Et encore bravo l’artiste ! En décidant de dissoudre l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron, qui, en 2017, voulait faire en sorte que les électeurs du Rassemblement national (RN) « n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes », a ouvert un boulevard à une extrême droite désormais aux portes du pouvoir.

Ce n’est pas faute, pourtant, d’avoir tenté de singer son adversaire. Quitte à semer la confusion jusque dans sa propre famille politique, par exemple lorsque le 24 juin dernier, il avait qualifié le programme du Nouveau Front populaire (NFP) de « totalement immigrationniste ».

La surprise n’était toutefois pas totale tant, ces dernières années, il s’était rendu familier de tels emprunts, parlant en matière de lutte contre les violences de contrer un « processus de décivilisation », enjoignant ses ministres d’« éviter le grand effacement de la France », ou encore appelant par la relance de la natalité au « réarmement démographique », « pour que la France reste la France ». L’effet de sidération est d’autant plus fort qu’il était secondé dans cette voie par ses affidés, à l’instar d’un Gérald Darmanin s’inquiétant – en 2020, déjà – d’une « crise de l’autorité » et de « l’ensauvagement d’une partie de la société ».

Ces clins d’œil appuyés ne sont pas que des mots, comme l’ont révélé les nombreuses mesures du projet de loi immigration relevant d’une forme ou d’une autre de préférence nationale (exigences accrues pour l’accès aux prestations sociales des étrangers notamment), ou encore, récemment, le projet de limiter de façon dérogatoire le droit du sol à Mayotte. Mesure que les députés RN avaient proposée dès mars 2018.

Mais après tout, pourrait-on penser de façon cynique, n’est-il pas de bonne stratégie politique d’accommoder et (extrême) droitiser son discours pour arracher au Rassemblement national ses électeurs ? Eh bien en fait, c’est tout le contraire, selon plusieurs études parues à ce sujet.

Les politiques anti-immigration nourrissent la droite radicale

« Il existe une opinion largement répandue selon laquelle un parti dominant qui s’accommoderait des positions fondamentales de la droite radicale réduirait le succès de cette dernière », constatent les chercheurs Werner Krause, Denis Cohen et Tarik Abou-Chadi dans une étude publiée par Cambridge University Press en mars 2022. Mais « les preuves empiriques de cette affirmation restent cependant peu concluantes ».

A travers une étude comparative analysant plus de 350 stratégies de partis dominants dans 108 contextes électoraux entre 1976 et 2017, les chercheurs montrent ainsi que les rhétoriques anti-immigration adoptées par les partis mainstream « entraînent des gains significativement plus importants pour les partis de droite radicale ».

L’analyse des transferts de vote d’un parti dominant à un parti de droite radicale (et inversement), lors des durcissements de la position des partis traditionnels sur ces questions, révèle en effet qu’ils ne font pas perdre d’électeurs à la droite extrême.

« Au contraire, les électeurs sont en moyenne davantage susceptibles de passer à la droite radicale lorsque les partis dominants adoptent des positions anti-immigration. »

Inefficace, cette stratégie serait donc également contre-productive. Une étude de Christian Czymara et Antonia May, publiée plus récemment dans la revue scientifique Nations and Nationalism, va dans le même sens.

« L’opinion publique sur l’immigration est en corrélation avec la manière dont les élites politiques formulent et discutent des questions liées à l’immigration. Dans le même temps, les partis traditionnels peuvent avoir un effet catalyseur en s’adaptant aux questions de droite radicale et, par conséquent, accroître le soutien à ces partis », avançaient-ils.

En combinant plusieurs données, issues de l’International Social Survey Program (ISSP), de l’European Values ​​Study (EVS) et du Comparative Manifestos Project (CMP), le binôme a produit un ensemble de données comparatives longitudinales portant sur 127 000 individus, durant 26 ans et dans 26 pays, ainsi que sur les programmes des partis politiques.

Lorsque les élites politiques adoptent une rhétorique d’exclusion, les électeurs se tournent plus facilement vers les partis d’extrême droite

Les résultats montrent que lorsque les élites politiques adoptent une rhétorique d’exclusion (valorisation d’un « style de vie national », rejet du multiculturalisme), les électeurs se tournent plus facilement vers les partis d’extrême droite.

Dernier exemple en date de ce constat : les Pays-Bas, où la ministre de la Justice Dilan Yesilgöz, qui a succédé à Mark Rutte à la tête du parti libéral VVD, avait porté un programme politique de plus en plus dur sur l’immigration, prévoyant notamment de réduire le nombre de personnes se voyant octroyer l’asile, et de rendre son pays « moins attrayant » pour les étrangers.

Nommée tête de liste aux législatives du 22 novembre dernier, elle n’avait d’ailleurs pas exclu une alliance avec l’extrême droite. Résultat : une partie des électeurs de son parti, le VVD, ont donné leur voix au Parti pour la liberté (PVV), formation d’extrême droite menée par Geert Wilders, qui a remporté 37 des 150 sièges de la deuxième chambre du Parlement néerlandais.

L’effet boomerang de la légitimation

« Depuis quarante ans, les forces politiques de droite, du centre et aussi du centre gauche ont tenu des discours et fait passer des lois empruntées à la rhétorique, mais aussi aux préoccupations et revendications, de l’extrême droite », rappelle le politiste Philippe Marlière.

Il évoque notamment la loi Pasqua-Debré, qui mettait fin en 1993 à l’automaticité de l’obtention de la nationalité française d’enfants nés en France de parents étrangers. La gauche s’est également engagée sur ce terrain glissant avec la « déchéance de nationalité » défendue par François Hollande en 2016.

« Toutes les forces de gauche qui tentent, d’une manière ou d’une autre, de traiter des questions de migration ou de sécurité en jouant les durs subissent un effet boomerang », analyse Philippe Marlière.

C’est sous les mandats d’Emmanuel Macron que l’extrême droite a le plus fortement progressé

C’est néanmoins sous les mandats d’Emmanuel Macron que l’extrême droite a le plus fortement progressé, Marine Le Pen ayant élargi son socle électoral de 25 % en cinq ans, avec 2,5 millions de voix supplémentaires en 2022 par rapport à 2017.

Les errances du président de la République et « les concessions incroyables faites à l’extrême droite, notamment sur l’immigration », participent, selon Philippe Marlière, à « ancrer dans la tête des électeurs, pour la plupart désemparés et confus, que la préférence nationale n’est ni de gauche ni de droite, encore moins d’extrême droite, que c’est une mesure de bon sens ». « Bon sens » qui constitue d’ailleurs une énième reprise d’une des antiennes favorites des populistes par Emmanuel Macron.

Valorisation de l’autorité, discours pronataliste et anti-immigration : « Lorsque les partis dominants s’attaquent aux questions de la droite radicale, ils courent plutôt le risque de légitimer et de normaliser son discours et de la renforcer à long terme », met en avant l’étude de Krause, Cohen et Abou-Chadi.

Ce qu’avaient montré les résultats de la dernière élection européenne, qui avait vu le RN arriver largement en tête, et que confirme ce premier tour. Le tout « sans que l’extrême droite ait besoin de faire quoi que ce soit aujourd’hui, puisque les autres travaillent pour elle », constate Philippe Marlière. Car, comme avait l’habitude de le dire Jean-Marie LePen, « les gens préfèrent l’original à la copie ».

Une première version de cet article a été publiée le 1er mars 2024

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