VIOLENCES SEXUELLES – Quatre semaines après le vote en première lecture, au Sénat, d’une proposition de loi centriste visant à renforcer la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, c’était au tour des députés de se pencher sur ce sujet, jeudi 18 février, à partir d’un texte socialiste cette fois. Quelques jours plus tôt, le gouvernement, en la personne d’Éric Dupond-Moretti, a promis s’engager à faire évoluer la loi.
Les violences sexuelles, nouvelle priorité du gouvernement, donc. Pour les associations, libérer la parole des enfants avant qu’il ne soit trop tard est un combat de longue haleine. Depuis début 2021, il semblerait toutefois qu’elles aient enfin réussi à donner de la voix. Et celle de Laurent Boyer, président des Papillons, association qui lutte contre toutes les formes de violences faites aux mineurs, peut se targuer de mener cette bataille, au plus près des décideurs. Ce capitaine de police, victime d’inceste de ses 6 à 9 ans par son frère de 10 ans son aîné, a été reçu le 27 janvier dernier à l’Élysée par Brigitte Macron pour parler de ses boîtes aux lettres. Une idée simple et efficace, développée par l’association pour libérer la parole des enfants maltraités et à destination de tous les établissements qui accueillent des mineurs.
Dans les Alpes-Maritimes, le club de football de l’OGC Nice est la première structure à en accueillir une. Le HuffPost s’est rendu sur place pour mieux comprendre comment avec ce simple outil, Les Papillons veut lutter à sa manière contre la prescription et la loi du silence.
“Le viol? Qu’est-ce que c’est que le viol?”
Contre le mur de la cabane à ballons. C’est dans ce lieu discret, mais incontournable pour tous les jeunes joueurs que l’école de foot de l’OGC Nice – qui accueille 360 licenciés, dont 150 filles- a accepté d’accrocher sa boîte aux lettres “Papillon”. Et mercredi 3 février, Christel Fievet, professeure des école et bénévole, assistée par Anne-Cécile Collet, référente de l’association, dirige avec pédagogie une intervention de prévention et de présentation aux 14-15 ans d’abord, puis aux 11-12 ans.
Les mots sont explicites et leur réalité glaçante. Mais dans la bouche de Christel, ils sont expliqués aux enfants avec un naturel et une évidence dont les parents auraient tort de ne pas s’inspirer. Simplement, clairement, l’institutrice évoque avec les jeunes joueurs et joueuses les différents types de violences: verbale, physique et sexuelle. Et pointe sur elle ce qu’on appelle “les parties intimes” afin d’expliquer que les toucher sans consentement s’appelle une agression sexuelle.
“Les jeunes savent déjà beaucoup de choses”, nous explique-t-elle. “L’idée est de partir de ce qu’ils savent déjà pour les aider à mettre en forme l’information, la trier et expliquer ensuite ce qu’ils ne savent pas”.
La liberté du papillon au silence de la chrysalide
“Les violences sexuelles sont in-ter-dites. C’est très grave! Si ça vous arrive, vous ne devez pas garder ça pour vous!”, intime-t-elle avec bienveillance aux enfants, en cercle autour d’elle à l’écouter. Au silence de la chrysalide repliée et mourante dans son cocon, l’association propose aux enfants de choisir la liberté du papillon, débarrassé de ses soucis. Auprès du jeune public, la métaphore fait son effet.
Pour ce faire, chacun est libre de s’emparer d’un petit papier, à l’abri des regards près de la boîte aux lettres. D’écrire son nom et prénom et son école et de raconter dans un espace consacré ses malheurs. Une fois le papier glissé dans la boîte aux lettres, seuls les membres de l’association peuvent le recueillir. Leur lecture est ensuite confiée à une équipe d’experts composée de psychologues, d’assistantes sociales et d’éducateurs.
“La prise en charge d’un enfant est très longue. Plus il parle tôt, plus il pourra recevoir de l’aide rapidement”, prévient Christel. En fonction de la gravité des maux confiés, l’équipe de l’association peut aller jusqu’à effectuer un signalement auprès des autorités ou prévenir la structure pour un règlement en interne.
