Adam Shatz, rédacteur en chef de la London Review of Books pour l’édition des Etats-Unis, a récemment publié en français une biographie de Frantz Fanon sous titrée : “Une vie en révolutions”. JulienThéry l’a reçu dans cet épisode de La grande H. pour une discussion autour du parcours, de la pensée et de l’actualité brûlante de ce penseur toujours aussi important pour les mouvements antiracistes et anticoloniaux.
Frantz Fanon, médecin psychiatre martiniquais, a traversé l’histoire comme une étoile filante. Il est mort très jeune, à 36 ans, non sans avoir publié deux livres, Peaux noires, masques blancs, et surtout Les damnés de la terre, qui ont été des références pour les mouvements anti-coloniaux et anti-racistes du XXe siècle, des Black Panthers aux révolutionnaires d’Amérique du sud en passant par les combattants palestiniens. La pensée de Fanon demeure aujourd’hui fondamentale aussi bien pour le combat décolonial dans les pays du nord que pour la résistance à la colonisation sioniste et ses crimes en Palestine.
Mais Fanon fut un homme d’action autant qu’un théoricien. Après s’être engagé dans les forces françaises libres à 18 ans (il fut blessé dans les combats pour la Libération), et alors qu’il exerçait la médecine à Blida-Joinville, près d’Alger, Fanon a rejoint le FLN (Front de libération nationale) algérien dès le déclenchement de la guerre d’Algérie en 1954. Dans les années précédentes, en exerçant comme psychiatre en France, en particulier auprès des populations de “FMA”, “Français musulmans d’Algérie”, il avait compris les effets psychiques dévastateurs de l’aliénation des indigènes. La lutte aux côté du FLN le conduisit notamment au Mali, d’où il tenta d’ouvrir un front au sud de l’Algérie, et aux côtés de Lumumba au Congo. Les services secrets français essayèrent de l’assassiner, à Rome en 1959. Une leucémie l’emporta dès 1961, avant même l’indépendance de l’Algérie, au moment où était publié Les damnés de la terre, avec une célèbre préface de Jean-Paul Sartre. Son oeuvre dérange encore autant qu’elle est précieuse pour la pensée de l’émancipation, car elle valorise la contre-violence des opprimés non seulement comme moyen de défense, mais aussi, plus profondément, comme restauratrice de la dignité.