Fière de parler de son hobby, elle a pris soin de se maquiller avec attention pour la séance photo. Sa main gauche nourrit un Tamagotchi, sa main droite en caresse un autre. Un troisième est accroché à son poignet sous forme de montre et un quatrième traîne dans les parages.
Comme quelqu’un qui serait accro à son smartphone et consulterait ses notifications toutes les demi-heures tout en suivant le fil d’une conversation orale, Alicia, regarde ses « Tama » quand elle parle.
« Le matin je les réveille, s’ils ont fait caca je les nettoie, je regarde s’ils ont faim, je leur fais prendre un bain, et après je nettoie leurs maisons ou je joue avec eux. Avec les quatre allumés, ça me prend une demi-heure tout en mangeant mon petit-déjeuner. »
Dès qu’elle a un moment, Alicia vérifie si ses animaux de compagnie numériques ont besoin de quelque chose. Parfois, il peut s’agir de sa pause déjeuner – ses collègues se sont habitué à cette passion peu commune : « Je les ai toujours sur la table, je peux regarder mon Tamagotchi tout en racontant mon histoire. Mes collègues savent bien que ça fait partie de moi et de ma façon de fonctionner. »
Les animaux virtuels d’Alicia sont en fait ses arrière-arrière-petits-enfants. Pour elle, l’objectif n’est pas seulement de maintenir son Tamagotchi vivant : dès l’âge adulte, il doit se marier et avoir un enfant. Au bout d’un moment, il meurt et son enfant devient à son tour adulte puis parent. Son record personnel atteint 65 générations. Elle sort le tournevis et insère des piles dans un de ses Tamagotchi, qu’on pourrait presque qualifier d’ancêtre, en guise de bonne foi.
Comme pour son élevage, Alicia aime prendre les choses en main et a un programme bien précis pour cette interview. Elle s’empresse de monter à l’étage pour me montrer ses 23 autres boîtiers, ceux qui ne sont pas allumés. C’est un festival de gadgets roses, jaunes, bleus sur fond de cliquetis de petites chaînes décoratives suspendues à certains d’entre eux.
« Il a tellement servi que j’ai réussi à griller la carte mémoire ! » – Alicia
Elle détaille les spécificités de telle ou telle version. À l’intérieur de chaque boîtier, des dizaines de générations d’animaux virtuels sommeillent. Quand l’envie lui prend d’agrandir son élevage, elle en rallume un et retrouve la lignée qu’elle avait commencée.
Comment devient-on éleveuse de Tamagotchi ? Sa passion commence à sept ans. Nous sommes en 2004 : K-Maro cherche une Femme Like U, Jethro Gibbs dans NCIS construit son bateau dans sa cave et les Tamagotchi envahissent les collèges de France et de Belgique. Mais la mère d’Alicia aimerait qu’elle joue dans le jardin au lieu de passer son temps derrière un écran.
L’enfant stratège trouve une alliée : sa grand-mère finit par lui offrir son premier Tamagotchi pour son anniversaire. Quinze jours plus tard, 25 générations de Tamagotchi se sont succédé dans ce boîtier rose. Puis, un drame. « Il a tellement servi que j’ai réussi à griller la carte mémoire ! Je ne pouvais rien faire, j’ai même essayé de l’ouvrir pour le dépoussiérer mais ça n’a servi à rien. » Sa grand-mère lui en offre un nouveau. Ensuite, sa mère la prévient : « Celui-là, c’est le dernier ! » Pas vraiment. C’est ce deuxième Tamagotchi qui fait basculer Alicia, puisqu’elle peut les faire se reproduire entre eux. C’est le début d’un petit empire.
Alicia a intensifié le rythme ces trois dernières années et a fini par construire un véritable système d’élevage. Elle imprime puis colle méticuleusement les arbres généalogiques que chaque version propose dans un carnet. Elle tourne les pages et le champ des possibles que lui offre le jeu japonais l’hypnotise. Quitte à jouer aux apprentis sorciers : « J’essaye de faire des mélanges insolites, mais il m’est aussi arrivé d’essayer d’avoir le même perso que son père ou sa mère. Impossible d’avoir exactement le même. » Filoute, elle a réussi à récupérer tous les cheat codes qui lui permettent de débloquer des objets.
Elle partage sa passion à distance avec 300 membres d’un groupe Facebook français. On y retrouve des joueurs, des collectionneurs, et des éleveurs comme Alicia. Elle suit aussi des confrères espagnols et anglais sur Instagram. Leurs Tama jouent ensemble grâce à un échange de QR codes et gagnent ainsi des points de bonheur.
« Elle joue toute la journée dessus, peu importe où on va. C’est du non-stop » – Jean-Michel
Alicia est une éleveuse exigeante et rigoureuse. « Si on a deux générations et qu’il meurt, on n’est pas un bon éleveur. Si on arrive à 20, c’est bien ». Les Anglais laissent souvent leurs animaux virtuels dépasser l’âge de 12 ans sans avoir encore fait d’enfant. Et ça, pour Alicia, c’est pas terrible. Elle, dès six ans, elle les marie.
Pour la suite du programme, Alicia fonce vers sa terrasse pour présenter la spécificité de la version Pix, dernière création de la marque Bandai. Direction le jardin, où elle prend des photos de ses fleurs avec son Tamagotchi. Le principe est le même que Pokemon Go : elle peut débloquer des personnages en réalité augmentée. Comme quoi, Alicia finit bien par jouer dans le jardin comme le voulait sa mère, qui a accepté sa passion, même si elle a toujours autant de mal à la comprendre.
La jeune femme vit avec Jean-Michel, 31 ans, qui a du mal à cohabiter avec tous ces œufs numérique : « C’est plus qu’une passion, c’est même une obsession. Elle joue toute la journée dessus, peu importe où on va. C’est du non-stop », confie-t-il. Le compagnon d’Alexia lui a demandé de couper « au moins durant les repas et la nuit » pour préserver leur relation. Il y a encore quelques mois, il lui arrivait d’être réveillé la nuit par des Tamagotchi en manque d’attention.
Mais Alicia ne désespère pas à l’idée de le rendre aussi accro et lui met régulièrement entre les mains un de ses précieux œufs. Jean-Michel se considère trop âgé pour ce jeu « trop enfantin ». Cet après-midi, il préfère allumer sa PS4 pour jouer un match de football épique sur FIFA parce que « c’est moins répétitif ». À chacun son passe-temps finalement.
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