POLITIQUE —Ce n’est plus un secret: la France manque de soignants. La première vague épidémique de Covid-19 a révélé un système hospitalier à bout de souffle que le Ségur de la santé devait soigner puis renforcer. Une des lignes de cet accord prévoit notamment le recrutement de 15.000 personnels supplémentaires pour soulager médecins et autres infirmières mobilisés depuis des mois.
De quoi préparer les hôpitaux à la deuxième vague qui s’abat sur la France? Pas tout à fait. Car malgré cette volonté d’embauche -qui tranche avec la logique d’austérité imposée depuis des années à l’hôpital public- les renforts ne sont pas encore visibles dans les couloirs des établissements de santé.
Pire, à certains endroits du territoire, les soignants, mobilisés dans la rue ce jeudi 15 octobre à l’appel de plusieurs organisations syndicales, se considèrent moins armés que lors de la première vague. “Par rapport au printemps, nous sommes moins nombreux, notamment au niveau du personnel paramédical”, raconte par exemple Nadia Aissat, médecin anesthésiste-réanimatrice à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière à l’AFP.
Les autorités battent le rappel
Autre signe de cet état de tension: de nombreux personnels testés positifs au coronavirus continueraient de travailler, selon plusieurs articles de la presse locale à Nice, Bourgoin-Jallieu, ou encore au Puy-en-Velay.
Face à cette situation inquiétante, le gouvernement promet donc de recruter et multiplie les appels à la mobilisation. “Nous avons besoin de renforts”, lançait Olivier Véran en septembre dernier sur LCI, enjoignant les “centaines de milliers d’infirmières diplômées qui n’exercent plus leur métier” en France à reprendre le chemin des hôpitaux et des Ehpad.
Les mots du ministère de la Santé étaient encore plus clairs dix jours plus tard, mercredi 7 octobre. “Médecins, infirmiers, pharmaciens, masseurs-kinés, diététiciens, aide-soignants, sages-femmes, psychologues, auxiliaires de vie, agents des services, agents d’entretien qualifiés, cuisiniers, salariés, libéraux, retraités, étudiants… Tous les volontaires, qu’ils soient salariés ou libéraux, étudiants et retraités, sont invités à s’inscrire dès à présent sur la plateforme Renfort-RH”, annonçait le ministère dans un communiqué intitulé “Les établissements et les services ont besoin de vous!”
Même démarche à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui a tweeté, lundi, un “Rejoignez-nous!” accompagné d’un formulaire de “mobilisation des renforts en personnel médical et paramédical”, “en prévision d’une forte augmentation des activités”.
Le gouvernement met en avant le temps de formation
Mais pour l’instant rien n’y fait, les renforts n’arrivent pas et le gouvernement ne nie pas les difficultés qu’il rencontre. Interrogé, mardi lors des questions au gouvernement, sur la fragilité du système hospitalier, Jean Castex a expliqué que l’une des principales raisons de ce déficit se trouvait dans le délai de formation des personnels.
“De grâce, ne faisons pas croire, alors que la deuxième vague est là, que l’on peut recruter des anesthésistes-réanimateurs et les former en trois mois. Pas plus qu’une infirmière”, faisait valoir le chef du gouvernement, en réponse au député Les Républicains Jean-Luc Reitzer, de retour à l’Assemblée nationale après une longue hospitalisation liée au covid-19.
Reste que, comme l’expliquait Olivier Véran, nombreux sont les personnels déjà diplômés à ne plus exercer leur métier. Certains avaient déjà quitté l’hôpital public avant la crise épidémique quand d’autres en sont partis après le chaos du printemps dernier.
“Il y a eu une vague de démissions monstrueuses, notamment chez les infirmières”, raconte Nadia Aissat, toujours à l’AFP, ajoutant: “il y a un vrai ras-le-bol, les gens n’ont pas l’impression d’être entendus, ils n’ont pas l’impression d’être soutenus.”
Une crise de vocation?
Et les raisons de cette crise de vocation sont aussi anciennes que nombreuses: la trop lourde charge de travail, les conditions de plus en plus délétères, le niveau des salaires, le manque de reconnaissance…
Ce que le ministre de la Santé appelle “l’attractivité du métier.” “Le Ségur de la Santé c’est une augmentation de l’attractivité, une augmentation de la reconnaissance sociale et financière”, expliquait-il le 27 septembre sur LCI. De fait, le gouvernement a prévu une hausse de salaire de 183 euros net pour l’ensemble des personnels hospitaliers paramédicaux (infirmiers, aide-soignants) et non médicaux (agents techniques et administratifs), sur plusieurs mois.
Insuffisant pour le personnel soignant, dont certains font remarquer que cette hausse comble à peine l’écart qui séparait le salaire des infirmières françaises avec la moyenne de celui des autres pays de l’OCDE.
D’autant que la question financière n’est pas la seule revendication. “Le Ségur a été un échec total du point de vue de l’attractivité des métiers. Augmenter les salaires, ça ne résout pas tout. Les discussions autour des conditions de travail, très dégradées, sont restées sans suite”, regrettait le Dr Olivier Milleron, cardiologue à Bichat à Libération au début du mois d’octobre.
En attendant, les témoignages de soignants désabusés se multiplient notamment sur les pages Facebook du collectif inter’urgence. Et cette vague ne semble pas prête, elle non plus, à perdre en vigueur. Une des deux ailes du service d’hospitalisation en chirurgie cardiaque de la Pitié-Salpêtrière, représentant 25 lits, est fermée par manque de personnel. Un problème qui touche aussi la cardiologie, l’orthopédie, la neurologie.
Au Groupe Hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon, dans l’est de Paris, ce sont quatre lits de réanimation sur treize qui doivent rester fermés, pour les mêmes raisons.
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