Lifeline Behavioral Healthcare, un centre de santé mentale dans l’Illinois, les traumatismes personnels jouent un rôle important dans le déclenchement de la réaction à des images en ligne : « Lorsque les personnes marginalisées vont voir une image qui se rapporte à un groupe auquel elles s’identifient, elles vont avoir une réaction beaucoup plus forte. »

Lorsque nous voyons des images violentes et que nous les percevons comme dérangeantes, cela déclenche une réponse de type «combat-fuite », poursuit Ankrom. Selon elle, des facteurs comme le niveau de stress actuel ou la capacité à compartimenter jouent un rôle important dans ces réponses. Ces images peuvent faire des ravages : des modérateurs de contenu de Facebook ont affirmé que l’exposition répétée à des contenus violents sur la plateforme, notamment des viols et des suicides, les a conduits à développer des symptômes de syndrome de stress post-traumatique. Ils ont même intenté un procès à Facebook qui a dû leur verser 52 millions de dollars de dédommagement en mai 2020

Mais alors, que faire pour effacer ce type d’images de notre mémoire ? Voici quelques stratégies qui peuvent être utiles.

Commencez par traiter les symptômes physiques

Sur le moment, une image violente peut provoquer des symptômes à la fois physiques et psychologiques. Il faut déjà traiter les premiers avant de s’attaquer aux  seconds. Immédiatement après avoir vu une image qui déclenche une grave réaction de peur, votre respiration va se faire haletante et vos muscles vont se tendre, deux choses qui indiquent à votre cerveau d’inonder votre système d’adrénaline et d’autres hormones pour vous préparer à la survie. « Cela vous donne une poussée d’énergie et de force pour vous préparer à faire ce que vous devez faire pour survivre à ce qui se passe, explique Ankrom. Mais évidemment, ce n’est pas un mécanisme nécessaire dans ce cas. » 

Il est donc important d’essayer de se calmer : prenez des respirations profondes et apaisantes, et détendez vos muscles. « Nous voulons faire comprendre au cerveau que tout va bien. Il commence alors à libérer les substances chimiques qui nous aident à nous détendre. » Bien sûr, l’idéal est de coupler cette démarche à un monologue intérieur apaisant, mais si c’est trop sur le moment, la respiration profonde est le meilleur moyen de vous aider à reprendre le contrôle.

Prenez du recul, au sens propre comme au sens figuré

Dans la mesure du possible, éteignez votre ordinateur ou votre téléphone dès que vous voyez un soupçon de violence qui vous dérange. Même s’il est un peu trop tard, la meilleure chose que vous puissiez faire est de vous éloigner physiquement de la situation. « Juste après avoir vécu quelque chose de dérangeant, vous devez vous éloigner de ce déclencheur, dit Ankrom. Fermez les réseaux sociaux, ne regardez plus cette image et allez vous promener. » 

Ankrom recommande également d’écouter une musique que vous aimez, de regarder votre émission de télévision préférée, ou même de passer un coup de fil à un ami qui peut vous aider à vous ancrer à nouveau dans la réalité physique ; tout ce qui peut aider à surmonter l’horreur et le dégoût immédiats peut faciliter la gestion de ces sentiments par la suite.

Bloquez les pensées intrusives

Une fois que vous avez géré votre réaction initiale, une image qui vous a véritablement ébranlé va probablement rester gravée dans votre esprit pendant un certain temps. Selon  Ankrom, il est normal que cette image ressurgisse dans votre cerveau pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines après que vous l’ayez vue pour la première fois. « Il n’est pas toujours possible d’éviter ces pensées, car elles sont souvent intrusives et deviennent automatiques, dit-elle. Il y a un déclencheur, un rappel de l’expérience, qui provoque une récurrence de la réponse au stress. »

Ankrom suggère de bloquer ces pensées, une technique qui, elle le précise, n’est pas efficace à 100 % En gros, c’est lorsque vous vous surprenez à ruminer sur un sujet et que vous faites le choix conscient d’interrompre ces pensées, en criant « Stop ! » si nécessaire. « C’est difficile, mais plus vous êtes capable de rediriger vos pensées, plus cela deviendra facile et automatique. »

Ankrom suggère quelques astuces physiques, comme la relaxation musculaire progressive, pour contrer la réaction de stress du corps qui se crispe. Elle recommande également de prendre soin de soi, en adoptant un horaire régulier pour manger, dormir et faire de l’exercice. Si la réaction de stress aiguë provoquée par le souvenir de l’image perturbante ne diminue pas dans le mois qui suit, il peut être utile de demander l’aide d’un professionnel pour comprendre pourquoi vous vous sentez bloqué ou piégé. 

Mettez en place des bloqueurs pour une utilisation future

Évitez les vidéos violentes en désactivant la lecture automatique sur des plateformes comme Twitter, Facebook et Reddit ou sur des navigateurs comme Firefox, Microsoft Edge et Safari. Sur Instagram, tenez compte des avertissements de « contenu sensible » et ne cliquez pas. Vous pouvez aussi, et je le dis avec bienveillance, vous forcer à faire une pause avec les réseaux sociaux, ou du moins avec les plateformes où vous êtes le plus susceptible de tomber sur du contenu dérangeant. 

Il pourrait également être judicieux de demander à vos proches de ne pas vous envoyer des contenus déclencheurs. Bien que la plupart des gens, en particulier les plus proches, aient de bonnes intentions lorsqu’ils prennent des nouvelles au moment où une tragédie se déroule, faites-leur comprendre que leurs actions pourraient, par inadvertance, vous diriger vers ce que vous devez éviter. 

Enfin, demandez-vous pourquoi vous pourriez être tenté de rechercher ces images de temps en temps, ou si quelque chose vous pousse à le faire. Nous avons passé une si grande partie de l’année dernière rivés à nos écrans, à regarder des événements horribles se dérouler sur Internet, que nous avons parfois eu l’impression que le fait d’en être les témoins était le seul moyen d’aider les personnes qui les vivent : regarder les taux d’infection au Covid monter en flèche, suivre en direct les répressions policières, voir des personnes se faire battre dans la rue et dans les transports en commun par leurs « voisins ». Libérez-vous de l’obligation de regarder des choses qui vous font du mal. Éviter les images violentes n’équivaut pas à se boucher les oreilles et à se fermer au monde ; il s’agit simplement de préserver votre santé mentale afin de pouvoir vous battre un autre jour, lorsque vous vous sentirez plus fort.

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