Cette mission a été confiée à François Braun, président de Samu-Urgences de France et chef de pôle au CHR de Metz-Thionville, présenté comme “proche” du président de la République. Ses résultats doivent être présentés début juillet.
Mais en attendant, du côté des soignants qui travaillent aux urgences, cette “mission flash” est loin d’inspirer de l’espoir. Au contraire. Le HuffPost a interrogé infirmiers et aide-soignants sur ce qu’ils attendent d’elle et la réponse est unanime: rien, si ce n’est une nouvelle déception.
Une “mission flash” “caricaturale”, juste pendant la campagne des législatives
“On a zéro espoir avec cette mission flash, confie au HuffPost Jeremy, aide-soignant aux urgences de l’hôpital d’Arles. Et puis, pourquoi décident-ils de la faire maintenant? Cela fait trois ans qu’on alerte sur la situation”, se demande-t-il.
À cette question, Maxime*, infirmier urgentiste, membre du Collectif Inter Urgences – qui se décrit comme “la première association professionnelle d’ampleur pour l’exercice paramédical aux urgences”, pense avoir une piste: il s’agirait d’une manœuvre politique en pleine campagne des législatives. “Pour moi c’est plus une mission électorale qu’une mission au service de la santé”, nous explique-t-il.
Et l’infirmier ne mâche pas ses mots sur cette nouvelle annonce du gouvernement: “On n’attend rien de la mission flash tellement c’est caricatural. Ça arrive juste pendant la campagne, alors qu’il y a eu tellement de rapports sur la situation, on a déjà dit tellement de fois ce qui n’allait pas et on a déjà tellement alerté… Alors aujourd’hui cette initiative a plutôt tendance à ajouter à l’écœurement et à la lassitude”, regrette-t-il.
Même son de cloche pour Fabien Paris, infirmier et membre du Collectif Inter Urgences. Selon lui, la mission annoncée par Macron ne sera qu’un “énième rapport qui nous dira la même chose que ce que l’on sait déjà”. Il redoute que cette initiative ne serve qu’à refaire un bilan des difficultés qu’affronte l’hôpital public, sans le faire suivre des mesures qui s’imposent.
L’hôpital pris dans la “spirale des départs”
“Territoire par territoire”, cette mission doit expliquer “où sont les manques, pouvoir les chiffrer” et donner de premières pistes pour répondre à ce problème, a détaillé le chef de l’État. Sur cette base, a expliqué le président, des décisions seront prises “pour permettre de mobiliser davantage de médecins, retrouver de l’attractivité dans certains secteurs (…). Ceci à partir de la fin de l’été sera décliné dans chaque territoire”.
Ces déclarations du gouvernement n’ont fait qu’ulcérer les soignants. Car les manques que le gouvernement cherche à identifier, eux, n’ont eu de cesse de les pointer et d’alerter dessus depuis trois ans. En premier plan: le manque de personnels.
Cette fuite massive oblige les hôpitaux à fermer des lits, à tel point que de nombreux services d’urgence ont dû fermer partiellement faute de personnel. Pour Nicolas, aide-soignant aux urgences de Tenon à Paris, “on est désormais dans une spirale de départs. Une spirale qui ne va pas pouvoir être enrayée avec une simple mission faite en un mois”.
Trop de charge mentale, physique, la pénibilité, pas de possibilité de roulement parce que pas assez d’effectifs… Les soignants sont dégoûtés de leurs conditions de travail. “En moyenne ils restent cinq ans dans l’hôpital public. Seulement cinq ans alors qu’ils ont fait trois ans d’études pour ça!”, se scandalise Nicolas. Pour lui, “la coupe est pleine” et “un nouveau rapport n’y changera rien”.
Comme beaucoup de ses collègues, Maxime est aussi à bout. “Ceux qui partent, je vais finir par croire qu’ils ont raison, au moins ils prennent soin d’eux. Je me dis, il vaut mieux quitter le navire avant le naufrage plutôt qu’à la fin. Je me demande à quel stade du naufrage en est-on, est-ce que je peux encore rester? Notez qu’il y a trois ans jamais je n’aurais pensé ça”.
Rendre l’hôpital attractif
Nos interlocuteurs, désespérés par le manque de réaction du gouvernement, regrettent que leurs métiers soient aujourd’hui si peu attractifs, leurs conditions de travail étant devenues insupportables.
“Ce qu’il faut à tout prix, c’est redonner de l’attractivité à l’hôpital public, car aujourd’hui les soignants cherchent tous une porte de sortie”, note Jeremy.
Pour Fabien Paris, c’est “toujours le même problème”: comment recruter dans ces métiers en sachant que les conditions de travail ne sont pas attractives, voire dissuasives. Et surtout, quand les soignants déjà en poste fuient.
“Tant qu’il n’y aura pas d’efforts de fait sur les conditions de travail, on n’y arrivera pas. Et on ne parle pas que des rémunérations. Il faut améliorer le rythme de travail, l’accès aux formations, avoir des effectifs convenables pour pouvoir prendre des repos et des congés”.
Les “mesurettes” de Bourguignon, un “mauvais signal”
Ces efforts tant attendus, les soignants espéraient les voir dans la série de nouvelles mesures annoncées le 8 juin par la ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon. Heures sup’ payées double, élèves infirmiers “immédiatement” employables, retour des soignants retraités “volontaires pour reprendre une activité”… Autant d’idées qui n’ont fait qu’accentuer la grogne des soignants.
“Si l’espoir de l’hôpital consiste au retour des retraités, des heures supplémentaires pour les agents hospitaliers qui sont déjà au bout du rouleau, et faire travailler les étudiants sans diplôme, clairement c’est que l’exécutif ne prévoit pas grand-chose pour l’hôpital public et c’est plutôt un mauvais signal qui est envoyé”, regrette Fabien Paris.
“Des mesurettes déjà dégainées pendant la crise Covid” et “pas viable à long terme. Ni même à très court terme à cause de l’accumulation de fatigue mentale et physique”, dénonce Maxime du Collectif Inter Urgences. “Ce qu’ils proposent ne permettra jamais de remplacer tous ceux qui manquent”, assure-t-il.
Et de conclure, amer: “On a un déni de la réalité parce que nos instances ont les pétoches. Ils n’ont pas la volonté de prendre le taureau par les cornes, faire un véritable plan Marshall et d’embaucher et dépenser beaucoup”.
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