Ce lundi 7 décembre, Netflix met en ligne une série documentaire en 4 épisodes intitulée “Chambre 2806: l’affaire DSK”. Réalisée par Jalil Lespert, elle retrace “les affaires DSK”, du FMI au Carlton de Lille en passant par le Sofitel de New York avec une richesse de témoignages. Et parmi ces près de 4 heures d’images, une scène a particulièrement retenu notre attention.
Cette séquence, qui apparaît en ouverture du 3e épisode de la série, est une archive télé de Tristane Banon, invitée sur le plateau de l’émission “93 Faubourg Saint-Honoré” de Thierry Ardisson en 2007. Nous sommes 4 ans avant la bombe médiatique qu’est l’affaire du Sofitel. La journaliste et autrice, alors âgée de 28 ans, raconte avoir été agressée sexuellement par Dominique Strauss-Kahn devant des invités amusés.
“À l’époque, elle fait partie de ces filles qui font un peu de presse, un peu de télé, mais ce n’est pas quelqu’un d’une extrême notoriété. Elle a fait un bouquin sur les plus grosses erreurs des hommes politiques”, se souvient Thierry Ardisson dans le documentaire, et c’est dans ce cadre que Tristane Banon est son invitée.
“Tu es arrivée en col roulé et tu repars en string”
Au cours du repas filmé, la jeune femme revient sur son entrevue avec Dominique Strauss-Kahn, rencontré pour l’écriture de son livre, dans un appartement parisien complètement vide. “Il a dégrafé mon soutien-gorge, il a essayé d’ouvrir mon jean (…) Ça s’est fini très très violemment, on a fini par se battre”, raconte-t-elle, le sourire figé. “Quand on se battait, je lui avais dit le mot ‘viol’ pour lui faire peur, mais ça ne lui a pas fait peur plus que ça.”
“Ah j’adore. Tu es arrivé en col roulé, et tu repars en string”, lance Thierry Ardisson hilare. 13 ans plus tard, l’animateur explique: “Quand je dis ‘j’adore’, c’est parce que je sens que c’est sulfureux, ça va faire du buzz. Je ne dis pas ‘j’adore le viol’. Mais je n’étais pas ultra choqué parce que des hommes politiques qui sautent sur des jeunes filles ou des jeunes femmes, il y en avait beaucoup et il y en a encore. Le libertinage, les soupers fins du 18e siècle, ça fait partie de la culture.”
Devant eux, les regards des invités sont pour certains amusés, pour d’autres, consternés. “Autour de la table, le ton est à la rigolade, alors qu’on a quelqu’un qui raconte une affaire de violence sexuelle”, analyse le producteur Philippe Levasseur pour Le HuffPost. “On n’a pas pu tout raconter des coulisses de cette émission, mais à un moment l’un des invités se lève et dit ‘je ne peux pas cautionner ça’ avant de revenir à table”.
En 2007, Thierry Ardisson décide de biper le nom de Dominique Strauss-Kahn lors de la diffusion de l’émission, et ce témoignage choc de Tristane Banon passe peu ou prou inaperçu dans les médias.
Un extrait (non intégral) de l’émission “93 Faubourg Saint-Honoré” avec Tristane Banon, diffusée en 2007 sur Paris Première, est à voir ci-dessous:
“La culture du viol est l’environnement social qui permet de normaliser et de justifier la violence sexuelle, alimentée par les inégalités persistantes entre les sexes et les attitudes à leur égard”, définit le site de l’ONU Femmes. “Il s’agit de penser la violence sexuelle en termes culturels et non individuels (…) comme une pratique inscrite dans la norme qui la rend possible en la tolérant voire en l’encourageant”, explique aussi le sociologue Éric Fassin. “Le viol apparaît ainsi comme un comportement extrême dans un continuum qui commence avec les comportements ordinaires, jugés normaux.”
Et cette scène en est l’exemple parfait parce qu’une bonne partie des invités, et de la presse de l’époque, semble trouver “normal” ou “culturel” qu’un homme puissant se comporte de la sorte avec une femme. “Thierry Ardisson est très franc et très à l’aise pour dire qu’à l’époque, ça fait partie des attributs du pouvoir d’être un séducteur, un dragueur, voire plus”, avance le producteur.
Et même lorsqu’il revoit cette scène en 2020, Thierry Ardisson justifie encore que “le libertinage, les soupers fins du 18e siècle, ça fait partie de la culture”.
À la table, un seul des invités interroge Tristane Banon: “Mais tu as porté plainte, tu as fait quelque chose?”. Et la jeune femme de répondre: “Je suis allée très loin, j’ai constitué le dossier (…) et je n’ai pas osé aller jusqu’au bout.”
“On est bien avant #MeToo”
“Quand je souris comme ça de façon presque idiote et que je fais la gentille blonde, c’est qu’en général je suis très mal à l’aise”, analyse aujourd’hui Tristane Banon en revoyant ces images. “Là on est bien avant MeToo, donc c’est encore hyper drôle. Et il y a encore plein de mecs qui trouvent ça drôle, parce que personne ne leur a expliqué que ce n’était pas drôle.”
Et c’est là tout l’intérêt de ce documentaire “Chambre 2086: l’affaire DSK”, qui, neuf ans après l’onde de choc de l’affaire du Carlton dans laquelle DSK a toujours plaidé non coupable, apporte une nouvelle perspective. La sidération qui nous prend après avoir revisionné cette scène montre à quel point la prise en compte de la parole des femmes a fait un pas en avant.
“Le témoignage de Tristane Banon à l’époque et l’ambiance autour de cette table, tout cela paraît surréaliste alors que c’est il n’y a pas si longtemps que ça”, détaille le producteur et directeur de l’agence Capa. “Cette scène éclaire énormément sur les rapports hommes-femmes, les rapports de pouvoir et d’instrumentalisation de la chose sexuelle.”
S’intéresser au “cas DSK” dans une ère post-MeToo montre à quel point “le monde a changé” depuis, assure-t-il. “Les manifestations des femmes de chambre et de mouvements féministes à New York, l’intervention des Femen lors du procès du Carlton de Lille… Cette affaire est bien plus qu’un fait divers, c’est aussi une histoire de la libération de la parole des femmes”.
Alors qu’éclataient les révélations de Nafissatou Diallo au Sofitel, les accusations de Tristane Banon avaient refait surface. Au début du mois de juillet 2011, la romancière et journaliste avait porté plainte pour tentative de viol contre Dominique Strauss-Kahn pour des faits remontant à février 2003. Une plainte classée sans suite, car les faits étaient prescrits.
À voir également sur Le HuffPost: La bande-annonce du documentaire “Chambre 2806: l’affaire DSK” sur Netflix