Contrairement à ce que peuvent penser certaines non-victimes, les enfants ont moins de problèmes à écrire et dessiner qu’à parler. C’est en tout cas le constat de l’association. “Si j’avais eu une boîte ‘Papillon’ dans mon école, j’aurais pu y confier mes lourds secrets” et très probablement ne pas attendre 10 ans et trois mois que la prescription soit passée pour porter plainte, confie Anne-Cécile Collet, bénévole et victime de viols et d’agressions sexuelles par son ancien directeur de centre aéré.
C’est ce constat également qui, à l’origine, a poussé Laurent Boyer à développer son concept. “Les boîtes aux lettres, c’est inspiré de mon histoire. À l’époque, je ne pouvais pas parler de ce que mon frère me faisait. Mais je l’écrivais dans une sorte de journal”, raconte-t-il au HuffPost. “Les deux endroits où je me sentais en sécurité, c’était à l’école et au club de foot”. D’après le président de l’association, de très nombreuses victimes viennent le voir, depuis que l’association existe, en lui disant qu’une boîte aux lettres, à leurs époques, les aurait aidés à exprimer l’indicible.
À l’OGC Nice, les enfants ont accueilli la présentation avec un enthousiasme et un intérêt remarquable. Quand les jeunes joueurs se rassemblent près de la boîte aux lettres dans un brouhaha de fins des cours, on peut entendre des “C’était vraiment bien de nous avoir fait ça!”. Amir, 10 ans, a bien aimé lui aussi la présentation de l’association. Il n’hésite pas une seconde à répondre: s’il arrive malheur, à lui ou un copain, bien sûr, il écrira un mot.
Les écoles à la traîne
Le hashstag “Metooinceste” et la publication du livre de Camille Kouchner a donné un coup de projecteur sur l’association de deux ans et demi seulement. En un an, “nous sommes passés de 50 à 500″ bénévoles, s’enthousiasme Laurent Boyer.
L’actualité depuis début janvier le fait passer de plateau en plateau. Des municipalités l’appellent et de plus en plus de structures s’intéressent au dispositif des boîtes aux lettres. Début février, c’est la Fédération française de judo et celle de natation qui ont signé un partenariat avec lui en vue d’en installer dans leurs clubs.
À l’heure où nous publions ces lignes, 49 boîtes aux lettres ont déjà été mises en place. 75% des mots sont écrits par des jeunes filles. Les faits les plus remontés concernent le harcèlement scolaire -le dispositif de l’association avait d’ailleurs été la 46e proposition du rapport du député MoDem Erwan Balanant remis à l’Éducation nationale en vue de lutter contre cette pratique. Viennent ensuite les violences physiques faites au domicile puis les violences sexuelles intrafamiliales.
Le chantier en suspend reste celui des académies, frileuses devant l’initiative. “C’est arrivé qu’un collège sur ordre de son recteur enlève une boîte aux lettres dans laquelle se trouvait plus d’une quinzaine de messages”, raconte le président des Papillons. En 2021, à l’heure où tout appelle à briser le silence, le manque de coopération de l’Éducation nationale inquiète l’association. “J’ai l’impression qu’ils ont peur de l’ampleur d’un phénomène qui pourrait être mis en évidence avec nos boîtes aux lettres”, regrette Laurent Boyer.
À sa sortie de l’Élysée le 27 janvier dernier, il semble toutefois confiant. La Première dame qui lui a consacré 1h40 lui a assuré d’user de son influence pour inspirer les académies. Et si ce n’est pas elle, l’association peut compter sur la trentaine de députés particulièrement sensibles aux causes de la protection de l’enfance qui la soutient. Parmi eux, les marcheuses Perrine Goulet et Alexandra Louis. Ainsi que sur l’intérêt du secrétaire d’État à la protection de l’enfance, Adrien Taquet, avec qui l’association fait régulièrement des points d’étape. “C’est certain, il y a une prise de conscience concernant les violences sexuelles, et elle est générale. Maintenant il faut que ça serve”, avertit le capitaine de police. D’après lui le temps politique viendra quand la société tout entière sera prête à faire son examen de conscience. À commencer par les familles.
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