Toon Lambrechts (39 ans) est journaliste et vit à Thessalonique depuis cinq ans. La crise migratoire est un thème important dans son travail et c’est dans le cadre d’une recherche sur le lien entre la migration et la religion qu’il s’est rendu dans un camp de réfugié·es à Samos. 

Malgré les conditions déplorables du camp, Toon a tout de même réussi à y capturer l’espoir à travers une salle de gym construite par un réfugié du camp, Mustafa.

VICE : On entend souvent parler de Lesbos, mais pas de Samos. Tu peux nous en parler ?
Toon :
Le camp de Samos est moins connu que celui de Lesbos. Le camp de Mória (le camp le plus important sur l’île de Lesbos, NDLR) est en quelque sorte devenu le symbole de la crise migratoire dans les îles de la mer Égée, mais on ne prête pas attention à ceux de Samos ou de Chios, et encore moins à ceux de Leros ou de Kos. La situation dans ces camps est tout aussi pénible. 

À Samos, il y a officiellement de la place pour 650 réfugié·es. Tout comme à Mória, c’est une ancienne base militaire qui a été transformée à la hâte en camp de réfugié·es. Mais pour l’instant, au moins 6 000 personnes y vivent. De part et d’autre du camp, ils ont construit des huttes et des tentes avec des chutes de bois et des tissus.

Quelles sont les conditions de vie sur le camp ?
T’es complètement livré·e à toi-même parce que le gouvernement et les ONG ne gèrent pas la situation. Quand une personne arrive sur l’île, elle reçoit une couverture, et c’est tout. Tu dois monter toi-même ta tente. On distribue de la nourriture, mais la file d’attente est longue et la qualité est médiocre. La plupart des gens font eux-mêmes la cuisine. Les soins médicaux sont très limités. Le camp est aussi très sale, et les ordures sont un gros problème. Forcément, il y a des rats partout. Ils n’ont plus du tout peur des humains. Si tu te poses quelque part, ils passent entre tes jambes, tranquille. En plus de ça, le camp est en partie fermé, donc les gens ne peuvent pas se rendre en ville pour changer d’air et oublier le camp.

Il reste le sport…
Oui. Contrairement à Mória, où la plupart des gens vivent dans des tentes, le camp de Samos ressemble beaucoup plus à un village. Je suis tombé sur cette salle de gym par hasard alors que j’attendais une personne de contact pour mon projet. 

Qui a construit ce fitness ?
Mustafa. C’est un Kurde de Qamişlo en Syrie, un endroit que j’ai moi-même visité plusieurs fois ces dernières années. Je connaissais quelques mots en kurde, ils trouvaient ça marrant. Mustafa m’a proposé une tasse de thé, et c’est comme ça qu’on a commencé à faire connaissance. Il est bloqué à Samos depuis un an et deux mois, avec sa famille et ses deux frères

Pourquoi c’était important pour lui de construire ce gymnase ? 
Pour se muscler, évidemment. Je dois dire que Mustafa y a vraiment donné du sien. Différents poids, des appareils pour entraîner les muscles du dos et des bras, une sorte de rameur, … Et tout ça avec de vieux débris qu’il a trouvés dans à Samos. À la fin, il a accroché un drapeau grec et un drapeau kurde. Mustafa en est fier, et à juste titre. Je ne vois pas beaucoup de gens capables de faire preuve d’une telle ingéniosité dans ces conditions. 

T’y a fait un peu d’exercice toi aussi ? 
J’y ai été à plusieurs reprises pendant mon séjour à Samos. Il y avait une dizaine de gars qui traînaient dans le coin. Des Kurdes et des Afghans, un seul Africain. Ils arrivent à communiquer même sans parler la même langue. Ils étaient trop contents d’être photographiés et de pouvoir montrer leurs muscles. Ali, par exemple, un Afghan de Helmand, ne s’en lassait pas. Il parlait bien anglais, donc j’ai pu discuter avec lui plus en profondeur. 

« Dans les camps de réfugié·es, c’est pas les conditions de vie misérables qui sont les plus difficiles à supporter, mais l’attente et l’incertitude. »

T’as fait pas mal de rencontres. Il y a une histoire qui t’as marqué plus que les autres ?
Ce qui m’a marqué, c’est la force d’un homme comme Mustafa. Et je ne parle pas de ses muscles, mais de son état d’esprit. Dans les camps de réfugié·es, c’est pas les conditions de vie misérables qui sont les plus difficiles à supporter, mais l’attente et l’incertitude quant à l’avenir. Ça revient presque toujours dans les conversations avec les gens des camps. Personne ne sait combien de temps il faudra encore supporter cette situation et ça, ça peut te détruire un être humain, plus que la faim, le froid ou autre. Une journée entière sans s’inquiéter, sans se dire que demain ne sera pas différent, c’est difficile. Beaucoup de gens vont en mourir. 

Ce qui est encore plus désolant, c’est qu’un endroit comme Samos ne devrait pas exister. Prends Mustafa et sa famille, par exemple. Il est originaire de Qamişlo, mais ses frères vivaient à Afrine, une région dans l’ouest de la Syrie qui est occupée par la Turquie et des milices djihadistes. En tant que Kurde, il ne peut plus y retourner. Ou Ali, qui vient de Helmand, où les combats sont toujours réguliers et les talibans bien implantés. Les deux peuvent sans doute prétendre au statut de réfugié·e, mais ils sont bloqués à Samos depuis plus d’un an, dans l’attente d’une décision. Du temps perdu pour rien, à part dissuader d’autres réfugié·es potentiel·les. 

« Les réfugié·es sont aussi des personnes qui ont le pouvoir de décider de leur sort malgré le désespoir. Et assez d’énergie pour construire une salle de muscu avec des déchets et s’y entraîner tous les jours. »

C’est pourquoi une histoire comme celle de la salle de muscu de Mustafa doit être racontée. Les journalistes – moi y compris – se focalisent souvent sur la misère dans ces camps des îles grecques. C’est un fait important, vu qu’il concerne des personnes qui souffrent, non pas à cause d’une catastrophe naturelle quelconque, mais à cause des décisions politiques prises par l’Union européenne, par nos gouvernements. Mais ça ne peut pas s’arrêter là. Les réfugié·es sont aussi des personnes qui ont le pouvoir de décider de leur sort malgré le désespoir. Et qui ont assez d’énergie pour construire une salle de muscu avec des déchets de la rue et pour s’y entraîner tous les jours. On ne fait pas ça si on ne croit pas en l’avenir. Mais Mustafa l’a fait. Respect, j’ai envie de dire.

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