“Je suis à la fois au Québec et dans l’État de New York, regardez si c’est beau!”, s’amuse ce retraité de 82 ans, un pied de chaque côté de la ligne noire qui matérialise au sol la frontière de la bâtisse bicentenaire où il vit depuis 70 ans. Dans son “dépôt-cueillette”, des dizaines de paquets attendent leurs propriétaires sur des étagères ajourées.
L’imposant bâtiment de trois niveaux, qui abrita un bar jusqu’en 1991, a deux adresses et donc deux entrées: l’une au sud, dans l’État de New York, où arrivent les colis livrés par Fedex ou UPS. L’autre au nord, à Dundee, bourgade québécoise de 421 âmes où les clients canadiens viennent récupérer leurs biens.
Le principe est simple: les colis sont livrés par la porte américaine, c’est Paul-Maurice Patenaude qui leur fait “passer la frontière”. Les clients canadiens les récupèrent côté Québec puis font un crochet par la douane du Canada, qui jouxte la maison, afin d’y payer les taxes.
En ne franchissant jamais la ligne noire, ils échappent à la quatorzaine imposée aux touristes en provenance des États-Unis depuis que la frontière terrestre a été fermée aux déplacements “non-essentiels” en mars 2020.
“On a presque triplé notre activité”
Ils évitent également les frais de livraison au Canada, parfois plus chers que les colis eux-mêmes. “Et puis certains produits ne sont pas livrés au Canada, faut une adresse américaine”, note l’octogénaire.
Sa petite entreprise, créée il y a une dizaine d’années sur les conseils d’un ami, comptait un millier de clients réguliers avant que n’éclate la pandémie.
“Depuis un an, j’ai eu 1800 clients en plus, on a presque triplé” notre activité, relève Paul-Maurice Patenaude, ancien maire de Dundee.
Le dépôt, enregistré aux États-Unis sous le nom de Half Way House Freight Forwarding (littéralement, maison à mi-chemin de transit de fret), est géré par ses trois enfants, dit-il: deux vivent aux Etats-Unis, le troisième au Québec. Le père habite les étages supérieurs et descend donner un coup de main cinq jours par semaine.
Question de vie ou de mort
La plupart des clients eux viennent du Québec et de la province voisine de l’Ontario.
Richard Lachance arrive de l’ouest de Montréal, à une heure de route. Il vient récupérer des chaussures de football américain commandées pour son fils et ses copains.“J’ai une boîte postale à Plattsburgh (nord de l’Etat de New York), mais avec le Covid, on ne peut pas traverser les frontières”, explique-t-il. En passant par la “maison à mi-chemin”, il estime avoir économisé environ 200 dollars américains (165 euros environ).
Paul-Maurice Patenaude, lui, facture ses services à des tarifs modiques: entre deux et 10 dollars canadiens (1,3 à 6,6 euros) le colis en moyenne. Cela varie en fonction de la taille, du poids “et surtout de mes humeurs”, lâche-t-il dans un grand sourire.
Mais l’afflux récent de nouveaux clients, loin de le réjouir, l’a un peu “déboussolé”, au point qu’il a “failli tout arrêter”. Avant de se raviser.
“Pour certains c’est quasiment une question de vie ou de mort, j’ai des personnes qui sont malades, qui ont besoin de médicaments, de produits qu’ils ne peuvent pas avoir au Canada”, dit-il. “Ce service-là donne satisfaction à des milliers de personnes, alors je me suis dit: peut-être qu’il va falloir que l’on continue un peu”.
Malgré tout, Paul-Maurice Patenaude rêve de voir la frontière rouvrir rapidement, pour retrouver un rythme plus tranquille, et aller plus souvent à la pêche avec son fils. “Si tu penses que je souhaite qu’elle reste fermée pour augmenter ma clientèle, jamais, jamais ! C’est le moindre de mes désirs”, jure-t-il.
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