Mikael Skillt, un vétéran de l’extrême droite suédoise, a posé le pied à Kiev en février 2014, quelques jours à peine après l’éviction du pouvoir du président Viktor Ianoukovytch, pendant la révolution ukrainienne.

À cette époque, Skillt était un néo-Nazi reconnu dont l’histoire s’entremêlait avec celle de l’extrême droite sur deux décennies. Il était venu en Ukraine attiré par les grondements révolutionnaires et la volonté de prendre part à quelque chose de plus grand que la vie qu’il menait dans son pays. Comme de nombreux radicalisés d’extrême droite à travers le monde, Skillt avait été inspiré par le rôle important qu’avaient joué les ultra-nationalistes ukrainiens et autres hooligans d’extrême droite, à la fin des manifestations de la place Maïdan. Il voulait apporter son soutien à leur cause.

« J’ai vu l’histoire en train de s’écrire, » explique-t-il à VICE World News. « Qui refuserait de prendre part à l’histoire ? »

Cette décision a finalement conduit Skillt à devenir l’un des nombreux combattants étrangers d’extrême droite (ils seraient plusieurs milliers selon les estimations) à rejoindre le conflit qui s’en est suivi en Ukraine. Et l’histoire raconte que ces combattants se sont retrouvés du côté ukrainien, mais également du côté russe. 

Ces gens sont venus en Ukraine pour différentes raisons. Certains venaient en quête d’aventures, de statuts ou de formation militaire. Mais tous sont rentrés chez eux avec une plus grande expérience du combat et des contacts à l’international, ce qui a conduit les experts à évoquer une menace extrémiste tout à fait inquiétante. Ainsi, estiment-ils, ce flot de combattants d’extrême droite a fait de l’Ukraine une plaque tournante pour les réseaux suprémacistes blancs, avec des relents fascistes sous-jacents qui continuent d’attirer et d’inspirer les extrémistes radicaux du monde entier.

Des manifestants anti-gouvernement sur la Place de l’Indépendance, à Kiev, en février 2014. Photo : Jeff J Mitchell/Getty Images

Des manifestants anti-gouvernement sur la Place de l’Indépendance, à Kiev, en février 2014. Photo : Jeff J Mitchell/Getty Images

Marilyn Mayo, chargée de recherches au Centre sur l’Extrémisme de l’Anti-Defamation League (ADL) dit : « Les suprémacistes blancs, ils meurent d’envie de se battre. Quand vous analysez l’idéologie de ces groupes, nombre d’entre eux disent qu’ils se préparent pour une guerre raciale, et ils veulent s’entraîner pour de vrai. »

Pour ces combattants étrangers, la guerre en Ukraine était une excellente opportunité de réaliser leur rêve, de fouler le champ de bataille, comme l’indique Jason Blazakis, chargé de recherches au Centre Soufan.

Blazakis explique que « les gens comme Skillt incarnent ce que bon nombre de suprémacistes blancs aimeraient être. Et beaucoup d’entre eux aimeraient aller sur le terrain, à la guerre… en Ukraine, pour vivre leur rêve à la première personne. »

Skillt avait déjà une certaine expérience militaire puisqu’il avait servi au sein de la garde nationale suédoise. En Ukraine, il a signé pour combattre dans l’une des milices de volontaires formées pour défendre l’Ukraine après le soulèvement séparatiste soutenu par la Russie à l’Est du pays, en 2014.

Des combats à Avdiivka, dans la région de Donetsk, en Ukraine, en mars 2017. Photo : Anatolii Stepanov/AFP via Getty Images

Des combats à Avdiivka, dans la région de Donetsk, en Ukraine, en mars 2017. Photo : Anatolii Stepanov/AFP via Getty Images

Cette milice, c’est le Régiment Azov, une puissante troupe d’extrême droite mue par les mêmes forces ultra-nationalistes qui avaient envoyé des hommes en première ligne de la révolution.

