Aujourd’hui, la situation a atteint l’extrême inverse: plus personne ne doute de l’utilité des propositions formulées, et la seule question est de savoir jusqu’où ses propositions seront reprises et si elles le seront, in extenso, telles quelles.
Au moment où la loi dite “Climat et résilience” arrive à l’Assemblée, de nombreux députés réagissent vivement et certains considèrent que cette approche est un signe de plus du déclin du Parlement et un déni du rôle des parlementaires.
Prendre exemple sur les citoyens de la Convention
Soyons lucides: ce que nous apporte la Convention est différent de ce que le Gouvernement ou le Parlement auraient produit dans un processus législatif classique. Assurément plus audacieux et réellement différent. Ayons l’humilité de le reconnaître, et l’intelligence d’en faire un atout plutôt qu’un affront. Le meilleur exemple en est le texte de révision de l’article premier de la Constitution. Peu d’entre nous auraient proposé spontanément la formulation hardie retenue par la Convention: “la France garantit la préservation de l’environnement, de la biodiversité et de la lutte contre le réchauffement climatique”. Car le terme de garantir a quelque chose de vertigineux et pourrait ouvrir la porte à des questions prioritaires de constitutionnalité, engendrer des recours complexes et donner un poids important au juge constitutionnel pour invalider des lois qui ne respecteraient pas cette garantie. La preuve: Nicolas Hulot, tout écologiste sincère qu’il soit, avait proposé lors de la réforme constitutionnelle des formulations moins risquées juridiquement, plus confortables d’un point de vue légistique, du type “la France agit pour” ou “s’engage en faveur de”.
Bref, la raison parlementaire l’aurait emporté. Elle contraste avec l’audace citoyenne que nous devons reconnaître et qui nous place devant nos responsabilités: soit se limiter à la parole des juristes qui voudraient nous dissuader en mettant les risques en avant (comme les scientifiques le font dans la gestion de la Covid-19), soit assumer ce risque et prendre une décision politique forte et volontariste. C’est bien de cela qu’il s’agit: faire un choix qui ne sera ni confortable ni juridiquement simple, mais qui est à la hauteur des enjeux planétaires et de notre responsabilité historique en la matière. C’est ce que nous rappellent les citoyens de la Convention, qui se sont eux-mêmes affranchis d’une lecture trop juridique et trop prudente de la situation.
Mais l’innovation démocratique ne s’arrête pas là. Les élus dans leur action au quotidien tentent de plus en plus d’associer les citoyens; jusqu’à co-construire certaines politiques publiques avec eux. C’est le cas pour les maires qui associent les habitants lors de chaque projet d’urbanisme, mais aussi pour les députés qui associent des citoyens de leur circonscription lorsqu’ils écrivent ou votent des lois. Tout cela relève de la même logique: créer des “circuits courts” entre les citoyens et les décisions publiques ou les lois que l’on vote à Paris. La Convention citoyenne franchit un pas supplémentaire: si le texte qu’elle a proposé pour réformer la Constitution aboutit, cette logique de circuits courts aura été poussée à son paroxysme, allant jusqu’à amener la parole citoyenne au plus haut de la hiérarchie des normes, pour modifier la loi des lois.
Interroger nos modèles démocratiques
La Convention citoyenne, dans le fond de sa contribution comme dans sa forme, interroge donc nos modèles démocratiques. Il nous faut avoir la lucidité, en tant que parlementaire, de la considérer comme une interpellation citoyenne positive qui nous porte un regard sans fard qui nous fait collectivement avancer. Si la démocratie représentative allait bien, si nos modèles démocratiques n’avaient pas besoin d’être questionnés et repensés, si le fossé entre les élus et les citoyens n’était pas si grand, alors la Convention citoyenne pourrait être considérée comme une simple anecdote. Mais ce n’est pas le cas.
Se draper dans notre fierté parlementaire serait une erreur; ne pas voir que ces innovations démocratiques renforcent la démocratie plutôt que de l’affaiblir relève de l’aveuglement. À nous, parlementaires, d’accepter que tout ce qui donne plus d’écho aux voix citoyennes est salutaire.
N’ayons pas peur, n’oublions pas que personne ne contraint notre liberté parlementaire et que c’est au nom de cette liberté que l’on peut aussi accueillir ces voix citoyennes nouvelles pour ce qu’elles sont: une chance pour notre démocratie.
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