Sabrina, Isabelle, Delphine, Sylvie, Annie, Assia, Hayat, Laetitia, Hani, Salimata, Céleste, Fatima, Géraldine, Corinne, Marie-Laure et tant d’autres… Debout les femmes!, en salles ce mercredi 13 octobre, offre une tribune efficace et gouailleuse à ces invisibles, oubliées de la crise, qui avaient pourtant traversé l’année du Covid-19 en deuxième ligne et sans broncher, des salaires misérables à la fin du mois et des cernes sous les yeux.
De l’invisible au visible
Elles sont cachées dans l’intimité d’une famille en souffrance ou derrière les murs démodés de l’habitat d’une personne âgée. On entend à peine leurs pas feutrés, à l’aube, dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Alors qu’il occupe une grande partie du champ avec le député LREM Bruno Bonnell, son acolyte dans l’aventure, François Ruffin, après avoir échoué à faire voter son texte sur la revalorisation des métiers du lien, décide de laisser le pouvoir aux femmes pour finir cette heure et demie de road movie parlementaire.
Progressivement au fil du film, la parole se libère, le verbe se fait plus haut et les visages se dégagent. D’invisibles et discrètes, les travailleuses de Debout les femmes! deviennent les actrices de leur propre cause. Devant les quatre colonnes, elles parlent aux médias. À l’intérieur de l’Assemblée, elles font résonner leurs histoires. “Au début, c’est moi qui prend la parole. Et au fur et à mesure du film, c’est elles”, explique François Ruffin au HuffPost. “On va de femmes pauvres racontées au début par des hommes riches à une fin où elles deviennent elles-mêmes députées.”
C’est ainsi que dans les dix dernières minutes, lors d’une reconstitution de l’Assemblée nationale tournée dans l’hémicycle du Conseil économique, social et environnemental au palais d’Iéna, aides à domicile, femmes de ménage et auxiliaires de vie prennent la place des députés. François Ruffin et Bruno Bonnell ont le rôle des huissiers et deviennent les invisibles à leur place. En queue de pie, nœud papillon et chaîne au plastron, selon l’usage, ils vont de rang en rang et passent le micro.
Dernière scène triomphale
À la tribune, les histoires vraies de femmes et les applaudissements d’encouragement et de soutien se succèdent. Le décompte des heures, les réveils à l’aurore pour faire parfois près de trois heures de transports. Les maladies, la peur, le sentiment d’inexistence dans la société. Et par-dessus tout, les bas salaires. À peine 700 euros et 21 heures par semaine en CDI pour certaines. Avec des allers-retours et des trajets absurdes entre deux patients, pour réussir à boucler la fin du mois.
“Comment avoir des projets personnels, s’investir dans notre vie, avec ce salaire-là?”, interroge Sandy Tavernier, députée fictive de la Somme dans cette scène. Une de ses collègues peine à retenir ses larmes lorsqu’elle évoque la vente de sa maison. “Je n’ai pas le choix”, pleure-t-elle. Animatrice auxiliaire, en CDD renouvelé tous les deux mois, ancienne vacataire pendant dix ans, une autre raconte qu’à 29 ans et en couple depuis 13 ans, elle n’imagine pas fonder une famille tant les moyens lui manquent. Malgré sa sclérose en plaque, tous les jours elle se rend à son travail avec énergie “parce que j’aime mon métier, j’aime les enfants, j’aime les parents, j’aime tout ce que je fais”.
Après ces démonstrations éloquentes de son courage et des difficultés quotidiennes qu’elle traverse, cette assemblée de femmes dignes entonne, puissante, l’hymne féministe. Après avoir filmé l’inertie parlementaire et la déshumanisation des bureaux de l’Assemblée, François Ruffin choisit d’y remettre de la chair, du lien et des vibrations. Cette dernière scène, aucune des femmes du documentaire “a refusé de la faire”, nous a confié le député insoumis. Elle leur a même donné le titre du film. Initialement intitulé Les premières de cordée contre attaquent, le road movie devient Debout les femmes!, après une première projection avec l’équipe du film. À son issue, les premières concernées ont opté pour le titre de l’hymne du MLF. “Pour ces femmes, c’est un film de fierté. C’est aussi un film féministe de classe”, conclut François Ruffin.
Lutte des classes
D’après François Ruffin, c’est précisément parce qu’ils sont dits “féminins” que ces métiers sont dévalorisés. Ils sont pourtant pratiqués par près de trois millions de personnes en France et leur rôle est indispensable à l’équilibre de la base de la société. Avec le vieillissement de la population, un métier comme celui d’aide à domicile risque d’être de plus en plus important et devenir un véritable pilier dans l’économie de service.
Aujourd’hui, elles touchent en moyenne 682 euros par mois, a évalué un rapport de l’économiste Christine Erhel et de la DRH Sophie Moreau-Follenfant, commandé par le gouvernement en novembre 2020. Dans ce secteur, on compte plus d’accidents du travail que dans le BTP. Une femme qui conduit ou court toute la journée dans les transports, qui s’occupe de plusieurs personnes âgées par jour, les soulève lors de leur toilette intime, les transportent à la main d’une chaise à l’autre, règle le matériel médical, et ce, sans faire attention à elle parce que le repas de ses enfants en dépend…On imagine aisément qu’une blessure à la cheville, un mal de dos chronique ou une hernie discale arrive facilement.
Si la condition de ces femmes et de leur métier est de plus en plus médiatisée et que le film de François Ruffin et Gilles Perret leur donne un coup de projecteur, la marche est encore longue. Certes, les femmes de ménage de l’Assemblée nationale ont obtenu leur 13ème mois cet été, mais les autres du pays restent en attente. La loi Grand âge et autonomie qui pourrait apporter une revalorisation salariale des aides à domicile et gommer les inégalités territoriales n’a toujours pas été présentée après avoir été de nombreuses fois repoussée. Et il y a peu de chance qu’elle le soit avant la fin du quinquennat.
Quant à l’avenant 43, négocié entre partenaires sociaux et la ministre déléguée chargée de l’autonomie et publié au journal officiel en juillet 2021, il ne règle pas le problème du temps partiel subi par le secteur du service à la personne. Il a également laissé l’attribution des primes Covid aux départements. Le personnel du Jura et de la Loire n’ont ainsi à ce jour jamais rien reçu. Quant au salaire des aides à domicile à temps plein, il a été revalorisé de…16 euros brut par mois.
Retrouvez ici la bande-annonce du film “Debout les femmes!”
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