Si Azov a publiquement essayé de minimiser l’importance de ses éléments extrémistes, la radicalité de ses opinions est irréfutable. Plusieurs membres de ce régiment se déclarent ouvertement favorables à l’idéologie suprémaciste blanche et certains arborent des tatouages néo-nazis. Le premier commandant du régiment, Andriy Biletsky a été dirigeant de l’organisation paramilitaire néo-nazie des « Patriotes d’Ukraine », et il avait déclaré, quelque temps plus tôt, que la nation ukrainienne avait pour mission de « mener les races blanches du monde dans une croisade finale… contre les Untermenschen (sous-hommes) dirigés par les Sémites. »

« [Leur idéologie extrémiste] est irréfutable, étant donné que l’on trouve des photos de leurs gars avec des swastikas, » déclarait Skillt, qui a, depuis, renoncé à ses idéaux extrémistes.

Azov a rapidement attiré l’attention, non seulement du fait de sa ligne politique d’extrême droite, mais aussi pour ses réussites sur le champ de bataille. Le régiment a acquis une importante renommée suite aux violents combats qui ont fait rage dans la ville de Marioupol, où Skillt était au cœur de l’action.

Malgré ses affiliations radicales, les actions du Régiment Azov lui ont permis de gagner une grande légitimité et de représenter, au niveau national, une entité reconnue comme défendant la nation. Cela a également eu pour effet d’accroître sa réputation parmi les partisans de l’extrême droite du monde entier, et le régiment a pu recruter activement à travers les réseaux sociaux et autres réseaux d’accointances. 

Des militants d’extrême droite lors d’une marche pour les vétérans à Kiev, en août de l’année dernière. Photo : Pavlo Gonchar/Sopa Images/Lightrocket via Getty Images

Des militants d’extrême droite lors d’une marche pour les vétérans à Kiev, en août de l’année dernière. Photo : Pavlo Gonchar/Sopa Images/Lightrocket via Getty Images

« Ils ont prouvé qu’ils étaient une force à ne pas sous-estimer, » décrypte Blazakis, avant d’ajouter que le Régiment Azov fait désormais l’objet d’une espèce de culte parmi les partisans de l’extrême droite au niveau international.

Mais tous les partisans de l’extrême droite ne combattaient pas aux côtés du Régiment Azov sur les champs de bataille. Loin de là. La guerre en Ukraine a véritablement divisé les fidèles de l’extrême droite : certains soutenaient le camp ukrainien au prétexte que ce sont des nationalistes qui luttaient contre l’agression russe, alors que d’autres se sont rangés du côté russe, motivés en partie par le fait que le président russe Vladimir Poutine est un fervent défenseur d’une Europe traditionaliste et blanche.

« Les partisans de la droite en Europe… sont divisés en deux camps. Il y a les pro-Russes et les pro-Ukrainiens, » explique Skillt. « Mais c’est le camp pro-Russe qui est prédominant. » 

Ironie de la situation, le Kremlin a essayé d’utiliser l’idéologie extrémiste du Régiment Azov pour salir la réputation de l’ensemble des forces ukrainiennes, mais des combattants étrangers suprémacistes blancs ont aussi été entraînés et enrôlés au sein de bataillons séparatistes pro-Russes comme le Mouvement Impérial Russe (RIM), une organisation ultra-nationaliste qui déclare combattre pour « la prédominance de la race blanche ». 

Des experts déclarent que le RIM a permis d’acheminer des partisans de l’extrême droite pour les faire combattre aux côtés des Russes à travers leur branche militaire, la Légion impériale. L’an dernier, le gouvernement américain a ajouté le RIM à sa liste de groupes spécialement référencés comme terroristes au niveau mondial, déclarant que celui-ci avait « fourni un entraînement de type paramilitaire à des suprémacistes blancs et à des néo-nazis en Europe. » Par ailleurs, un média allemand citait des sources des services de renseignements, déclarant que des extrémistes allemands avaient été formés à l’utilisation d’armes à feu et d’explosifs dans un camp du RIM près de Saint-Pétersbourg.

Le mois dernier, les autorités tchèques ont rendu une visite surprise à un groupe paramilitaire suspecté d’avoir envoyé des citoyens tchèques en Ukraine pour combattre dans le camp des séparatistes pro-Russes.

En ce qui concerne le Régiment Azov, il est désormais clair que les idées radicales du groupe ne sont pas un obstacle à son développement et ancrage en Ukraine. Et le groupe qui agissait sur les champs de bataille diffuse désormais son idéologie extrémiste au sein de la société ukrainienne.

