POLITIQUE – C’est comme s’il apparaissait derrière la fumée blanche. Jean-Luc Mélenchon est sans conteste le grand gagnant de la nouvelle alliance des formations de gauche. Le troisième homme de l’élection présidentielle, défait, faut-il le rappeler au soir du premier tour, a réussi le pari improbable de réunir toutes les composantes de son camp derrière lui, sous la même bannière.
Un accord impossible pendant des années, finalement noué en quelques jours pour les élections législatives. Symbole de ce tour de force, le Parti socialiste a fait valider cette alliance historique à son parlement interne ce jeudi soir pour définitivement entériner la création de la NUPES, la nouvelle union populaire écologique et sociale.
Un principe clair: un seul candidat par circonscription pour maximiser les chances de victoire et porter le leader des Insoumis à Matignon, sur la base d’un programme validé par tous. Bien sûr, cette nouvelle entente -plébiscitée par les électeurs- ne dit rien de son épilogue. Quant à la probabilité de voir la gauche imposer une cohabitation à Emmanuel Macron -donc rafler la majorité des sièges de député- elle reste faible. Il n’empêche, Jean-Luc Mélenchon peut déjà savourer plusieurs victoires.
La gauche, c’est lui
La première est sans doute idéologique. Les accords publiés par Europe-Ecologie les Verts, le Parti communiste et le Parti socialiste, avec qui LFI a mené des discussions bilatérales, le montrent clairement: la gauche, c’est désormais lui. Et l’Avenir en commun (le programme qu’il porte depuis 2017).
Outre les petites concessions accordées aux uns sur la défense formelle d’une “République laïque et universaliste” ou aux autres sur l’appartenance à l’Union européenne, les différents textes reprennent l’essentiel des marqueurs et des propositions des Insoumis. La résultante du choix des citoyens dans les urnes, expliquent les parties prenantes après de rudes séances de négociations avec Manuel Bompard, entre autres, l’ancien directeur de campagne du tribun de 70 ans.
Dans le détail, la gauche unie va désormais porter le smic à 1400 euros, la nécessité de basculer les institutions vers la VIe République, la création d’une allocation pour les jeunes ou le blocage de certains prix. Sans oublier le détricotage d’une partie de la politique menée par les socialistes quand ils étaient au pouvoir. Le tout, avec la possibilité de désobéir aux règles européennes comme clef de voûte du programme. Un coût difficile pour certains partenaires, en particulier ceux qui affichent l’Europe jusque dans le nom de leur parti.
Le PS réduit au minimum
Signe supplémentaire de cette position de force, personne ne remet en question le fait que l’Insoumis s’installera à Matignon en cas de victoire en juin. Tous s’engagent à soutenir celui qu’Anne Hidalgo qualifiait “d’agent” de Vladimir Poutine il y a moins de deux mois dans cette quête (très) difficile.
En réalité, avec cet accord, Jean-Luc Mélenchon met ses partenaires loin derrière. Au pas, diraient les plus réfractaires… avec une mention spéciale pour les socialistes. Gourmande, la France insoumise s’octroie deux tiers des circonscriptions (un peu plus de 300 sur 577) et en laisse 100 aux écolos, 70 aux socialistes, 50, aux communistes. De fait, une immense majorité de Français ne pourront pas voter pour un candidat estampillé “PS” les 12 et 19 juin prochains.
Un tournant dans l’histoire du parti à la rose et au poing, en forme d’aboutissement inavouable pour le patron des Insoumis, lui qui a quitté le Parti socialiste en 2008 pour construire une gauche de rupture. Avant de férocement s’opposer à lui. “C’est enfin la victoire de Jean-Luc Mélenchon au congrès du PS ”, résume David Cormand, l’eurodéputé et ancien patron d’EELV ce jeudi dans L’Opinion. Pour lui, toute cette séquence ouvre “un nouveau cycle d’hégémonie” à gauche “mais sur une base plus compatible avec l’écologie”.
Si les écolos disent l’accepter – “ce n’est pas notre guerre”, souligne David Cormand – les choses sont en revanche beaucoup plus difficiles au sein du parti fondé par François Mitterrand. François Hollande, Bernard Cazeneuve et d’autres figures s’inquiètent publiquement et bruyamment de la disparition de leur famille politique et de ses combats. Au point de menacer le PS d’explosion.
Mettre la lumière sur la gauche
Une saga haletante qui aura eu un autre mérite: celui d’attirer la lumière sur la gauche, ses enjeux et ses propositions. Ce qui n’était pas franchement gagné après une campagne présidentielle d’abord contrainte par la crise sanitaire puis phagocytée par les thématiques identitaires et enfin éclipsée par la guerre en Ukraine.
De quoi entretenir la flamme des électeurs mélenchonistes? Et raviver celle des partisans déçus d’une union qui ne s’est pas fait plus tôt? C’est l’un des enjeux principaux des semaines à venir tant une partie de son potentiel électorat (celui de la France insoumise en particulier) est porté par des personnes éloignées des urnes. Premiers indicateurs intéressants, pour la NUPES: Autant de Français pensent que la gauche unie peut remporter les législatives (23%) que la majorité présidentielle (21%), selon une enquête Elabe publiée le 4 mai. Et dans ce contexte, Jean-Luc Mélenchon est considéré, toujours selon le sondeur, comme le premier opposant à Emmanuel Macron.
C’était déjà le cas en 2017. Ensuite… La dégringolade. “La pierre qui tombe en bas du ravin”, selon le mythe de Sisyphe que le tribun invoquait le 10 avril dernier au soir du premier tour. “Alors on la remonte”, ajoutait-il. Avec l’union des gauches, ce nouveau rapport de force et une présence à l’Assemblée forcément décuplée, la pente à gravir sera, quoi qu’il arrive, moins raide dans le futur.