Vers la fin de l’année 2014, le Régiment Azov a officiellement été rattaché à la garde nationale ukrainienne, faisant de ses combattants des salariés du gouvernement. Deux ans plus tard, Azov a formé son propre parti politique, Corps National, avant de mettre en place un groupe paramilitaire, la Milice nationale, qui « patrouille » dans les rues et fait appliquer à sa manière, brutale, une justice autoproclamée.

Un manifestant tient une bombe fumigène lors d’une manifestation à Kiev, en 2014. Photo : Genya Savilov/AFP via Getty Images

Un manifestant tient une bombe fumigène lors d’une manifestation à Kiev, en 2014. Photo : Genya Savilov/AFP via Getty Images

Des membres du groupe ont perpétré une série d’attaques violentes à l’encontre de minorités, dont des Roms et des personnes LGBTQ, au cours des dernières années, ce qui a conduit le ministère américain des Affaires étrangères à cataloguer Azov parmi les « groupes nationalistes haineux ». 

L’écosystème du Régiment Azov a aussi permis d’alimenter une culture souterraine d’extrême droite relativement prospère en Ukraine. Les extrémistes liés à Azov organisent des festivals de musique ou des tournois de MMA néo-nazis ou lancent des marques de fringues dans la même veine, et le groupe continue de tisser ses réseaux et de trouver des soutiens au sein des mouvements radicaux d’extrême droite dans le monde entier.

Cela a notamment inspiré et attiré des fans venus des quatre coins de la planète, y compris des États-Unis.

Parmi les plus fervents admirateurs de Azov, on trouve Robert Rundo, fondateur du Rise Above Movement, RAM, un groupe de suprémacistes blancs des plus violents sévissant aux États-Unis. Rundo a effectué un pèlerinage en Ukraine en 2018 pour combattre dans les événements de MMA organisés par le Régiment Azov, et il a profité de l’occasion pour lancer un podcast en collaboration avec une personnalité importante affiliée au groupe ukrainien. 

Rundo s’est exprimé très ouvertement sur le rôle du Régiment Azov qui a été une source d’inspiration pour sa propre idéologie politique, extrémiste, aux États-Unis. C’est en ces termes qu’il décrit la scène d’extrême droite ukrainienne dans l’un de ses podcasts en 2017 : « Ma seule et unique source d’inspiration, pour tout. »

L’influence de cette frange ultra-nationaliste ukrainienne a très vite suscité des inquiétudes au niveau mondial, notamment par rapport au fait qu’elle va aider à consolider et encourager des groupes nationalistes blancs au-delà des frontières de l’Ukraine.

Un membre de l’armée ukrainienne tire avec une énorme mitrailleuse lors d’un affrontement près de la ville de Dokoutchaïevsk, à Donetsk en Ukraine, en juillet 2019. Photo : Anatolii Stepanov/AFP via Getty Images

Un membre de l’armée ukrainienne tire avec une énorme mitrailleuse lors d’un affrontement près de la ville de Dokoutchaïevsk, à Donetsk en Ukraine, en juillet 2019. Photo : Anatolii Stepanov/AFP via Getty Images

Le gouvernement des États-Unis veille à ce qu’aucune des aides militaires fournies à l’Ukraine ne finissent dans les mains du Régiment Azov, et le FBI a déclaré, dans une plainte pénale, qu’il pense que Azov entraîne et radicalise des citoyens américains suprémacistes blancs. En 2019, les inquiétudes face aux risques que représentent les ultra-nationalistes ukrainiens ont poussé des ambassadeurs de pays du G7 à enjoindre le gouvernement ukrainien d’agir contre les extrémistes.

Mais si certaines données semblent indiquer que l’Ukraine entend les requêtes qui lui sont faites de stopper l’arrivée de combattants étrangers (le pays a renvoyé deux citoyens des États-Unis, membres du groupe néo-nazi Atomwaffen Division, qui voulaient combattre aux côtés du Régiment Azov, d’après une publication du média BuzzFeed News), rien ne laisse présager d’une disparition prochaine du groupe Azov, qui bénéficie par ailleurs d’un fort soutien politique.

« Il me semble clair qu’il faudra faire avec eux à l’avenir, parce qu’ils ont su s’ancrer et tisser les liens qu’il fallait avec l’État ukrainien, » pose Blazakis. « Et cela est très dangereux. »

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